Une bonne gouvernance est aujourd’hui reconnue comme une des conditions clés de la performance durable de l’entreprise. Les conseils d’administration sont au cœur du système puisqu’ils sont chargés de définir les orientations stratégiques de l’entreprise et de contrôler l’action du management. En leur demandant spécifiquement de prendre en considération dans leurs décisions les dimensions environnementales et sociales, la loi Pacte rajoute un défi supplémentaire : celui d’arbitrer entre les parties prenantes dont les intérêts peuvent être divergents.

Les sciences cognitives nous indiquent que la qualité d’une décision repose sur quelques conditions liées au processus décisionnel : un débat dans lequel les risques sont clairement mis en évidence, l’expression libre de positions contraires à celles du management et la recherche délibérée d’informations venant challenger la position du management. Même si à la fin du processus, c’est l’option privilégiée par la direction générale qui est retenue, la décision a toutes les chances d’être bien meilleure après avoir traversé ce processus critique.

Or, force est de reconnaître que les conditions de travail des administrateurs ne permettent pas la mise en place effective de ces garde-fous.

Certes, les codes de place ou la réglementation ont introduit des améliorations sensibles au cours des deux dernières décennies. L’institution des administrateurs indépendants et celle des administrateurs référents ont amélioré l’équilibre des pouvoirs face à la direction générale. Promues par la loi, la féminisation et la présence d’administrateurs salariés enrichissent les discussions. Les limitations posées au cumul des mandats ont amélioré la disponibilité des administrateurs. La mise en place de comités d’études a permis une meilleure préparation des dossiers présentés au conseil. L’existence d’un secrétaire du conseil fluidifie les flux d’information en provenance de l’entreprise. Le recours à des expertises externes est un droit reconnu aux administrateurs dans de nombreuses situations.

Pour autant, les travaux des conseils restent le plus souvent encadrés ou contrôlés par le management. L’information est préparée et structurée par la direction générale. Elle est légitimement présentée en soutien de l’option proposée aux administrateurs. Même sélectionnés par le comité d’audit, les commissaires aux comptes ont des relations plus étroites avec le management dont dépend leur renouvellement. Fort logiquement, le secrétaire du conseil qui est un salarié de l’entreprise ne fournit pas au conseil des informations qui pourraient venir contredire la position du management dont il dépend. Il ne l’aide pas non plus à développer des options alternatives. L’information donnée aux administrateurs est donc naturellement biaisée.

Quant aux débats, le temps qui leur est consacré est nécessairement limité par rapport à celui dont a bénéficié par le management et ses conseils pour la préparation de la séance. Bien sûr, les administrateurs les plus expérimentés ou les plus intrépides poseront des questions ou formuleront des critiques durant la séance du conseil. Mais cette pratique n’aura ni la puissance ni l’efficacité d’une véritable discussion sur des options alternatives ou les risques d’échec imaginés sur la base d’une information acquise de manière indépendante.

L’appui d’un expert extérieur pourrait être une réponse à ce problème d’information asymétrique, mais cette solution est complexe à mettre en œuvre. Soucieux de maintenir de bonnes relations avec les directions générales, les conseils répugnent à y recourir de peur que le management n’y voit un signe de méfiance. Son caractère exceptionnel renforce encore cette impression. Par ailleurs, lorsque la désignation d’un expert est nécessaire, il est fréquent qu’il soit sélectionné avec l’aide ou par l’intermédiaire du secrétaire du conseil, ce qui est de nature à affecter son indépendance.

Si l’on veut des entreprises plus responsables et une gestion plus maîtrisée, il faut rééquilibrer les pouvoirs de direction et de contrôle en transférant au conseil les fonctions de gouvernance et les moyens financiers et humains correspondants et que leur exercice apparaisse comme le plus naturel possible.

Chaque conseil doit dessiner les contours de ces fonctions pour répondre aux enjeux spécifiques de la société et convaincre les actionnaires de la pertinence de ses choix organisationnels. Il faut au minimum qu’il dispose d’une information indépendante, c’est à-dire qui ne soit pas produite uniquement par le management et que le secrétaire du conseil lui reporte afin de l’assister dans la mise en œuvre de ses responsabilités.

Plusieurs modalités techniques sont envisageables pour organiser ce transfert de compétences.

Une première solution consiste à donner une délégation de pouvoir au président du conseil sur l’exécution d’un budget de gouvernance destiné à couvrir les coûts liés au fonctionnement du conseil, notamment la rémunération des administrateurs, du secrétaire du conseil et de son équipe, du ou des censeurs pouvant lui apporter temporairement des compétences nouvelles et les honoraires des missions d’études décidées par le conseil . Ce budget peut comprendre également les fonctions de contrôle transférées au conseil (audit interne, commissariat aux comptes, enquêtes internes, etc.).

Une solution plus audacieuse est de créer une filiale du groupe, indépendante de la direction, placée sous le contrôle du conseil et dotée de son propre financement. Un contrat de service de gouvernance serait passé entre la société et la SAS en fonction des activités dont la responsabilité aurait été transférée au conseil. Aux termes des statuts , cette filiale serait dirigée de plein droit par le président du conseil d’administration, ou par un directoire composé des présidents de comités et de l’administrateur référent indépendant s’il existe, assistés par le secrétaire du conseil.

Dans les deux cas, le budget prévisionnel et l’exécution du budget de l’année précédente seraient présentés dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise qui permet au conseil de rendre compte de son action à l’assemblée générale et démontrer ainsi sa valeur ajoutée. Le contrat de services de gouvernance passé entre la société et la SAS ferait l’objet d’une résolution ad hoc soumise au vote consultatif de l’assemblée générale. Les actionnaires pourraient ainsi porter un jugement éclairé sur la qualité de la gouvernance de leur société.

Les bénéfices de ce dispositif sont clairs. L’existence d’une structure autonome dissiperait l’appréhension du conseil qui l’empêche de diligenter les efforts nécessaires pour contribuer effectivement aux décisions essentielles de l’entreprise. Elle renforcerait l’indépendance collective et cognitive du conseil et sa capacité d’analyse tout en améliorant la qualité des décisions prises. Il donnerait enfin aux actionnaires la possibilité de mieux comprendre le fonctionnement et le coût de la gouvernance en place et de se prononcer directement sur l’action du conseil par un vote consultatif sur la convention de service.

L’engagement actionnarial comme l’efficacité managériale en sortiraient renforcées.