La 4ème révolution industrielle suscite autant d’intérêts que de peurs et de questionnements. En effet, dans son acceptation allemande, elle correspond à une interconnexion entre les machines, les hommes et les systèmes à travers les systèmes cyber-physiques, nombreux sont les dirigeants français qui peinent à en voir l’intérêt direct pour leurs usines et leur business. De plus, il est difficile pour de nombreuses entreprises d’allouer des personnes uniquement à ces grands projets de transformation pour des questions de moyens et de disponibilités. Pourtant derrière cette sémantique nébuleuse d’industrie 4.0 ou d’industrie du futur se cache de véritables défis auxquels les industriels vont devoir répondre.

Une évolution du contexte mondial laissant entrevoir une possible réindustrialisation

L’augmentation des coûts de transport ainsi que les exigences accrues en termes de transparence, de respect de l’environnement, de qualité et de réactivité favorisent un rapprochement entre les lieux de production et les lieux de consommation. De plus, les nouveaux acteurs du numérique ont habitué les clients à accéder à une grande diversité de produits dans des délais réduits. La demande évolue vers des produits personnalisés ou accompagnés de service. Les évolutions technologiques de ces dernières années permettent de mieux connaître les clients et d’anticiper ces évolutions. L’automatisation croissante des sites industriels est également venue réduire la part du coût de la main d’oeuvre dans le coût total d’un produit.

Malgré ces évolutions qui laissent entrevoir une potentielle réindustrialisation, de nombreux dirigeants d’entreprises restent réticents face à l’industrie du futur et à la digitalisation. Cela s’explique de plusieurs manières : sentiment que ces projets ne sont pas pour eux car leur entreprise est trop petite, que cela n’a pas d’intérêt pour leurs clients ou encore qu’ils n’ont pas les moyens d’accéder aux briques technologiques de l’industrie du futur. Or, face à la menace de désintermédiation entre les industriels et leurs clients, il y a un risque de dégradation progressive de la position concurrentielle qui oblige les industriels à réagir et à s’emparer de ces questions.

Vers l’invention de nouveaux modèles économiques

Le succès des GAFAM rend obsolète la division entre industrie et services. Apple vend-elle des produits ou des services ? Les grandes entreprises du numérique ne s’encombrent pas avec la distinction entre services et produits et s’investissent dans des champs purement industriels comme le véhicule autonome ou le casque de réalité virtuelle. Ainsi, la première question qu’il convient de se poser est celle du modèle économique : mon positionnement actuel me permet-il de survivre sur mes marchés à moyen et long termes ? Qui sont mes concurrents ? Quelle est leur offre ? Avec l’émergence du numérique et du pure player, aucune situation de rente ne saurait être éternelle.

Les industriels ne sont pas les seuls à s’investir dans la bataille du service et y croisent parfois leurs propres distributeurs qui sont plus proches qu’eux du client final. Les facilités offertes par le numérique donnent au client un rôle inédit. Il n’est plus un simple consommateur, mais il entre dans l’usine et peut même devenir prescripteur. Ce changement contribue à nous faire passer de la production de masse à la production individualisée de masse. La mondialisation s’accélère et des acteurs comme les GAFAM déclinent, à l’échelle internationale, de nouveaux modèles économiques qui percutent les règles de la concurrence libre et non faussée. Le développement rapide de la connectivité incite de plus en plus d’entreprises à vendre non plus un produit, mais une performance tout au long du cycle de vie de celui-ci. Ainsi, il est possible que la révolution du numérique impose le « machine as a service » (MaaS) comme le logiciel est devenu « software as a service » (SaaS). Cette situation a poussé certaines entreprises à redéfinir leur métier en fonction des services attendus. Autrement dit, il ne faut pas définir son métier par une technique mais par ce que le client achète et en général, il achète un service. Bien avant le numérique, des leaders ont été détrônés par des outsiders qu’ils ont méprisés pendant plusieurs années en considérant que leur idée ne marcherait pas (Napster précurseur d’Uber, Airbnb, etc.).

En outre, la quête de personnalisation des consommateurs oblige à questionner la manière de produire. Par exemple, Adidas réalise certaines productions sur la base de spécifications individuelles dans son usine allemande d’Ansbach. Cette usine intègre des briques technologiques de l’industrie du futur comme le jumeau numérique et des robots. Baptisée « Speed Factory », elle a pour mission de réaliser des productions de chaussures de sport performantes répondant aux besoins spécifiques des clients là où le consommateur se trouve, tout en maîtrisant fortement les coûts de production et dans des délais courts. En outre, cette production est conçue pour avoir un faible impact sur l’environnement en limitant l’empreinte carbone (moins de transport) et l’utilisation de matières premières.

Travailler à la meilleure maîtrise des processus industriels : vers l’excellence opérationnelle ?

En parallèle, de nombreux outils innovants ont été créés pour améliorer les prévisions, favoriser l’agilité de l’outil de production, soulager les hommes des tâches redondantes et à faible valeur ajoutée. Au-delà de la question des modèles économiques, les industriels ont à se questionner sur l’outil productif et sa capacité à répondre à ces nouveaux défis. Au préalable, il est nécessaire de rappeler que l’outil productif français est vieillissant et a souffert d’un sous-investissement ces dernières années ce qui le pénalise dans sa capacité à répondre à l’évolution de la demande. En effet, le taux de robotisation est plus faible en France qu’en Allemagne ou en Corée du Sud ou même qu’en Italie avec une production qui apparaît moins flexible et moins réactive.

Avant de développer des technologies sur les sites, il est impératif de s’assurer que l’ensemble des processus industriels sont bien maîtrisés. Les briques technologiques de l’industrie de futur sont là pour répondre à des besoins précis et venir gagner des points de productivité supplémentaires. En effet, elles ne sauraient constituer un remède miracle pour les sites industriels qui ne maîtrisent pas les fondamentaux. L’excellence opérationnelle repose sur des techniques de management frugal ou lean, de qualité totale, d’amélioration collective permanente et sur la rationalisation de la chaîne de valeur. Ainsi, les entreprises passent d’une optimisation par la réduction de la main-d’oeuvre directe (MOD) à une optimisation globale au niveau de l’entreprise puis à une optimisation qui déborde les frontières de l’entreprise pour inclure clients et fournisseurs. Il existe de nombreux gisements d’amélioration dans de nombreuses usines. Les gains espérés peuvent compenser le coût plus élevé du travail en France. Autrement dit, le but n’est pas d’automatiser totalement l’ensemble des sites industriels, cela est chimérique et inutile mais d’aller vers l’excellence opérationnelle par une parfaite maîtrise des processus et d’aller chercher des points de productivité et de flexibilité en plus par l’ajout de briques technologiques.

Une révolution des compétences

La révolution numérique va entraîner un bouleversement dans les organisations avec notamment une révolution du mode de management pour aller vers moins de verticalité et casser les fonctionnements en silo.

Il y a un important sujet de compétences. La transformation des sites industriels va nécessiter l’accompagnement des personnes dont la nature du travail va être profondément affectée. Les États-Unis et le Royaume-Uni prennent davantage en compte la question de l’adaptation des compétences face aux transformations induites par les révolutions en cours que ne le fait la France. Ainsi, il est nécessaire d’investir dans les compétences humaines, d’autant plus que la désindustrialisation avec les délocalisations a conduit à une déstructuration des écosystèmes productifs avec une perte de nombreuses compétences. En parallèle, la France a souffert d’un déficit de formation dans les métiers de demain dont l’industrie aura autant besoin, si ce n’est plus, que les autres secteurs.

Cette révolution en cours appelle également un changement de culture, de vision et de management. Elle n’est pas, contrairement à certaines croyances, le signe du triomphe de la machine sur l’homme mais elle appelle à une redéfinition de la place de l’humain dans les usines. Autrement dit, le débat ne doit pas se positionner uniquement sur la question d’une baisse des coûts par une réduction et une paupérisation de la masse salariale mais sur celle d’une évolution des métiers et des compétences, que les pouvoirs publics doivent accompagner ainsi que sur une bataille sur la compétitivité hors coût (qualité, innovation, image, etc.). Si les coûts de production sont à maîtriser, l’humain ne peut pas être l’unique variable d’ajustement de la reconquête industrielle française.

 

Points à retenir
  • Évolution des marchés avec une demande accrue de personnalisation des produits ou de services associés aux produits.
  • Faire gagner en agilité et en réactivité les usines avec l’aide des briques technologiques de l’industrie du futur. 
  • Maîtriser les processus pour améliorer les marges et réinvestir dans l’outil productif et l’innovation. 
  • Rendre les industries plus attractives pour les hommes via une amélioration de la qualité de vie au travail, une évolution vers des organisations moins cloisonnées, etc. 

 

Cet article a été publié dans le numéro 370 (juin 2019) de la revue finance&gestion. Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 25 juin 2019.