Culture digitale : enfin ?

La crise sanitaire et le confinement nous ont fait expérimenter à grande échelle le télétravail. Chacun chez soi à utiliser les technologies pour continuer son activité, notamment au travail des divers outils de visioconférence tels Zoom, Teams ou Meet ou des outils de facilitation numérique comme Klaxoon et Beekast. Ceux qui n’étaient pas encore totalement familiers de ces modes de travail ont dû s’y mettre de façon accélérée.

Mais le développement d’une culture digitale, ce n’est pas seulement le travail à distance. C’est tout un rapport au monde et au travail revisité au travers des technologies. Nous avons privilégié le terme de « digitale » à celui de « numérique » qui non seulement s’appuie le terme anglais digital, mais qui souligne également, comme l’écrit Antonio Casilli, « l’élément physique, le mouvement actif du digitus, le doigt qui sert à compter, mais aussi qui pointe, clique, appuie sur le bouton, par opposition à l’immobilité abstraite du numerus, le nombre en tant que concept mathématique ».

Avec la transformation digitale, c’est une nouvelle culture qui émerge, qui amène à concevoir, à penser, à réaliser notre travail autrement. Nos conceptions du temps et de l’espace ont été bouleversées dans notre rapport aux autres : notre tolérance aux délais de réponse est devenue très faible, la distanciation physique n’est plus une barrière à la rencontre qui devient virtuelle.

Le digital transforme également notre rapport au réel. Avec l’intelligence artificielle connexionniste qui donne une illusion de maîtrise totale, on peut avoir tendance à oublier qu’il s’agit de probabilités et donc que l’incertitude est toujours présente. Inversement, la Blockchain qui garantit une intégrité parfaite, c’est l’incertitude qui disparaît et risque de faire disparaître l’interprétation de la règle en droit. Comme le rappelle Antoine Garapon dans Justice digitale, « une règle est bonne lorsqu’elle est suffisamment fixe et son application, suffisamment prévisible et impartiale, mais si elle est trop automatique et qu’il est impossible d’y déroger, alors elle provoque d’autres injustices ».

Les technologies élargissent également notre monde en ouvrant des possibles. Là encore, le Coronavirus a mis en évidence des usages nouveaux, tels que le passage du design à la production dans des temps très courts ou la création de chaînes de production en quelques jours avec l’impression 3D, ou tels que les différentes possibilités de traçabilité des personnes pour se prémunir de la diffusion du virus.

La transformation digitale c’est aussi un nouveau rapport aux autres, notamment aux clients, fournisseurs, partenaires : elle permet une désintermédiation pour des producteurs échappant aux circuits de distribution traditionnelle ou une réintermédiation au travers des plateformes. Autant de relations à construire selon de nouvelles modalités et pouvant amener de nouveaux enjeux relationnels notamment avec les évaluations immédiates (les étoiles d’Uber par exemple).

Mais les technologies ne peuvent pas (encore) tout. La transformation digitale fait prendre conscience que certaines pratiques professionnelles sont difficilement digitalisables ! Ainsi, si plus de 500 000 téléconsultations ont eu lieu en mars, tous les actes médicaux ne sont pas transposables : il est plus difficile dans certains cas lorsque le médecin ne peut écouter au travers d’un stéthoscope ou toucher certaines parties du corps.

La culture, ce sont aussi les modalités de reproduction et donc d’apprentissage. Que devient l’apprentissage d’un métier lorsque les tâches simples de base ne sont plus faites par les juniors mais par un robot telle que l’analyse des comptes par le jeune auditeur ou la recherche jurisprudentielle pour l’avocat-stagiaire !

Enfin, la culture digitale porte ses mythes, ses croyances ou ses espérances. Peut-on ou doit-on tout attendre des technologies ?