La mise en place de la CSRD au sein d’une entreprise représente un investissement non négligeable et à anticiper. Esker apporte son témoigne sur les étapes à réaliser, les difficultés rencontrées, ainsi que les points de vigilance relevés pour la réalisation de ce projet.
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose un nouveau cadre pour le reporting extra-financier des entreprises. Elle remplace la précédente directive, la NFRD (Non Financial Reporting Directive), qui imposait déjà une déclaration sur les données sociales et environnementales de certaines entreprises.
Esker est soumis à la CSRD comme une grande majorité des entreprises européennes répondant aux critères d’éligibilité des sociétés ayant plus de 250 salariés en moyenne sur l’année, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros par an et un total bilan de plus de 25 millions d’euros. Elle devra donc publier un rapport de durabilité en 2026 sur ses données extra-financières de 2025.
Les exigences de la CSRD sont lourdes ; par conséquent, la mise en conformité de cette norme est devenue un projet prioritaire, porté par la Direction générale et regardé par le Conseil de surveillance.
Au sein d’Esker, la DPEF a été portée, depuis sa première publication en 2019, par le département RSE. Lors de l’apparition de la nouvelle directive, la direction financière a été progressivement impliquée dans les discussions concernant la mise en conformité à la nouvelle norme. L’équipe projet, en charge de la coordination et du suivi de la mise en place de la CSRD est actuellement composée de la directrice financière et de la responsable RSE.
Il a été décidé très rapidement de se faire accompagner pour la réalisation de ce projet : la dimension complexe de la norme, le calendrier très serré et le manque de ressources en interne représentaient des contraintes qui devaient être levées. De plus, le cœur de cible de l’activité étant les Directions Financières, il était nécessaire de bien comprendre les enjeux et les impacts de cette nouvelle réglementation sur le métier du DAF. Six cabinets, aux propositions différentes en termes d’approche, d’expertise, de coûts et de proximité, ont été rencontrés par l’équipe projet. Le choix du cabinet s’est appuyé sur les critères suivants : une bonne expertise avec des équipes formées et connaisseuses des sujets de durabilité, une méthodologie déjà éprouvée, une proximité avec les équipes de consultants, la proposition d’ateliers en présentiels et des coûts raisonnables pour le marché.
Par ailleurs, les parties prenantes internes sont également engagées dans le projet car il est nécessaire de bénéficier de leur expérience et de leur connaissance pour identifier les enjeux qui reposent sur les trois piliers de l’ESG, soit l’Environnement, le Social et la Gouvernance. La Direction générale et la Direction juridique sont sollicitées sur les sujets de Gouvernance, la Direction des Ressources Humaines sur le social, la Direction informatique et des Services généraux sur l’environnement — l’activité d’Esker ayant essentiellement un impact sur l’environnement via l’utilisation de ses hébergeurs de données et de l’utilisation de son matériel informatique.
L’approche méthodologique proposé par le cabinet — la CSRD ne prescrivant pas de méthodologie précise — et qui est l’approche préconisée sur le marché se compose de trois étapes. La première consiste en une analyse dite de « la double matérialité » avec un appui méthodologique dans la conduite de cette analyse, le partage de supports et de benchmarks, ainsi que des outils d’analyses efficaces. La seconde étape réside dans ce que le métier nomme « la gap analysis » ou l’analyse d’écart entre ce que l’entreprise produit déjà en termes de KPIs quantitatifs et qualitatifs et ce qu’elle devra produire pour répondre aux exigences des ESRS matériels et obligatoires. Enfin, la troisième étape s’appuie sur la construction d’une feuille de route de mise en conformité, comprenant un plan d’action pluriannuel pour la mise à niveau au regard des exigences de la CSRD.
Esker a réalisé la première étape de l’analyse de double matérialité. La démarche générale pour aborder cette analyse se compose de trois étapes clés réalisées sous formes d’ateliers avec l’implication des parties prenantes internes, et parfois externes (le cas de certains fournisseurs).
À ce stade du projet, les difficultés rencontrées ont été multiples. L’étendue du projet et la complexité de la norme ont constitué un vrai challenge concernant l’évaluation des besoins en ressources internes et le temps à investir pour être capable de répondre à cette nouvelle norme mais également de bien comprendre ce qui est attendu.
En outre, le prisme « inside-out » qui focalise sur l’importance du point de vue de l’incidence, c’est à dire qui pose la question des impacts positifs et négatifs de l’activité d’Esker sur les personnes et l’environnement — et ce sur l’ensemble de sa chaine de valeur — est nouveau et donc difficile à appréhender. Les fonctions financières et celles du contrôle interne sont habituées aux réflexions sur le « outside-in » et à l’importance du point de vue financier et opérationnels des risques et opportunités de l’environnement sur l’activité.
Par ailleurs, l’exercice de coordination des agendas pour pouvoir réunir les parties prenantes en interne et les consultants du cabinet accompagnant n’est pas à prendre à la légère. Trouver des créneaux disponibles représente une vraie contrainte, d’où l’intérêt d’anticiper au plus tôt pour bloquer du temps dans les agendas.
Enfin, au même titre que pour les rapports financiers, les rapports de durabilité seront audités par des organismes certifiés. Ill est capital d’avoir une réflexion dès aujourd’hui sur le choix des auditeurs dits “de durabilité”, préparer un appel d’offre et être en mesure de faire voter un nouveau mandat aux actionnaires d’Esker lors de l’AG 2025. Par ailleurs, les coûts relatifs à ce mandat seront à prendre en compte dans les budgets 2025.
A la lumière de cette première étape de l’analyse de double matérialité – étape clé de la mise en œuvre de la norme européenne – il est essentiel de porter une attention particulière sur certains points.
Tout d’abord, il est important d’anticiper au plus tôt. Il est vrai que pour certaines entreprises le calendrier peut sembler lointain et le nombre d’étapes et le temps passé pour chacune d’entre elles n’est pas négligeable.
Il est également primordial de partir de l’existant. Par exemple, pour les entreprises ayant déjà travaillé sur une DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière), se baser sur ce qui a déjà été fait représente un gain de temps très précieux.
Ensuite, la sensibilisation des directions et des parties prenantes en amont des ateliers est fondamentale. Elle permettra un gain de temps et une efficacité opérationnelle lors des ateliers. Le risque étant, dans le cas contraire, de perdre du temps en explications sur les exigences de la norme et sur la compréhension de la méthodologie à appliquer. C’est une des déconvenues qu’Esker a pu expérimenter lors d’un de ses ateliers avec une personne qui n’avait pas, au préalable, été sensibilisée au projet CSRD.
Il est également judicieux de rapprocher les ateliers dans le temps afin de ne pas perdre, pour l’équipe projet, la compréhension de la méthodologie qui n’est pas si simple à appréhender et qui demande une gymnastique intellectuelle qui peut être vite perdue.
Il est fortement recommandé d’enregistrer les ateliers pour pouvoir les réécouter au besoin, et être utilisés comme justification de choix des impacts, risques et opportunités auprès des commissaires aux comptes.
Enfin, présenter une vue d’ensemble des IROs et de leur cotation à toutes les parties prenantes en fin de projet est une étape fondamentale dans la validation de la matrice de double matérialité et de sa cohérente avec la ou les activités de l’entreprise.
Cette nouvelle directive a été perçue comme une opportunité, la CSRD posant un cadre et permettant aux entreprises de se comparer aux autres sur leur performance extra-financière, là où le référentiel commun imposé à toutes les entreprises n’existait pas dans la DPEF. De plus, l’obligation d’audit renforce cette notion de comparabilité car les organismes en charge de ces audits assurent un langage commun à toutes les entreprises.
L’analyse de double matérialité et la mise en conformité de la CSRD est effectivement un exercice fastidieux et long, mais vertueux, et obligeant toutes les entreprises à remettre en question leur business modèle et leur stratégie RSE. Dans le cas d’Esker, cet exercice d’analyse de double matérialité a permis une validation des enjeux déjà identifiés dans la DPEF, mais également de rajouter un enjeu sur l’utilisation des data centers qui n’avait pas été relevé jusque-là.
Par ailleurs, les banques sont de plus en plus regardantes sur les sujets de durabilité et peuvent accorder des emprunts à taux préférentiels aux entreprises vertueuses. Les rapports de durabilité normés CSRD vont constituer une base de comparabilité pour l’octroi de ces prêts. De la même façon, les investisseurs s’intéressent aux KPIs de durabilité et les analystes financiers rendent leur avis avec, pour certains, des mentions RSE.
La CSRD, adoptée récemment par l’Union européenne, représente une avancée significative dans le domaine du reporting de durabilité. Cependant, sa mise en place ne se fait pas sans défis et nécessite une approche réfléchie. En somme, la CSRD offre une opportunité de renforcer la confiance des investisseurs, d’améliorer la prise de décision et de contribuer à un avenir plus durable. Toutefois, sa mise en œuvre réussie dépendra de l’engagement des entreprises et de leur capacité à relever les challenges inhérents au reporting de durabilité. N’oublions pas que la durabilité est un enjeu mondial, et la CSRD joue un rôle essentiel dans la transition vers une économie plus responsable et respectueuse de l’environnement et de la société.
Cet article a été publié sur le Finance&Gestion 409, le 15 mai 2024.