Ce numéro spécial s’inscrit dans les préoccupations actuelles des organisations face aux incertitudes liées aux mutations, aux crises et aux chocs qui impactent leur gestion et les confrontent ainsi à l’inconnu : événements climatiques, chocs écologiques, crises sanitaires, tensions géopolitiques, mutations sociétales, transformations technologiques accélérées, etc. Confrontés aux incertitudes de diverses natures, ce numéro spécial vise à comprendre comment le contrôle de gestion est questionné tant dans ses fondements, que dans ses outils, méthodes et pratiques ? Quelles modalités d’exécution adopter afin d’assurer la flexibilité et la résilience des organisations et, ce faisant, garantir une maîtrise stratégique et opérationnelle ? Les sept articles qui composent ce dossier explorent et proposent, chacun à leur manière, des réflexions à la fois sur les outils, les acteurs et les dispositifs de contrôle en contexte d’incertitude, de volatilité, d’ambiguïté ou encore de complexité. Les articles de ce numéro spécial proposent d’aborder le contrôle de gestion sous plusieurs angles.
Le contrôle de gestion est d’abord exploré à partir de son impact sur l’humain. Dans le premier article, consacré à la déspatialisation du travail et au télétravail, Stanlow montre comment l’éloignement physique reconfigure les modalités de contrôle, notamment par l’émergence d’une forme de « panoptique électronique ». Le contrôleur doit alors naviguer entre flexibilité et contraintes, réinventer un espace et trouver un nouvel équilibre entre travail à distance et présence physique.
Le contrôle est ensuite appréhendé comme un ensemble de dispositifs. Le deuxième article, à travers l’exemple d’Institut hospitalo-universitaire de Strasbourg, les auteures Bollinger, Ruiz et Leydinger illustrent comment le contrôle de gestion peut accompagner l’innovation dans des environnements VUCA. Caractérisé par la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté[1]. Elles proposent une approche hybride des systèmes de pilotage favorisant la flexibilité et l’expérimentation pour éviter de freiner l’innovation. Dans une logique complémentaire, Camous et Bollecker mettent en avant la pertinence d’une approche globale du pilotage sous forme de « package » (Malmi & Brown, 2008), notamment face aux enjeux environnementaux et sociétaux. Le cas du pilotage des ressources en eau souligne la nécessité de cohérence et de complémentarité entre les outils pour intégrer des objectifs parfois contradictoires. Dans la même veine, l’article de Habermacher se concentre sur les organisations coopératives et souligne le rôle central des valeurs (solidarité, démocratie, responsabilité, pérennité, transparence et proximité) dans le package du contrôle. Loin d’être accessoires, ces valeurs structurent les dispositifs et permettent de résoudre les tensions entre performance et idéal coopératif. Laud et Bonache rappellent que la performance ne saurait se penser sans le bien-être des individus. Ils abordent la question des risques psychosociaux (RPS) comme enjeu de pilotage à part entière, en mobilisant la théorie des parties prenantes et en proposant des outils de prévention tels que l’indice de criticité et le travail bien fait.
Enfin, les deux derniers articles mettent en lumière les réponses organisationnelles à la recherche de flexibilité : d’une part, à travers l’étude d’un modèle économique alternatif et autogéré, Jacquinot et Praquin illustrent la capacité d’expérimentation locale et l’ancrage dans des valeurs simples ; d’autre part, Tarafi analyse l’essor de l’externalisation à temps partagé des compétences financières, permettant aux entreprises un accès à une expertise flexible et adaptée à l’évolution de leurs besoins.
Ces contributions mettent en évidence la capacité du contrôle de gestion à se réinventer face à l’inconnu, en intégrant davantage de flexibilité, de valeurs, de coopération et de sens. Ce dossier invite ainsi à penser le contrôle face à l’inconnu non plus comme un simple outil de pilotage, mais comme un levier de transformation au service des organisations et de leurs parties prenantes.
[1] Volatility, Uncertainty, Complexity & Ambiguity