« A central bank hero, it’s something to be !» Voilà ce qu’aurait pu dire John Lennon s’il avait été banquier. Traduisons : dur, dur ! le job de patron de la BCE, ces temps-ci. Le post de Jean-Louis Mullenbach (« Des « stress tests » bancaires enfin crédibles ? ») publié dans le Blog le 29 mars en est une illustration de plus. L’Autorité de supervision bancaire européenne, la toute nouvelle EBA, annonce lancer son propre jeu de tests de résistance bancaires sur les banques européennes, espérant que cette fois-ci (on en est à la troisième) les tests en question seront pris au sérieux.

Bonne avancée, notamment parce que chacune des banques testées va devoir publier l’intégralité de son exposition au risque souverain. Par contre, une décision qui heurte le public : refus d’inclure dans ces tests une simulation complète1 de ce qu’il en coûterait aux grandes banques si la Grèce, l’Irlande ou le Portugal venaient à subir un défaut sur leur dette.

Pourquoi cette décision qui, d’une part, risque de jeter par avance le discrédit sur le résultat de ces tests publiés en juin et qui, d’autre part, est largement factice, dès lors que les simulations peuvent être faites par tout bon analyste bancaire quand les positions en dette souveraine de chaque banque seront rendues publiques ?

Elle illustre tout d’abord et très rationnellement le dilemme dans lequel sont les autorités prudentielles et la BCE. Elles souhaitent connaître (et probablement connaissent déjà) l’impact sur les fonds propres des banques d’un défaut souverain, mais hésitent à rendre publique l’information. Il est difficile pour les superviseurs de demander ès qualités d’examiner le cas où par exemple la Grèce ferait défaut. La BCE est habituée aux délicates annonces de politique monétaire, où chaque mot doit être pesé. Dire la chose suffit parfois à provoquer la chose.

D’où la demi-mesure : on fait le stress test comme si le choc n’était que temporaire, à savoir imputable uniquement à un manque de liquidité et n’affectant que celles des banques qui ne peuvent tenir jusqu’au bout la position. On oblitère évidemment le cas où, en effet, elle porte jusqu’au bout la position, mais une position qui subira le choc d’un défaut souverain.

On retrouve la même conduite en ce moment chez la Banque d’Espagne. Elle demande implicitement aux banques de s’asseoir sur leurs positions immobilières plutôt qu’en déclarer pleinement le risque sur leurs fonds propres, de peur de déclencher une nouvelle vague vendeuse sur l’immobilier espagnol qui aggraveraient encore la situation des banques.

Au-delà de la prudence dans les annonces, la BCE introduit sagement la dimension du temps en ces matières. Se reposant sur l’exemple de la restructuration de la dette des États latino-américains dans les années 1990, elle sait qu’il ne peut y avoir de restructuration à chaud de la dette fragile de la zone euro. Il faut acheter du temps :

  • Pour mesurer les enjeux du surendettement, à la fois sur les acteurs publics et sur le système bancaire ;

  • Pour s’assurer que les États qui vont profiter de cette restructuration, très probablement Grèce, Irlande et Portugal, poursuivent la refonte de leurs finances publiques (il sert à peu de chose de réduire le poids de la dette si le pays reste en situation de déficit primaire – avant service de la dette – de son budget) ;

  • Surtout, parce qu’on ne peut entrer dans un programme véritable de restructuration que lorsque les banques seront assez solides pour supporter ce nouveau choc. D’où le plan européen qui cherche à assurer jusqu’à 2013 le financement des États fragiles, même à des taux très élevés pour eux. D’où le refinancement des banques fragiles au guichet de la BCE qui s’est poursuivi, malgré le risque que la BCE prend alors de subir elle-même le contrecoup d’un défaut et la fait sortir de ses missions traditionnelles. D’où, surtout, la subvention massive qui est faite à toutes les banques européennes en ce moment par une politique monétaire fixant des taux hyper-bas. En quelque sorte, on organise un renflouement des banques européennes sur le dos des épargnants à qui on impose une rémunération très basse de leurs placements. Par ce jeu, les banques européennes accumulent des fonds propres au rythme disons de 2 % de leurs actifs pondérés totaux par le simple jeu de la transformation (écart entre leurs taux prêteurs et le coût de leur refinancement monétaire). Si les fonds propres durs font 6 % des actifs pondérés, ce simple mécanisme leur permet de doubler leurs fonds propres en 3 ans (cela hors impôts et dividendes, mais en omettant les autres sources de profits de la banque). Cette politique fait débat au sein de la BCE. Récemment, Jürgen Stark, un des membres (allemand !) de son directoire, a indiqué clairement dans une tribune publiée par le Financial Times qu’il n’entre pas dans la mission de la BCE de se substituer par ce moyen à la nécessaire recapitalisation des banques, y compris par voie publique.

Car la politique de taux bas ouvre un second dilemme, que souligne le même Stark, par les menaces d’inflation qu’elle fait peser. Ironiquement, il s’ensuivrait d’ailleurs une dépréciation de la position obligataire des banques, via une hausse des taux longs, et donc un nouveau coup dur pour leurs fonds propres. Dur, le métier de banquier central en ce moment !

Mettons le doigt pour finir sur une certaine responsabilité de la BCE, ou plutôt les législateurs qui en ont décidé la création, dans cette crise bancaire et financière qui, en zone euro, a muté subitement en crise souveraine. Dans ses règles de fonctionnement de la politique monétaire, la BCE permet aux banques d’apporter en escompte toute dette souveraine de la zone euro, en clair que 100 euros d’une créance sur l’État grec permettent de lever autant d’argent de la BCE que 100 euros d’une créance sur l’État allemand. Cela par peur politique d’afficher une discrimination entre États de la zone euro. Les banques ont profité de cette situation. Elles ont cherché à grappiller quelques centimes de taux en achetant massivement la dette euro des pays périphériques plutôt que de la dette des pays solides. En conséquence – on retrouve ici exactement la séquence d’événements de la crise subprime –, les spreads de ces Etats périphériques ont chuté. Cela a davantage encore incité ces Etats à actionner la pompe à financement gratuit plutôt que de mieux gérer leurs finances publiques.

Dur, dur, en effet.

 

1. Seuls les portefeuilles de trading, qui sont comptabilisés en valeur de marché, seront testés. On ne regardera pas leurs investissements durables en ces mêmes titres, ce qu’on appelle le portefeuille bancaire, soit 80 % de leur détention, qui restent comptabilisés au coût d’achat.