Provisionnement dynamique

Les banques françaises négligent le fait qu’une partie de la réponse au problème soulevé existe déjà dans IAS 39, à tout le moins dans son principe : c’est le provisionnement collectif de portefeuille de crédits sains. Il permet de refléter dans les comptes la perte probable, encourue sur un actif détenu, mais non encore révélée par des signes manifestes de défaillance. Bien pensé et mis en œuvre, le provisionnement remplit la fonction que la FBF assigne au provisionnement forfaitaire ex-ante mais à la différence de ce dernier, il est fondé sur des bases conceptuellement saines.
En conformité avec les IFRS actuels, dans le respect des dispositions prudentielles imposées par la Banque d’Espagne et en cohérence avec ce que lui montrent ses modèles internes, Banco Santander a ainsi constitué chaque année depuis 2005 des provisions collectives pour les risques non encore déclarés mais déjà présents dans son portefeuille. En 2008, lorsque les défaillances anticipées sont survenues, les provisions collectives étaient là, en volume suffisant pour y faire face.

Que s’est-il passé pour de nombreuses autres banques ? Peut-être ce que le superviseur bancaire américain disait récemment à propos des banques américaines : « Nous avons à maintes reprises discuté avec les auditeurs qui nous ont assurés que les banques n’étaient pas contraintes de fonder leurs provisions sur prêts sur leurs seules statistiques historiques. Les banques, nous ont-ils toujours dit, peuvent recourir au jugement pour prendre en compte d’autres facteurs, prévisionnels, tels que l’évolution des politiques d’octroi de prêts ou les changements dans l’environnement économique susceptibles d’affecter le niveau des pertes sur crédits. Les banques les plus pointues sur ce sujet ont trouvé des solutions pour exercer leur jugement et documenter les facteurs qui les autorisaient à constituer des provisions supérieures à ce que l’expérience historique commandait. Néanmoins, il est clair pour moi que nombre de banques et d’auditeurs n’ont pas été suffisamment conscients de la latitude dont ils disposaient pour justifier des provisions. »

Que faudrait-il donc faire ? Sans doute le même travail d’approfondissement et de pédagogie que celui qui a été effectué sur la détermination de la juste valeur en cas d’inactivité du marché, avec un guide pédagogique préparé par un groupe d’experts-conseil en collaboration étroite avec le staff et une communication forte sur ce sujet.

Il ne faut pas pour autant se leurrer : le provisionnement collectif dynamique n’apporte pas de réponse lorsque survient un scénario économique qui n’a pas été envisagé. Par construction, les modèles ne fonctionnent que dans leur domaine de validité. « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites », disait le Sapeur Camembert. C’est le malheureux constat que nous faisons tous. Il n’y a pas à proprement parler de faillite de la modélisation financière, mais une faillite de ses utilisateurs qui ont oublié les fondamentaux. Une fois les provisions consommées, les fonds propres sont directement attaquées et l’on n’a fait qu’acheter une seconde de plus à monsieur le bourreau ! C’est ce que constatent déjà les banques espagnoles.

Rappelons aussi que lorsque la politique de prise de risque est inconsidérée, le provisionnement collectif dynamique est un cautère sur une jambe de bois. Seuls les dispositifs prudentiels sont alors efficaces pour garder une banque d’elle-même. Ces dispositifs existent ; s’ils n’ont pas fonctionné comme l’auraient voulu leurs concepteurs, s’ils n’ont pas permis de prévenir la crise, la faute n’en revient pas aux normes comptables. En France, le superviseur bancaire est investi d’une mission générale de surveillance du système bancaire. Il a le pouvoir d’exiger de tout établissement une amélioration de son contrôle interne, sur sa politique d’engagement – entre autres – s’il y décèle des faiblesses, Depuis l’entrée en vigueur de Bâle II, le superviseur bancaire a de plus la faculté d’exiger un niveau de fonds propres supérieur au minimum réglementaire lorsqu’il estime la situation d’un établissement plus risquée que la normale. Le superviseur n’aurait-il pas, parfois, dans quelques rares cas, supervisé… en fonction de l’air du temps !

Disons enfin que ce sujet est maintenant expressément mis à l’étude dans une initiative coordonnée au niveau international entre normalisateurs comptable et bancaire et que rendez-vous est pris pour des conclusions d’ici la fin de l’année. C’est ce qu’indique le compte rendu de la réunion du Financial Crisis Advisory Group du 5 mars 2009 : « Nous sommes convenus que le FASB, l’IASB et le Comité de Bâle créeraient un groupe de travail chargé d’étudier les questions soulevées par le provisionnement dynamique. Ce groupe évaluera la pertinence respective des différentes méthodes de provisionnement (pertes subies, pertes attendues, provisionnement dynamique ou juste valeur) et présentera d’ici la fin de l’année ses recommandations quant au modèle à retenir) ».

Il s’agit de voir comment en matière de régulation bancaire les nécessaires précautions contra-cycliques pourraient s’appliquer : par des provisions ex-ante ou bien par des contraintes de fonds propres qu’imposerait le régulateur.
D’autres propositions suscitent encore pas mal de réserves, notamment dans les pays anglo-saxons, comme la supervision du comité chargé d’élaborer les normes comptables internationales (IASB) par le FSF ou bien encore l’instauration d’un superviseur leader pour la surveillance des grands groupes mondiaux.

Supervision de l’IASB

Les banques françaises passent sous silence la création récente (janvier 2009) du comité de supervision de l’IASCF qui est lui-même l’instance de supervision de l’IASB. Siègent à cette nouvelle instance l’IOSCO, la Commission européenne, la FSA japonaise et la SEC ; le président du comité de Bâle y assiste en tant qu’observateur. Sa première réunion se tient le 1er avril prochain. Le sujet de la réponse à la crise financière est inscrit à l’ordre du jour ; il suffit pour le voir de consulter le site Web de l’IASB.

Le communiqué de la FBF va plus loin en demandant une supervision de l’IASB par le FSF. « Des divergences subsistent mais la crise a rapproché les points de vue au niveau européen, estime cependant Ariane Obolensky, qui pense qu’une plate-forme commune « est possible avant le G20, même si elle va moins loin que nos propositions ». Certes !

Les banques françaises refuseraient-elles tout crédit à la nouvelle instance avant même qu’elle ait commencé à fonctionner ? Comment peut-on imaginer deux étages et deux instances de supervision ? L’une disparaîtra faute d’objet ou changera de nature. De là à ce que le superviseur bancaire fasse les normes comptables tous secteurs, il n’y a plus qu’un pas à franchir ! Ou alors est-ce le retour annoncé à des principes et règles comptables par secteur de l’économie ? Dans des marchés globalisés, comment est-ce concevable ?

Dormez tranquilles, braves gens, la simplification est en marche, je ne veux voir qu’une tête !

Historiquement, le principe du bouc-émissaire, qu’il soit régulateur, banquier, assureur ou superviseur, a toujours coûté cher.

Les entreprises françaises, au fond, ont « seulement » besoin de retrouver des cadres d’intervention clairs, simples, balisés, éclairés et contrôlés. Que des propositions de certains aient un caractère pro domo ou pas, que chacun doive balayer devant sa porte ou pas, que des questions de personnes ou d’organisation se posent ou pas, si les remèdes sont efficaces, peu importe, le pragmatisme doit être roi en ces temps troublés.

Alors, cette fois, si pour trouver de vraies solutions, mais cette fois seulement, il faut en revenir à responsabilité collective, soit ! Mais… pour un redressement collectif des économies !