La banque universelle, qui réunit sous un même toit des activités de crédit et des activités de placement et de négoce de titres financiers, a moins la cote qu’autrefois. Le rapport Vickers au Royaume-Uni1 ne propose rien moins que la séparation pure et simple des deux métiers, avec l’argument premier que la banque d’investissement fait porter les risques de marché sur les déposants bancaires, ce qui prend toujours plus en otage la puissance publique, soucieuse de stabilité financière et de protection des épargnants.

Mais cela est au Royaume-Uni, dans un rapport officiel. En France, ouvrir le débat est encore tabou. Nos chères banques !

Si cela ne peut pas passer par des rapports officiels, que le débat s’ouvre par d’autres moyens.

« 555 Jeudi Rouge » (Editions du Parc, Paris, 2011) le fait sous la forme d’un roman policier, plutôt bien conduit. Il est écrit par Jérôme Cazes, un ancien dirigeant de Coface et de Natixis, qui connaît de l’intérieur le monde bancaire.

Et à tout prendre, quand les choses sont dites clairement, mieux vaut un bon polar bien ficelé qu’un lourd rapport technique en anglais. C’est le cas avec « 555 ». Les arguments financiers tiennent dans une histoire bien pimentée, avec de ce qu’il faut d’intrigues, de descriptions piquantes et cruelles du petit monde financiaro-politique propre à notre cher pays, avec un réel sens de la formule et ce qu’il faut de sexe pour forcer à tourner les pages. Les lobbys de la finance spéculative y affrontent des héroïnes sympathiques et indignées, avec un dangereux détour par la Chine.

Reconnaissons que l’auteur ne pense guère qu’un rapport administratif sur la réforme bancaire suffira. Il a probablement l’ambition, à l’égal de l’histoire qu’il raconte dans son polar, que « 555 » devienne une plate-forme de protestation, une sorte de support intellectuel au mouvement « Occupy Wall Street », poussant l’opinion et par voie de conséquence le législateur à faire bouger les choses. Il y a donc un site Internet en support du livre, duquel d’ailleurs le livre est téléchargeable. Voir http://www.555jeudirouge.fr.

 

Quelques morceaux choisis pour les lecteurs du Blog :

1- Sur les CDS :

« Les financiers affirment que grâce aux marchés et à leurs instruments innovants, ils sortent du risque quand ils veulent. C’est un joli conte de fées. Dès que le temps se couvre, dès qu’un mouvement profond et imprévu s’engage, il n’y a plus personne pour vous vendre des garanties, ou à des coûts tels que l’achat de l’assurance ressemble furieusement au sinistre qu’elle prétend garantir. » (p. 198)

 

2- Sur la coexistence banque commerciale/banque d’investissement :

« Mettre ensemble des banquiers traditionnels et des traders, expliquait Éric au gouverneur Maneval, c’est comme vouloir faire coopérer des chiens et des chats… Le trader fait confiance aux mouvements collectifs spéculatifs, à sa capacité personnelle d’anticipation ; et il veut beaucoup d’argent tout de suite. Le banquier classique, lui, joue sur la confiance, dans son collègue, dans son client ; il gagne moins mais sur la durée. C’est probablement le pire attelage qu’on puisse imaginer. » (p. 116)

 

3- Sur les mesures de base à prendre :

«–  Mon raisonnement, [répondit Éric] part d’une question : à votre avis, madame de Suze, pourquoi les banques gagnent-elles autant d’argent ?

– Peut-être parce qu’elles emploient les meilleurs ? suggéra Sybille avec un sourire complice.

– Non, ça marche dans l’autre sens : c’est parce qu’elles gagnent énormément d’argent qu’elles peuvent embaucher les meilleurs. Si les banques gagnent tout cet argent, c’est parce qu’elles gèrent de façon privée un service public vital : la monnaie et le crédit. Personne ne veut voir ce service public disparaître, alors les autorités de contrôle des banques sont devenues les autorités de protection des banques. Elles veillent à ce que même la banque la moins efficace surnage et donc à ce que les banques efficaces fassent des profits obscènes. Elles aident aussi les grandes banques à racheter les petites : cela simplifie leur contrôle.

– Certes, mais cela fait un siècle et demi que cela dure, non ? remarqua Sybille.

– Oui, mais il s’est produit depuis vingt ans quelque chose de complètement nouveau : des innovations financières permettent de spéculer dix fois plus, avec dix fois moins de capitaux. On aurait pu limiter ces innovations ou interdire aux banques de les pratiquer. Au contraire, on a autorisé les banques à développer ces techniques et elles l’ont fait avec d’autant plus d’audace qu’elles continuaient de bénéficier de la garantie publique : si une banque a un problème, la collectivité vient à la rescousse. Les banques ont fait ce qu’essaient de faire tous les services publics : se développer dans des activités rentables à côté de leur service public. Voyez l’Église au Moyen Âge et toutes ses activités économiques. Voyez les armées du Tiers-monde et leurs trafics en tout genre.

Sybille se dit qu’il devait se faire des amis dans la banque, avec cette dernière comparaison.

– C’est clair et pertinent. Mais que proposez-vous ?

– Trois choses simples : premièrement, interdiction de spéculer pour les banques, deuxièmement, la garantie publique devient payante, troisièmement, plus de trop grosses banques. Avec ces trois mesures, la sécurité reviendrait.

– Plus d’activités spéculatives, alors ?

– Si, mais menées par des entreprises non bancaires, contrôlées comme on contrôle les casinos.

– Cela va limiter l’innovation financière : n’est-ce pas gênant ?

– Gênant pour qui ? Vous connaissez l’avis de Paul Volker, le prédécesseur d’Alan Greenspan à la tête de la banque centrale américaine ? La seule innovation financière utile de ces vingt dernières années aura été le distributeur de billets. On aurait pu se passer des autres.

Sybille était troublée. Ce type était dangereux. » (p. 101-2.)

 

En effet ! Comme l’auteur ! Et c’est pour ça qu’il faut lire ce polar.

1. Independent Commission on Banking, (« Rapport Vickers »), Final  Report, Recommendations, September 2011, disponible sur Internet.