Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,…

Remerciements pour l’invitation à remettre le Prix « Salustro 2016 ».

Communication préalable à la remise du Prix :

L’occasion m’avait été donnée de vous présenter en Mars 2014 les réflexions d’un Comité que l’AFEP et le MEDEF m’avaient demandé de présider sur un sujet essentiel : « La révision du cadre conceptuel comptable et la réforme du processus de normalisation comptable européen ». Ce Comité avait deux missions : recueillir les avis des utilisateurs des comptes établis en normes internationales, en particulier les préparateurs et les chefs d’entreprise ; et présenter des recommandations quant à l’amélioration de ces normes d’une part, et de leur processus d’adoption par l’Europe d’autre part.

Après presque 10 ans d’utilisation des normes IFRS, cette initiative était fondée sur quatre constats que l’on peut résumer de la manière suivante :

  • L’insatisfaction d’un certain nombre d’entreprises sur le caractère complexe, contre intuitif, et contracyclique de certaines normes ;
  • Le rôle des normes internationales trop largement fondées sur la Full Fair Market Value dans l’accélération et l’élargissement de la crise financière de 2007-2009 et de la crise des dettes souveraines de la zone euro qui l’a suivie.
  • Les difficultés du processus de convergence engagé entre les normalisateurs internationaux et américains, l’IASB et le FASB, dont l’impasse s’est depuis lors confirmée, alors que cette convergence était souhaitée par le Groupe des Vingt, le G20 et tous les acteurs internationaux, en particulier les régulateurs de marché et les superviseurs prudentiels.
  • La perte d’influence de l’Europe en matière comptable à partir du règlement d’adoption des IFRS de 2002, et ses inconvénients pour la défense de son modèle de développement économique et pour la stabilité financière ; la nécessité, pour y remédier,  de revoir le processus d’adoption des normes.

Les recommandations du groupe de travail AFEP-MEDEF, publiées en Juillet 2013 couvraient trois éléments :

  1. Le cadre conceptuel du référentiel international.

Comme le référentiel IFRS est fondé sur des principes et non sur des règles, le cadre conceptuel en est une pièce essentielle. Il doit avoir une place prépondérante dans la hiérarchie des normes. Nous avons recommandé que l’Union Européenne s’emploie à influencer la révision de ce cadre avec deux objectifs : une meilleure prise en compte de la réalité économique par les normes et la réintroduction des principes de prudence et de fiabilité afin de préserver la stabilité financière et de réduire la volatilité des comptes.

  1. La réforme de la structure et de la gouvernance du dispositif européen d’adoption des normes internationales.

Pour que l’Union Européenne soit en position de parler d’une seule voix dans le domaine comptable, nous avons suggéré d’ouvrir l’EFRAG en y faisant entrer les autorités publiques et la Banque Centrale européenne, ainsi que les normalisateurs comptables nationaux. Nous avons proposé que le Conseil (le Board) repose sur deux piliers, l’un technique et l’autre économique, pour mesurer systématiquement l’impact des normes sur le développement économique de l’Europe et la stabilité financière.

  1. Le problème de souveraineté

Tous les membres de notre Comité ont jugé indispensable de rétablir la souveraineté européenne en matière de comptabilité, car c’est un  domaine stratégique pour l’économie. Pour cela, il fallait doter l’Union des moyens nécessaires pour modifier ou remplacer une norme comptable jugée contraire aux intérêts de l’Europe et à sa compétitivité.

Ces recommandations ont été pour une bonne partie reprises en Octobre 2013 dans un rapport préparé sous la direction de Philippe Maystadt à la demande du Commissaire Michel Barnier. Seule l’idée de créer un pilier «économique» à l’EFRAG n’est pas apparue opportune.

Depuis lors, d’intéressantes évolutions sont intervenues :

  1. Le cadre conceptuel des normes internationales est en bonne voie de révision si l’on en croit les orientations prises par l’IASB sur un projet que l’on s’accorde à considérer prioritaire. Quatre progrès sont envisagés :
  • Le concept de prudence doit être réintroduit comme un principe fondamental de l’exercice du jugement dans des conditions d’incertitude.
  • Le cadre conceptuel pourrait réintroduire explicitement la référence à la prééminence du fond sur la forme. C’est essentiel pour assurer une représentation fidèle des opérations réalisées et pour permettre au chef d’entreprise de restituer, dans ses comptes, la performance économique réelle de sa gestion.
  • Le cadre conceptuel devrait consacrer le « modèle mixte d’évaluation » auquel nous sommes très attachés en reconnaissant tant la valeur actuelle que le coût historique comme des méthodes d’évaluation pertinentes pour l’établissement des comptes. Quel chemin parcouru depuis les années 90, et les tentatives d’imposer la « Full Fair Market Value » partout dans le monde par les principaux normalisateurs comptables !
  • Enfin, le cadre devrait reconnaitre la notion de modèle d’activité et admettre que le compte de résultat est la principale source d’information pour mesurer la performance d’une entreprise.

Si ces intentions sont confirmées, les demandes essentielles exprimées par les autorités européennes en la matière auront été entendues.

  1. La réforme de l’EFRAG a été engagée il y a 18 mois, et l’institution dans sa nouvelle structure est désormais pleinement opérationnelle. Elle est dotée d’un Président « désigné » (par la Commission européenne), ancien parlementaire européen, qui devrait prendre ses fonctions en Juillet lorsque cette désignation aura été confirmée par l’Assemblée Générale de l’EFRAG.

Il est pour lui – je le cite[1] – « …. crucial que la normalisation internationale soit conforme aux principes comptables européens (image fidèle, prudence, fiabilité…) et que les besoins spécifiques de l’Europe soient pris en compte… » Les études d’impact devront être renforcées afin de mesurer – je le cite à nouveau –  les « conséquences macro-économiques de l’adoption des normes ainsi que les effets des méthodes comptables sur la croissance économique et la stabilité financière ».

L’EFRAG s’apprête à intégrer dans son programme d’action les objectifs que nous avions assignés au « pilier » économique dont nous avions suggéré la création.

Le Conseil de l’EFRAG accueille désormais un nombre important (huit) de normalisateurs comptables nationaux, ainsi que les trois Autorités européennes et la BCE qui ensemble ont souhaité se limiter à un rôle d’observateur. Il appartiendra donc au Président de rechercher le consensus des parties prenantes comme une priorité afin d’être en mesure de peser au niveau international.

Cela passe en particulier par la définition des critères d’adoption des normes et notamment le critère « intérêt public européen », car il ne peut y avoir de consensus sur les normes si les critères de jugement ne sont pas partagés et compris par tous de la même manière. Cette évolution paraît en bonne voie.

Tel est le bilan que l’on peut me semble-t-il tirer, à ce jour, de la révision du cadre conceptuel des normes et de la réforme de l’EFRAG. Il me semble vraiment positif. J’espère que toutes les orientations actuellement envisagées entreront bien dans les faits. Il nous appartient à tous d’y veiller.

[1] Déclaration de M. Jean-Paul Gauzès devant le Comité économique et financier du Parlement européen le 30 Mai 2016.