Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise

 

La stratégie activiste consiste pour des fonds d’investissement à prendre une part minoritaire mais non négligeable du capital d’une société (de l’ordre de 3 % à 15 %) et à user de leur influence pour induire des changements. Ces changements peuvent porter sur la stratégie d’entreprise, ses investissements ou sa politique financière. L’Américain Carl Icahn est l’un des plus célèbres d’entre eux (avec notamment des positions gagnantes dans Time Warner, Netflix ou encore Apple). Les fonds spécialisés dans l’activisme actionnarial sont devenus des acteurs majeurs du capitalisme, et l’enjeu de vifs débats dans la communauté académique. On leur reconnaît le plus souvent une capacité à créer de la valeur actionnariale, mais on les soupçonne parfois de court-termisme. La question de leur régulation est posée. L’article que nous présentons ce mois[1] défend, étude empirique à l’appui, l’idée que les fonds activistes favorisent l’innovation des entreprises.

L’étude reprend pour l’essentiel un échantillon construit pour une publication précédente (avec en partie les mêmes auteurs) et qui fait référence sur le sujet[2]. Cette étude montrait que l’annonce d’une prise de position d’un fonds activiste dans le capital d’une entreprise entraînait une hausse du cours de bourse de la cible d’environ 7 % (aux États-Unis, sur la période 2001 à 2006). Précisons d’emblée que la principale limite de cette étude, et par conséquent également de celle que nous présentons ici (même méthode de sélection mais de 1994 à 2007), est liée à la construction de l’échantillon. Puisque « fonds activiste » n’est pas une catégorie juridiquement reconnue, toute méthode de sélection des événements pertinents peut être discutée. Cette importante mise en garde étant faite, l’ensemble de l’étude est mené de façon extrêmement rigoureuse, et les résultats sont significatifs.

Les auteurs constatent dans un premier temps que les dépenses de R&D des cibles ont tendance à se réduire après l’arrivée des activistes (réduction en moyenne de 20 %), mais que cette réduction est proportionnelle à la réduction globale des actifs (le ratio R&D sur actifs reste stable). Autrement dit, la réduction des dépenses de R&D semble seulement liée à la volonté des activistes de recentrer l’activité, et non à une vision court-termiste sacrifiant la R&D. Surtout, les résultats de la R&D (quantité et qualité des brevets obtenus) apparaissent pour leur part en augmentation. Moins d’inputs, plus d’outputs : ces premiers résultats soutiennent l’hypothèse d’une amélioration de la politique de R&D.

L’analyse montre ensuite que l’amélioration des résultats de la R&D est très forte pour les entreprises qui avaient un large portefeuille de brevets avant l’intervention et qui ont décidé de se recentrer sur leur domaine d’expertise. L’arrivée de l’activiste entraîne de leur part la vente de nombreux brevets ; il s’agit le plus souvent de brevets de bonne qualité[3], mais qui ne correspondent pas au cœur de métier de l’entreprise. Ce résultat fait dire aux auteurs de l’étude que l’activisme actionnarial favorise une meilleure allocation macroéconomique des résultats de la R&D. Ils font le même constat concernant le capital humain : les « inventeurs » qui restent après l’intervention sont plus efficaces, et ceux qui partent voient aussi leur productivité augmenter avec leur nouvel employeur.

Plusieurs autres tests sont effectués pour renforcer la présomption de causalité entre activisme et amélioration de l’innovation. Par exemple, les auteurs montrent que les campagnes activistes hostiles (celles où le management résiste) ont le même effet sur l’innovation que les campagnes amicales. Ils mesurent aussi que l’annonce de l’obtention d’un brevet entraîne une hausse du cours de bourse plus significative après l’arrivée de l’activiste, même lorsque le brevet a été conçu avant. Le marché a davantage confiance en l’utilisation qui sera faite du brevet obtenu.

Ces résultats amènent une conclusion sans nuance : les activistes créent de la valeur, une partie de cette création de valeur provient d’une amélioration de l’innovation, et l’action de ces fonds a pour conséquence une meilleure allocation des ressources de R&D. D’autres travaux sont beaucoup moins catégoriques sur les bienfaits de l’activisme actionnarial. Mais dans le débat sur la régulation des fonds activistes, cette étude pèsera.

 

[1] A. Brav, W. Jiang, S. Ma et X. Tian (2018), « How does hedge fund activism reshape corporate innovation? », Journal of Financial Economics, vol. 130, pages 237 à 264.

[2] A. Brav, W. Jiang, F. Partnoy et R. Thomas (2008), « Hedge fund activism, corporate governance, and firm performance », Journal of Finance, vol. 63, pages 1729 à 1775.

[3] La qualité est mesurée par le nombre de citations reçues par le brevet, une mesure imparfaite mais standard dans la littérature.

 

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°164 de janvier 2019. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 22 janvier 2019.