Aider l’économie : méthode européenne ou américaine ?
Deux approches très différentes en matière de support à l’économie dans cette période dangereuse comme jamais. Pour simplifier, la plupart des pays européens retiennent comme axe prioritaire l’aide aux entreprises afin de maintenir le lien salarial et éviter une explosion du chômage ; les États-Unis retiennent en grande part des aides directes aux ménages, en particulier à ceux qui subissent des pertes d’emploi.
Quel est le mieux ?
Le schéma européen est assez bien connu, puisque c’est celui que pratique aujourd’hui la France, selon une formule qui avait été jugée très efficace quand l’Allemagne l’avait inaugurée lors de la Grande récession de 2008 : les entreprises sont fortement incitées à garder leur personnel en place, y compris ceux qui n’ont plus d’activité et qui restent à la maison en chômage technique. Le gouvernement prend en charge une fraction importante du salaire : 75% pour le Danemark par exemple, 80% pour le Royaume-Uni, 84% pour la France (salaire net) sur base du programme déjà existant d’aide au chômage technique. Il y a en général une limite sur la période couverte et dans le temps et sur le niveau de salaire couvert : 4,5 fois le SMIC dans le cas français, beaucoup moins dans le cas britannique.
Le système retenu par les États-Unis est différent : ce sont les ménages qui reçoivent une allocation forfaitaire (1.200 $ par adulte et 600 $ par enfant) tandis que les allocations chômage (garanties par les États fédérés) sont accrus de 600 $ par semaine et leur versement prolongées de 3 mois. Les travailleurs des petits boulots à la Uber sont admis à cette couverture. Par ailleurs, rejoignant le système des prêts garantis aux PME retenu dans le plan Macron, un fonds public de 366 Md$ est mis en place pour garantir des prêts offerts par le système bancaire à des entreprises en difficulté de trésorerie. Les entreprises éligibles doivent être des PMI de moins de 500 salariés et de plus de 50 salariés – bizarre fourchette qui sort du dispositif 80% des salariés –, le prêt court sur une période de deux mois, ne peut dépasser 10 M$ et son remboursement n’est pris en charge par le Trésor public au bout des deux mois qu’à la condition qu’il n’y ait pas eu de salariés licenciés. On note ainsi que les schémas américains et européens ne sont pas opposés de façon polaire : il y a également une aide directe aux entreprises aux États-Unis.
Pour l’instant (mais le temps court vite en cette période), il semble que le schéma de prêts rencontre un succès très mitigé aux États-Unis. Le chômage a littéralement explosé aux États-Unis. En date du vendredi 20, les déclarations de mise en chômage par semaine (qui déclenchent les allocations) atteignaient les 6,6 millions de personnes, partant d’un niveau de de l’ordre de 300.000 et qui n’avaient atteint les 500.000 qu’au plus fort de la Grande récession de 2008 (graphique). En deux semaines, ce sont plus de 10 millions d’emploi qui ont été détruits.
Source : New-York Times, 2 avril 20.
Il est probable / souhaitable que le système de prêts aux entreprises va monter en régime, de sorte que le verdict doit attendre pour juger de la pertinence des deux modes d’action. Mais on peut déjà tenter une analyse points négatifs / positifs du modèle américain.
Négatif :
- Le système de prêts semble compliqué et sa mise en place difficile, notamment si la banque a de mauvaises (ou aucune) relations avec l’entreprise qui sollicite le prêt. Sa durée est courte et sa conditionnalité assez sévère : il faut garder impérativement l’effectif en place, ce qui paraît moins simple qu’il semble à premier abord. Le système européen est plus souple, sans cet effet couperet.
- La rupture du lien salarial est très coûteuse pour l’entreprise et surtout pour le salarié. Il faudra procéder à une nouvelle embauche quand l’économie repartira. L’angoisse de la perte d’emploi n’est que faiblement compensée par l’allocation. Les effets aval sur la consommation sont d’autant plus forts.
- Le licenciement fait perdre la couverture santé du salarié, si importante en période épidémique. C’est d’ailleurs souvent pour limiter ce coût que l’entreprise préfère le licenciement.
Positif :
- Les tenants du schéma retenu par le Congrès américain font valoir que le mal est déjà fait, comme le montre la courbe ci-dessus. Ce sont désormais les ménages en chômage qu’il faut aider.
- De plus, l’économie ne dispose pas de l’ensemble des filets de sécurité dont disposent les pays européens, notamment en matière de santé. Priorité donc à l’aide aux ménages.
- La culture des entreprises aux États-Unis est de réagir à un choc spécifique sur leur demande par un ajustement immédiat de la main-d’œuvre, pour réembaucher que quand les choses vont mieux. L’argument néglige le fait que ces chocs individuels sont désormais transversaux, simultanés et d’une violence extrême de sorte que leur effet macro est d’un ordre de grandeur qui dépassent la somme des chocs individuels. Il n’y a plus la mutualisation habituelle.
Il y a bien sûr des voies qui s’élèvent fortement pour qu’un schéma à l’européenne soit retenu. Par exemple, de la part d’Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, ces deux économistes français qui sont intervenus activement dans le débat fiscal de la Primaire démocrate. Mais il est dur à présent pour la lourde machine législative américaine, pénalisée par un affrontement politique désormais frontal, de faire marche arrière.
Il faut donc souhaiter pour le sort de l’économie américaine et de sa population – et par effet indirect celui des nombreuses économies qui en dépendent – que le schéma de prêts bancaires va fonctionner. Les premiers chiffres laissent hélas sceptiques.
Vos réactions
Tout a fait ok avec l’analyse. En revanche en période électorale Donald Trump peut imprevisible sur les aides qu’il peut proposer et sur sa politique économique….et ceci peut aussi être amplifié par la chute du cours du pétrole….
Report comment