Les travaux de l’Académie sur l’allocation du prix d’acquisition (Purchase Price Allocation – PPA) s’inscrivent dans le cadre de la norme IFRS 3 révisée par l’IASB et publiée en janvier 2008. Cette version révisée, publiée au JO de l’Union européenne du 12 juin 2009, est applicable aux opérations de regroupement réalisées postérieurement au début du premier exercice ouvert à compter du 1er juillet 2009, soit à compter de l’exercice 2010 pour les groupes dont l’exercice coïncide avec l’année civile.

Les coûts accessoires. En premier lieu, les nouvelles dispositions d’IFRS 3 révisée prévoient la constatation en charges des coûts accessoires à l’acquisition, qui ne feront donc plus partie du coût d’acquisition, contrairement aux dispositions actuelles des normes comptables françaises et internationales. Autant dire que les entreprises souhaitant réaliser des opérations de croissance externe risquent de se montrer plus vigilantes sur les commissions ethonoraires des banques d’affaires, des cabinets d’avocats, des cabinets d’audit, des experts en évaluation et de tous les conseils intervenant à l’occasion d’un regroupement d’entreprises !

La valorisation des composantes. En second lieu, toutes les composantes de la transaction devront être extériorisées et valorisées : les différents engagements existants (clauses de révisions ou de compléments de prix conditionnés ou non, rachats complémentaires futurs, puts sur minoritaires1, garanties données par le vendeur…), ainsi que toutes les composantes non monétaires du prix d’acquisition devront être identifiés et donner lieu à un travail de valorisation appropriée. Une fois déterminé le prix d’acquisition, ce dernier devra être alloué aux actifs et aux passifs de l’entité acquise, évalués à leur juste valeur à la date de la transaction.

 

UN OUTIL STRATÉGIQUE POUR LES DIRECTIONS FINANCIÈRES

Dans sa nouvelle conception, le PPA, à condition d’être intégré dès les phases préliminaires de la transaction, va progressivement constituer un outil stratégique à destination tant des directions financières des groupes acquéreurs, que de leur direction générale. Quelles sont les raisons fondamentales ayant motivé l’acquisition de la société cible : s’agit-il d’acquérir une marque, une technologie, un capital humain, un carnet de commandes ou d’exploiter les synergies potentiellement dégagées par l’opération ? Elles se traduiront explicitement dans les comptes. Voilà un bel exercice de rationalisation du prix d’acquisition comme du caractère relutif de l’opération2 annoncé aux actionnaires et aux investisseurs, qui pourront ensuite vérifier la cohérence et la pertinence des options stratégiques retenues par l’entreprise acquéreuse… La réévaluation des actifs et passifs comptables de l’entité acquise à la juste valeur et la reconnaissance comptable d’actifs incorporels à durée de vie définie ne figurant pas au bilan de la cible auront pour effet de réduire le résultat post-acquisition de l’entreprise regroupée du fait de l’accroissement du poids des amortissements, dans des proportions qu’il faudra dorénavant anticiper.

 

De la valorisation des actifs incorporels… La multiplication des actifs incorporels pouvant ainsi être reconnus en comptabilité d’acquisition rendra plus défavorable la comparaison de la performance (en termes de résultat net mais pas d’Ebitda) du groupe acquéreur avec celle de ses concurrents n’ayant pas procédé à des opérations de croissance externe. D’où l’intérêt de cerner les actifs incorporels stratégiques à reconnaître au plan comptable : doivent être distingués de l’écart d’acquisition (non amortissable en normes IFRS, rappelons-le) les actifs à la source de la création de valeur de la cible, lorsqu’ils sont identifiables. Cette condition est remplie, au plan comptable si l’actif incorporel est séparable, c’est-à-dire qu’il peut être séparé de l’entité, vendu, transféré, concédé par licence, loué, échangé, ou s’il résulte de droits contractuels ou légaux, que ces droits soient ou non cessibles ou séparables de l’entité.

On observera, avec regret (une information non fiable peut-elle être pertinente ?) que la condition de fiabilité de l’évaluation, prévue par la norme IAS 38 sur les immobilisations incorporelles, n’est plus mentionnée par la norme IFRS 3 révisée. Faut-il pour autant s’attendre à davantage d’actifs incorporels comptabilisés dans les bilans des entités regroupées ? Incontestablement, si l’on se réfère à la pratique actuelle (peu d’actifs incorporels reconnus) et à la future présomption de fiabilité des évaluations à la juste valeur d’actifs incorporels acquis dans le cadre de regroupements, même si la prudence restera probablement de mise, au moins au niveau des évaluations, lorsque cette présomption de fiabilitésera contestée.

Il y aura également un équilibre à trouver, dans la finesse de segmentation des actifs incorporels retenus, pour éviter une segmentation excessive qui ne prendrait pas en compte les incidences des réorganisations opérationnelles futures sur la structure du reporting et qui ferait ultérieurement courir le risque de ne plus pouvoir justifier la valeur de ces actifs.

… à l’analyse des écarts d’acquisition. En tout état de cause, il faudra veiller à rationaliser l’écart d’acquisition résiduel en l’affectant, de façon extracomptable, aux éléments susceptibles de justifier le paiement d’une prime par rapport à la valeur des actifs et passifs identifiés, à savoir, pour l’essentiel, trois éléments :

  • la valeur du capital humain (actif non identifiable et donc non reconnu comptablement);
  • la valeur des synergies payées ;
  • la valeur qui sera créée post-acquisition par le développement des actifs existants.

Cet écart d’acquisition, ainsi analysé, sera ensuite réparti, s’il y a lieu, entre les « unités génératrices de trésorerie » (UGT) bénéficiaires des synergies du regroupement. Cette répartition sera réalisée sur la base des flux de trésorerie engendrés par les UGT, avant et après synergies, ce qui conditionnera les futurs tests de validité (ou impairment test) et permettra d’anticiper les impacts des dépréciations qui pourraient être comptabilisées ultérieurement en cas de modification défavorable des conditions d’exploitation ou d’incapacité à atteindre la profitabilité anticipée au moment de la conclusion de la transaction.

 

UN IMPACT SIGNIFICATIF

Autant dire que l’impact du PPA sur le résultat par action post-acquisition du groupe acquéreur pourra être significatif et avoir des incidences collatérales (covenants bancaires, accord d’intéressement groupe, communication financière) qu’il faudra impérativement anticiper pour bien les gérer.

Comme l’illustre leguide pratique de l’Académie, l’exercice du PPA est parsemé d’embûches, en raison notamment de la spécificité des travaux d’évaluation des actifs incorporels identifiés, d’appréciation de leur durée de vie et de suivi ultérieur de leur valeur. Conduire une opération de croissance externe sans anticiper ses impacts potentiels sur les états financiers sera dorénavant mal compris par les investisseurs. Nous prenons le pari que ces nouvelles dispositions se traduiront, à l’avenir, par des prix d’acquisition (et des « fees ») plus raisonnables ! Les normes IFRS vont devenir contracycliques…

 

Cet article est une reproduction d’une contribution originale pour la revue Échanges datée de février 2010.

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1. Comptabilisation des engagements d’achat deminoritaires, ndlr.

2. Augmentation du résultat par action, ndlr.

 

Ndlr : Ont contribué à la rédaction de ce guide téléchargeable sur www.lacademie.info : Pierre Astolfi et Sonia Bonnet-Bernard, Ricol Lasteyrie ; Jean-Philippe Bertin, Conseil Audit & Synthèse ; Jean-Pierre Colle, Grant Thornton ; Frédéric Dunod, Dassault Systèmes ; Olivier Grivillers, Constantin ; Patrick Iweins, Advolis ; Yves Lansoy, Eiffage ; Jean-Louis Mullenbach, Bellot Mullenbach & Associés ; Selma Naciri, CSOEC ; Alain Préel et Yoan Busnel, PTBG ; Nicole Rueff, Savoir-Faire & Cie et Edouard Salustro, Cabinet Salustro.