Beaucoup ont fait preuve de naïveté s’agissant de la régulation bancaire. Les bons économistes de la régulation – par exemple Calomiris (1998), Rochet (2004) – pensaient que la dette subordonnée1 était un bon instrument de financement des banques. L’idée était et reste de mettre en prise sur l’institution bancaire des créanciers :

  • porteurs d’un titre de dette, et donc intéressés au plus haut chef à une bonne solvabilité de la banque,
  • mais d’une dette de second rang, capables de doter d’un airbag supplémentaire les créanciers de premier rang, hors les déposants bancaires déjà protégés par des mécanismes d’assurance,
  • en général investisseurs avertis, et donc capables mieux qu’un particulier déposant de surveiller le management de la banque, et pour finir
  • ayant les moyens financiers, grâce à la très bonne rémunération de la dette subordonnée2, de faire la recherche crédit appropriée pour être en position de faire cette surveillance efficace.

Les régulateurs bancaires voyaient même cela d’un bon œil, raison pour laquelle ils ont laissé foisonner l’offre de papiers hybrides ou subordonnés des banques. On disait que cette dette faisait apparaître une classe d’investisseurs ayant l’intérêt et les moyens de la surveillance. En quelque sorte le troisième pied dans la gouvernance. Pour employer les mots de la régulation dite Bâle 2, on parlait du pilier 3 de la surveillance, celui qui est pris en charge par les marchés et par les investisseurs, celui qui introduit l’œil externe de l’investisseur informé. Je croyais cela moi aussi.

La récente crise financière a démenti tout cela. Les dettes hybrides (la plupart d’entre elles étant subordonnées) ont certes plongé, perdant jusqu’à 70% de leur valeur. Mais, deux ans après, force est de constater que quasiment aucune de ces dettes n’a fait spécifiquement défaut, à part dans le cas où la banque a fait elle-même faillite (Lehman ou Wamu, et quasiment aucune banque en Europe), auquel cas bien sûr tous les titres financiers sont emportés. Les porteurs de papiers hybrides seront, éventuellement au prix d’un recul de la date d’échéance, pleinement remboursés. Pour des banques qui ont été à deux doigts de la faillite, qui ont été renflouées par les gouvernements, l’airbag est resté sagement dans sa boîte, malgré la violence de la percussion. Au prix de quelques émotions, les prêteurs de second rang ont été aussi bien traités que les prêteurs de premier rang, alors qu’ils empochaient des coupons deux à trois fois plus élevés que les créanciers de premier rang (et plus encore pour les déposants qui ne touchent quasiment rien). La conséquence macroéconomique, nous la vivons désormais, et pour longtemps : la dépréciation considérable des actifs des banques n’a en rien réduit l’endettement privé des banques, elle a simplement contraint les États à empiler de la dette publique pour venir au renflouement. L’airbag a été le contribuable.

Qu’est ce qui a cloché ? A mon sens une carence assez générale du droit des faillites, ceci dans tous les pays. Quand une banque (ou une entreprise puisque le cas est général) s’approche d’un défaut sur sa dette subordonnée, les porteurs de cette dette peuvent mettre la banque en faillite, ce qui entraîne les dégâts bien connus de ruée bancaire de l’ensemble des déposants. Il n’y a pas deux faillites, étanches en quelque sorte, une pour les porteurs subordonnés, une autre, bien après, pour les porteurs chirographaires. Un événement de crédit (mot pudique pour dire défaut sur les intérêts ou sur le principal) sur la dette subordonnée entraîne le défaut général. Le coussin amortisseur n’amortit rien du tout. Pourquoi ce trou dans le dispositif légal du droit des faillites ? Tout simplement parce que les instruments subordonnés sont d’existence trop récente et trop limitée pour que les tribunaux et le législateur aient eu l’occasion d’un travail juridique approprié, à savoir des dispositifs spécifiques de « faillite subordonnée ». Ceci dans le contexte ambiant d’un droit des faillites qui est, comme on le constate dans tous les pays, la France ne pouvant pas le démentir, un des domaines du droit des sociétés les moins stabilisés.

Reconnaissons que ce n’est pas facile. Comment un défaut rendu étanche pourrait-il se passer ? Supposons le défaut sur ses intérêts subordonnés de la part d’une entreprise industrielle (pour simplifier). Idéalement, il y aurait nomination d’un représentant de cette classe de créanciers qui verrait avec le représentant des actionnaires, éventuellement sous la supervision d’un officier public, quel type de sacrifice il convient de faire : recapitalisation, conversion de la dette subordonnée en capital, etc. Tout ceci laissant de côté, tant que l’impasse de solvabilité n’attaque pas la dette courante, les créanciers ordinaires. La réalité risque d’être fort différente. Le défaut sur la dette subordonnée et les délais d’un règlement alerteraient les créanciers ordinaires qui prendraient leurs jambes à leur cou, empêchant tout refinancement de l’entreprise et créant l’événement que tous veulent éviter. Ou encore, les actionnaires ou les prêteurs subordonnés prendraient en otage, au hasard de leurs négociations, les prêteurs de premier rang. Les choses seraient pires encore pour une banque3. Pour empêcher cela, il faudrait une maturité du marché de la dette subordonnée capable de traiter rapidement l’arrangement nécessaire entre actionnaires et créanciers secondaires. Cela viendra peut-être avec le temps, avec aussi une standardisation plus grande des produits de dette subordonnée. Nous n’y sommes pas.

A défaut de cela, que peut-on faire ? Une des idées les plus fécondes émises récemment est le capital contingent ou CoCo. Goldman Sachs (2009) se fait avec talent le héraut de ce type d’obligation. Le législateur fixerait les termes d’un titre de dette subordonnée très particulier, dont la clause de résolution s’exprimerait en quelque sorte ainsi : si jamais les fonds propres de la banque venaient à baisser en dessous d’une exigence réglementaire donnée, alors une clause obligatoire forcerait la conversion de tout ou partie de la dette subordonnée en actions de la banque, selon un ratio de conversion prédéterminé.

Ceci mettrait fin à la profusion de papiers hybrides, appelés lower Tier1, upper Tier 2, etc., selon un bestiaire compliqué, que Wall Street appelle maintenant les « funny papers », qui gêne la diffusion et la compréhension des produits et que ne fait que satisfaire l’inventivité et le lucre des banquiers d’investissement.

L’astuce du mécanisme est que le capital se renforce au moment où la levée de capital est difficile pour la banque, précisément parce que sa solvabilité se dégrade. La conversion serait fortement dilutive pour les actionnaires ce qui pousserait le management de la banque a évité la faillite ou en cas de menace de lever du capital supplémentaire. (La banque disposerait au cas où un seuil de conversion se déclenche d’une courte période de grâce où elle pourrait lever du capital pour éviter la conversion.) Avec une telle protection, le régulateur n’aurait plus qu’à prévoir un mécanisme de garantie pour les dépôts bancaires. Le reste de la dette serait réputée ne pas pouvoir être renflouée par l’État : les prêteurs de premier rang, à l’exception des déposants, prendraient pleinement leurs risques.

On en parle trop peu en Europe !

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1 Ou titres juniors ou mezzanine, c’est-à-dire une dette dont les porteurs viennent « après » les créanciers seniors ou chirographaires dans l’accès aux actifs de l’entreprise en cas de défaut.
2 De l’ordre de 600 à 800 points de base, contre une rémunération de 100 points de base pour une obligation classique.
3 Pour une banque, crise de liquidité entraîne crise de solvabilité et faillite. Northern Rock en est un exemple bien connu (au final, la banque a été renflouée par le Trésor britannique).

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Calomiris, C. W., « Blueprints for a New Global Financial Architecture », United States House of Representatives, Joint Economic Committee, October 7, disponible sur internet, 1998.

Golman-Sachs, 2009, « Ending « Too Big To Fail » », décembre, http://www2.goldmansachs.com/ideas/global-markets-institute/featured-research/effective-regulation-part-5.pdf.

Rochet, Jean-Charles, « Rebalancing The Three Pillars of Basel II », Actes de la conférence organisée par Federal Bank of New York, Economic Policy Review, septembre, 2004, disponible sur internet.