Il faut se pencher plus avant sur les services que rend l’assurance et les comparer à ceux que rendent les marchés financiers, ce qui oblige à prendre en compte deux choses, la liquidité et l’information imparfaite :

  1. Le risque est parfois d’une intensité trop importante pour que les investisseurs soient en mesure de l’assumer. Ils doivent se couvrir sur des marchés plus vastes, et le marché de l’assurance en est un, qui plus est régulé et donc offrant des protections spécifiques pour les investisseurs qui le financent.
  2. Il y a des frottements et imperfections dans la circulation de l’information (aléa moral, sélection adverse, problème d’agence, etc.). Dans cet environnement moins fluide, il convient de sélectionner et de surveiller les risques, en un mot de les manager.

 

D’où un essai de classification :

  • Quand les risques sont très simples à surveiller et à identifier, l’entreprise y suffit et les marchés financiers peuvent parfaitement les absorber.
  • Quand les risques restent objectifs, mesurables, propres à une indemnisation calculable, mais un peu complexes à surveiller, l’assurance est un moyen efficace et moins onéreux que les marchés financiers. En effet, la fonction de l’assureur est de surveiller et d’auditer, et de le faire de l’extérieur, ce qui constitue une garantie pour les investisseurs financiers. Un assureur sur grands risques industriels fera autant de prévention et de surveillance que de transferts de risque à proprement parler. D’une certaine façon, l’absence de sinistre sera l’indice que son service de protection aura été efficace. L’assurance-crédit rentre dans cette catégorie : elle délègue à un agent extérieur une partie de la surveillance du poste client et renforce la main du credit manager sur les équipes de vente de l’entreprise, ce qui sur la durée permet à l’entreprise de capter une clientèle de meilleure qualité. Il y a création de valeur en propre. Dans ce cadre, le résultat de MM ne tient plus. L’assurance, c’est-à-dire la fourniture d’une garantie spécifique à l’entreprise, a un impact sur sa valeur. Si la prime s’avère actuariellement juste, elle correspond exactement au montant des flux de trésorerie qu’elle permet en moyenne d’économiser. La hausse de la valeur de l’entreprise s’opère par la baisse du coût du capital.
    A noter ici la position très dissymétrique des investisseurs et du management. L’assurance est plus importante pour ces derniers puisqu’elle réduit la probabilité de faillite, et qu’en général une faillite est plus coûteuse pour un management (qui y perd pour partie réputation et capital humain) que pour l’investisseur, notamment si ce dernier a diversifié son capital. Le capital humain en effet ne se diversifie pas.
  • Les assurances ne sont plus praticables lorsque la complexité des risques dépasse les capacités d’identification par l’assureur. En particulier, le risque d’entreprise lui-même, c’est-à-dire le fait pour l’entreprise de bien naviguer dans son environnement d’affaires, n’est pas assurable, puisqu’elle consisterait à faire en sorte que le management soit de bonne qualité, une chose que mêmes les investisseurs financiers ont toute difficulté à faire. Il n’y a que les fonds propres qui peuvent couvrir ce risque, ce qui illustre à nouveau le fait que les fonds propres sont une assurance ultime et tous risques, la plus coûteuse évidemment. Dans notre exemple de l’armateur vénitien, le risque de l’entreprise était un risque unique, celui de naufrage du parc des bateaux. La réalité de l’entreprise est beaucoup plus complexe et la plupart des risques ne sont pas assurables. En ce sens, l’assurance est donc indissociable du management ou de la gouvernance d’une entreprise.

 

Conclusion, l’assurance est non seulement utile, mais une grande partie de son coût représente une économie de risque et une économie de fonds propres, ou, dit autrement, à fonds propres identiques, une réduction du coût de financement de l’entreprise. N’est-ce pas un bon argument commercial pour les assureurs d’entreprise : les primes d’assurance s’autofinancent en grande partie ? Les directeurs financiers doivent à leur tour user de cet argument auprès de leurs bailleurs de fonds ou de leurs agences de notation pour négocier des spreads plus bas ou des notes plus proches du début de l’alphabet.

 

 
Une remarque sur l’assurance et le CAPM

 

On peut tirer du modèle CAPM un mauvais raisonnement qu’on formule ainsi. Seul le risque non diversifiable ou systématique est coûteux et justifie une prime de risque, prime qui dépend de la corrélation du risque d’entreprise avec le marché financier dans son ensemble. Les risques couverts par l’assurance sont par définition diversifiables (ou spécifiques dans le jargon), à preuve le fait que les assurances les mutualisent dans leur bilan. Avec des marchés financiers complets et liquides, l’assurance ne se justifie pas ou encore les primes doivent être gratuites. Le coût du capital ne dépend pas de la politique d’assurance.

 

Cette formulation appelle un premier commentaire sur la frontière, très élusive, entre risque spécifique et risque systématique. Si toutes les entreprises s’assurent, par exemple contre l’incendie des locaux (qui est du reste une assurance obligatoire) ou contre le risque de change, le risque systématique prend en compte cette constante dans le comportement de l’entreprise. C’est l’entreprise qui ne s’assure pas qui subit une décote.

 

Par ailleurs, on retrouve le raisonnement fait à propos du résultat de MM, en supposant qu’on reste dans son domaine de validité : le risque de l’entreprise (son bêta) avant assurance est constant, ainsi que son coût du capital. La présence d’assurance, qui limite le risque de faillite, est assimilable à une réduction du levier de dette et donc réduit le bêta des fonds propres et de la dette. Une partie du risque a été transférée à ce quasi-investisseur qu’est l’assureur. Ce n’est que lorsque ce risque est parfaitement diversifiable, sans valeur ajoutée spécifique de l’assureur auprès de l’entreprise, qu’il est juste de dire qu’il est déjà pris en compte par le marché, mais un marché au sens large, incluant les assureurs.

 

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