Barbarossa ou pourquoi la régulation est souvent jugée inutile
Sur la très vilaine plaie infectée qu’est devenue la crise financière, il est reconnu de partout que les autorités de régulation américaines portent une responsabilité immense. Mais la faute est partagée. Il était devenu commun, y compris par l’auteur de ces lignes, de considérer un peu inutile ou obsolète la régulation en matière prudentielle, celle qui est là pour empêcher un choc « systémique » (le genre de choc qui provoque une réaction en chaîne menant à une dislocation bancaire ou financière). Il ne pouvait plus y avoir de faillites bancaires en chaîne, parce que les autorités prudentielles y veillaient et avaient de toute façon trouvé depuis longtemps les mesures préventives. L’inflation était soumise et les économistes s’émerveillaient de la progressive réduction des cycles économiques, c’est-à-dire de la volatilité réelle, même si il fallait peut-être la payer d’un surcroît de volatilité financière. Ils en félicitaient les banquiers centraux. On ne s’attendait pas à ce que le risque systémique, telle une mutation de virus, s’infiltre dans le fonctionnement des marchés financiers, via l’agent porteur qu’a été la titrisation, jusqu’à faire que le marché monétaire, l’emblème même d’un marché infiniment liquide et concurrentiel, connaisse une panne géante. La régulation devenait un fardeau, surtout dans une France toujours naturellement poussée par sa vision louis-quatorzienne à une main lourde de l’Etat en ces matières.
Mais pour se chercher des excuses, il y a peut-être un autre motif derrière cette négligence, ce que j’appellerais la problématique des événements rares, tel Pearl Harbour, le 9/11 ou l’opération Barbarossa. Dans ces trois cas, respectivement Roosevelt, Bush et Staline ont été surpris par des événements dont pourtant certains signes évidents montraient qu’ils se préparaient. La difficulté vient précisément que les signes avant-coureurs ne sont pas si évidents et ne paraissent comme tels qu’après coup, quand on connaît la suite de l’histoire, c’est-à-dire la réalisation du risque. Les informations dites pertinentes sont mêlées à un flot d’autres informations et il est difficile de trier le bon signal du mauvais, dont bien sûr des informations que vous favorisez parce qu’elles répondent à vos préjugés. Staline voulait la paix à tout prix avec Hitler, parce qu’il ne s’estimait pas prêt militairement, raison pour laquelle il niait le danger et ne se préparait pas. D’autant que si vous donnez la réponse correcte aux menaces, le risque ne va pas se matérialiser. Plutôt que l’explosion des Twin Towers, on aurait eu l’arrestation de quelques suspects terroristes prenant des cours de pilotage d’avion. Et personne n’aurait imaginé ce qu’on avait évité. Une démonstration préalable de force de l’armée soviétique aurait peut-être dissuadé Hitler d’attaquer. (C’est peut-être ce que Staline avait cherché à faire en attaquant la Finlande, mais ça avait raté, et sans doute envoyé le signal inverse à Hitler.)
Et donc, comme le danger ne se matérialise pas, on en vient à supposer que les protections sont inutiles. La faillite de LTCM en 1998 a été l’un des signes précurseurs du danger de marchés passant d’un extrême de liquidité à un autre. Mais les politiques et l’industrie financière ont trop vite été rassurés par la prompte intervention de la FED. L’incapacité de la FED à agir sur les taux longs en 2005 après qu’elle avait fortement remonté les taux courts aurait dû aussi inquiéter, mais tout continuait à bien se passer, tel le Titanic accélérant dans la nuit calme. La régulation est alors vue comme inutile, voire un fardeau, parce qu’il n’y a pas de crise, alors qu’il faudrait penser qu’il n’y a pas de crise parce qu’il y a la régulation. Comme une assurance incendie pour votre maison, elle est faite pour ne pas servir. Il est clair maintenant qu’il faut vite doubler le nombre d’extincteurs.
François Meunier