Cette année marque le 50anniversaire de la publication de l’article de référence de Fischer Black et Myron Scholes: The Pricing of Options and Corporate Liabilities. Cet article décrit une méthode pour déterminer le prix d’une option d’achat, un contrat financier qui donne à son détenteur le droit (mais pas l’obligation) d’acheter un actif financier, appelé l’actif sous-jacent, à un prix et à une date future prédéterminés. Malgré toute son importance, la formule elle-même n’est pas la contribution-clé de l’article, car certaines versions de celle-ci étaient connues bien avant Black et Scholes, notamment à partir de la thèse de doctorat de Louis Bachelier, publiée en 1900 et intitulée « Théorie de la Spéculation ». La contribution principale réside dans la méthode utilisée par Black et Scholes pour prouver que la formule est vraie.

Pour comprendre leur idée, pensez à une option d’achat. Son prix devrait clairement dépendre du prix de l’actif sous-jacent : lorsque le prix de l’actif est élevé, le prix de l’option associée devrait également être élevé, et de même, lorsque le prix de l’actif est bas, le prix de l’option devrait aussi être bas. Au fur et à mesure que le temps passe et que le prix de l’actif fluctue, le prix de l’option fluctuera également. Il devrait alors être possible, en achetant les actifs de manière dynamique, de constituer un portefeuille dont la valeur fluctuera exactement de la même manière que le prix de l’option. Par conséquent, si un trader a vendu l’option et détient ce portefeuille dynamique, sa position ne sera pas affectée par les fluctuations du marché, ce qui le rend essentiellement sans risque.

 

Au fur et à mesure que la théorie de Black et Scholes s’est répandue, les options ont pu être négociées avec une plus grande sécurité, sans prendre trop de risques.

 

C’est là que l’idée fondamentale de Black et Scholes entre en jeu : si la position est sans risque, le rendement de cette position devrait être égal au rendement de l’actif sans risque, tel qu’une obligation d’état. Le concept sous-jacent à cette idée s’appelle « absence d’arbitrage ». Si le rendement de la position sans risque du trader était différent du taux d’intérêt, le trader pourrait gagner de l’argent sans prendre de risque et devenir très riche très rapidement. En reconnaissant que le rendement du portefeuille couvert est égal au taux d’intérêt, Black et Scholes ont ensuite dérivé une équation pour le prix de l’option, dont la solution est donnée par la formule de Black-Scholes.

L’importance de l’approche de Black et Scholes réside dans le fait que leur formule repose sur une stratégie de couverture de l’option : un trader vendant une option au prix donné par la formule B‑S peut immédiatement mettre en place une stratégie permettant de minimiser, voire d’éliminer complètement, le risque associé à cette position. Avant Black et Scholes, de telles stratégies de couverture dynamique ne pouvaient pas être calculées de manière systématique, ce qui ralentissait le développement des marchés dérivés.

Passé et avenir de la formule Black-Scholes

Au fur et à mesure que la théorie de Black et Scholes s’est répandue, les options ont pu être négociées avec une plus grande sécurité, sans prendre trop de risques. Cela a conduit à l’expansion du trading d’options et à la création de marchés d’options, dont le Chicago Board of Options Exchange (1973) ou le Marché des Options Négociables de Paris (1987) et d’autres.

La formule Black-Scholes a connu une jeunesse tumultueuse. Le premier avertissement est venu avec la crise financière de 1987. Une des principales hypothèses derrière la formule est que le prix de l’actif suit une « marche aléatoire en temps continu ». Cela implique que la probabilité d’une forte variation sur une courte période de temps, comme une seule journée, est très faible. Néanmoins, le lundi 19 octobre 1987, désormais célèbre sous le nom de « Lundi noir », le Dow Jones Industrial Average (le principal indice de l’économie américaine de l’époque) a chuté de 22,6 %. Les vendeurs d’options de vente – ces dernières étant conçues pour offrir une protection contre de telles baisses – ont subi de lourdes pertes. Il devenait évident que si la formule Black-Scholes fonctionnait bien dans des conditions de marché normales, elle ne tenait pas compte des événements extrêmes comme le Lundi noir.

La réponse des marchés financiers a été d’ajuster les paramètres de la formule : les options offrant une protection contre les krachs boursiers étaient désormais évaluées avec un paramètre de volatilité plus élevé que les options capturant de petites variations quotidiennes du marché. Cet effet est devenu connu sous le nom de « smile de volatilité » en raison de la forme en sourire que le graphique de volatilité revêt sur les écrans des traders. Depuis lors, des extensions de plus en plus complexes de la formule Black-Scholes ont été développées : volatilité locale, volatilité stochastique, volatilité rugueuse, etc.

Le paradigme Black-Scholes a été remis en question par plusieurs auteurs qui soutiennent que des modèles radicalement différents sont nécessaires pour une meilleure gestion des risques, comme ceux basés sur les fractales introduites par Benoît Mandelbrot. Cependant, ces modèles n’ont jamais pris racine dans l’industrie financière car ils ne permettent pas une couverture efficace. La gestion des risques sur les marchés des options repose toujours sur le principe de couverture dynamique développé par Black et Scholes, et leur formule, bien qu’elle soit rarement utilisée directement, fournit aux traders un langage commun pour exprimer des idées plus complexes.

 

Extrait de l’article publié sur Polytechnique-insights le 6 septembre 2023.