Un des principes de base pour un Trésor public, c’est d’emprunter dans sa propre monnaie. Quand il le peut bien sûr. C’est en effet une manière de ne jamais ou quasi-jamais être en défaut. S’il est défaillant financièrement, il lui reste toujours la voie d’un financement monétaire, ce qu’on appelle la planche à billets, dès lors qu’il contrôle raisonnablement son Institut d’émission. Ce n’est pas un défaut au sens juridique, c’est un défaut larvé, par ponction inflationniste sur sa population et sur ses investisseurs.

Hélas, peu de pays émergents peuvent s’offrir un tel luxe, à la fois parce qu’ils n’ont pas à domicile le réservoir d’épargne capable de les fournir en financement, et parce que les investisseurs internationaux trognent le nez devant des monnaies exotiques. Ils émettent alors dans une monnaie internationale, autrefois la livre sterling, désormais en dollars (et très peu, à notre connaissance, en euros).

Mais alors, revers de la médaille, ils ne peuvent plus manipuler la monnaie et donc courent un fort risque de défaut. Les investisseurs internationaux ne voulaient pas du risque inflationniste (et donc de dépréciation de la devise de référence), les voici qui se retrouvent avec un sévère risque de défaut.

Ce qui conduit à la question posée par le graphique de la semaine : pourquoi donc y a-t-il un marché actif des dettes souveraines « extérieures » (c’est-à-dire non américaines) libellées en dollars ?

La magie d’un graphique, c’est qu’il donne parfois la réponse en un coup d’œil. Ici, le rendement !

On y voit que le rendement (formé à 70% de versements de coupons élevés, et à 30% de plus-value) des emprunts souverains extérieurs s’approche, avec 6,7%, d’un placement en actions américaines sur une période ultra-longue (fin des guerres napoléoniennes) et domine clairement tout autre placement, avec 9,2%, sur la période plus récente 1995-2016.

Ceci est tiré d’une étude très intéressante : « Sovereign Bonds since Waterloo », par Josefin Meyer, Carmen M. Reinhart, Christoph Trebesch.

Attention, la haute performance ne veut pas dire qu’un tel placement est dénué de risque, bien au contraire. Le risque accompagne le rendement, bien sûr, mais il est même possible que la rémunération excède le risque objectif, si important qu’il soit, comme on s’en assure sur ce très joli second graphique, qui fait figurer le nombre annuel de restructuration de dettes extérieures, avec en regard le pourcentage du haircut (de la coupe de cheveux, c’est-à-dire de la part du principal abandonnée par les investisseurs).

Le graphique se noircit à compter des années 1975, parce qu’on y inclue les restructurations de dettes bancaires et qu’en effet les pays émergents ont eu, pour le meilleur et pour le pire et en vertu de l’extension croissante des marchés de capitaux, un accès accru à du financement international (nota : la taille du cercle dans le graphique traduit le montant en cause de l’emprunt : la Grèce figure en bonne place, à droite du graphique, parmi les grosses panades).

Il faut d’ailleurs noter qu’un défaut n’est pas forcément une catastrophe pour le porteur de l’obligation ou du prêt. Certes, il doit subir le « haircut », mais l’État arrive, parfois avec le secours du Club de Paris, à reprendre le service de sa dette. On tombe de plus sur le paradoxe bien connu du rachat de dette : quand un pays qui a subi un défaut voit le prix de sa dette tomber au plancher, il est souvent tenté de racheter sa dette sur le marché à ce qu’il pense être à bas prix. C’est très souvent ce qu’on lui conseille. Erreur ! ce rachat fait remonter le prix de sa dette, à l’avantage de ses créanciers et au détriment de son ratio d’endettement.

Le dernier graphique est éloquent : un investisseur s’y retrouve toujours, à condition que la coupe de cheveux ne s’approche pas d’une boule à zéro, et qu’il soit raisonnablement patient.

On est même tenté de suggérer – ce que ne font pas les auteurs de l’article – que le renforcement des pouvoirs des créanciers depuis deux ou trois décennies, avec notamment la venue des fonds vautours sur le marché de la dette souveraine, a fait monter la pression sur les pays émergents, permettant ainsi le maintien d’un fort rendement nominal des dettes alors que le risque objectif a décru.

Voici donc une classe d’actifs à considérer sérieusement. Et si tout le monde s’en persuade, les rendements iront à la baisse.