L’usage actuel des renforcements de fonds propres massifs en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs pourrait se voir attribuer cette fameuse phrase de Boileau !

François Meunier, dans un récent post, écrit : « Comme toujours là-bas, le combat est juridique, les porteurs d’obligations menaçant le gouvernement, s’il continue avec ses propositions d’allègement des conditions d’endettement des ménages, de rien moins qu’une action judiciaire basée sur le 5ème amendement de la Constitution, celui qui limite l’intrusion du gouvernement dans les relations personnelles et notamment dans les contrats légalement passés entre emprunteurs et investisseurs. »

Cette discussion est sémantique dans le vrai sens du terme. On aura noté que j’ai évoqué la notion de « renforcement des fonds propres » quand la presse et les commentateurs de tous ordres évoquent une « recapitalisation ». Or une recapitalisation – merci de pardonner ce truisme – est une augmentation de capital, ce qui signifie, dans nos pays, un accroissement du nombre d’actions. Et à une action sont attachés des droits et des devoirs.
Pour faire simple, les droits sont de voter des résolutions proposées en assemblée générale, de voter « avec ses pieds » en vendant le titre ; les devoirs sont d’accepter de perdre tout ou partie de sa mise en cas de difficultés, de cessation de paiement ou de faillite. Et de ne recevoir que les sommes résiduelles infimes, éventuellement distribuables après liquidation. Or les pressions de tous ordres exercées par les autorités politiques ayant participé aux refinancements récents d’entreprises privées, industrielles ou de service, montrent que l’on se situe dans le vide juridique évoqué par certains américains via le 5è amendement. Et ce vide juridique est traduit par un vide terminologique : en effet, ces financements d’urgence portent quel nom ?

Selon le principe du tiers exclu, les Etats détiennent des actions de sociétés en difficulté (cas d’AIG qui est devenue une entreprise publique), auquel cas les autorités américaines peuvent agir comme bon leur semble et selon leur perception de l’intérêt général puisqu’il s’agit d’argent du contribuable, ou bien les Etats sont propriétaires de… quoi, en fait ?

S’il s’agit de prêts, leur champ d’action est régi par le droit bancaire, s’il s’agit d’obligations ou de titres hybrides, leur intervention est encadrée par les droits cambiaire et commercial, et en aucun cas n’est prévue la possibilité pour ces créanciers de peser sur la stratégie ou de voter en assemblée générale d’actionnaires. C’est ainsi que, pour l’instant, aucun représentant d’un Etat n’a fait irruption au sein du conseil d’administration d’entreprises « aidées ».

Alors quelle est la légitimité, non pas politique, mais juridique, d’un gouvernement de réglementer le mode de rémunération des chefs d’entreprise ? A mon sens, aucun, sauf à considérer que « les patrons ont tort parce qu’ils sont politiquement minoritaires » (Paul Quilès, Congrès du PS en 1981)…

Certes, il s’agit toujours d’une relation contractuelle bilatérale entre l’Etat et l’entreprise qui reçoit les fonds. L’Etat pose des conditions (avec une certaine dose de chantage) en échange d’un financement public, à des taux hors-marché. Si la banque n’en veut pas, circulez ! Mais si l’institution financière prend, alors voici quelques obligations auxquelles elle doit se soumettre : salaires, bonus, etc.

Mais si ces clauses sont imposées après octroi du financement, ce qui a été le cas aux Etats-Unis et en France, il est légitime de considérer qu’il s’agit alors d’une immixtion dans la gestion du bénéficiaire du prêt.

En revanche, si un gouvernement décide qu’une mesure comme celle des salaires des chefs d’entreprise, relève de l’intérêt général et considère qu’une charte (Afep/Medef par exemple) est insuffisamment suivie, alors la recherche de légitimité et de justice doit conduire à la seule voie raisonnable, qui est la voie législative dans le cadre d’un collectif budgétaire ad hoc.

C’est exactement la voie choisie par le Congrès américain en promettant de fixer à 90 % le taux d’imposition des bonus et autres packages versés à des présidents et membres de directions générales d’entreprises ayant failli. A charge aux banques concernées de rembourser les prêts par anticipation : Goldman Sachs a pris les fonds du Trésor américain et veut maintenant les rembourser sans délai, pour ne pas passer sous des fourches caudines qui ne lui conviennent pas !

Il est même à parier qu’une proposition de loi en ce sens (provenant donc d’un parlementaire… proche du terrain) serait votée à l’unanimité, renforçant ainsi, certes le temps d’un vote, la cohésion du pays. On évoquera alors le risque de délocalisation des sièges sociaux. Après avoir été nord-américaine, la réponse à ce souci devrait être d’ordre européen. On n’imagine en effet mal, qu’une société européenne déménage son état-major ailleurs qu’en Europe et aux Etats-Unis !

Mieux, si une telle idée était reprise par les 27 pays de l’Union, dans le cadre de la campagne législative européenne, l’électeur aurait l’occasion de voir, en grandeur réelle, l’importance du Parlement européen. Ce ne serait plus « la faute à Bruxelles », mais « grâce à Strasbourg » !

Il reste donc quelques semaines jusqu’au 7 juin pour que les politiques qui se présentent à nos suffrages insèrent ces commentaires dans leurs programmes. Une loi, votée à l’unanimité par le Parlement européen, au début d’une nouvelle législature, tout de même, cela aurait une certaine allure !

Dominique Chesneau