C’est le marché unique européen, stupide !

Dans un billet récent de son blog The Conversable Economist, Timothy Taylor, mentionne un rapport récent du FMI qui tente de chiffrer l’opportunité perdue par les États membres de l’UE à avoir un marché unique des biens, mais surtout des services et des capitaux, si peu unique. Cela fait écho à ce que rapporte le récent Rapport Draghi. Si l’on cherche une cause de retard de l’UE vis-à-vis des États-Unis en matière de productivité, en voici une. (La rédaction de Vox-Fi)
L’un des avantages remarquables de l’économie étatsunienne est la taille importante de son marché intérieur. Les entreprises peuvent y investir dans de nouveaux biens et services en sachant qu’elles peuvent potentiellement vendre, avec seulement quelques limitations ancrées dans les lois des États, à un grand nombre de clients sur un vaste territoire.
En effet, l’ouverture du marché intérieur américain est ancrée dans la Constitution américaine. L’article 1, section 8, énumère les pouvoirs du Congrès, et la troisième clause donne au Congrès le pouvoir de « réglementer le commerce […] entre les différents États ». En donnant ce pouvoir au Congrès et au gouvernement fédéral, la Constitution a empêché les États d’ériger des barrières au commerce entre eux. Par exemple, bien que les États de l’Union puissent adopter des lois susceptibles de créer des coûts indirects pour les entreprises qui achètent et vendent à travers l’Union, ils ne peuvent pas imposer de droits de douane ou de quotas sur les biens et services importés d’autres États.
L’un des principaux objectifs de la création de l’Union européenne était de reproduire ce « marché unique » et d’offrir ainsi aux entreprises européennes les incitations à l’innovation, à l’investissement et à l’expansion qui résultent d’un accès largement ouvert à un vaste marché intérieur. Mais selon le rapport du FMI sur les perspectives économiques régionales intitulé « Europe : une reprise en deçà du plein potentiel de l’Europe », le projet de « marché unique » de l’UE a encore un long chemin à parcourir (octobre 2024). J’extrais cette citation :
L’écart de productivité de l’Europe par rapport à la frontière mondiale peut être attribué à une taille de marché plus limitée, aux contraintes du marché des capitaux, à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et à l’enlisement des réformes structurelles. L’analyse des données sur les entreprises montre que la segmentation des marchés des biens et des services en Europe empêche les entreprises de se développer, d’investir davantage dans la R&D et de tirer parti des économies d’échelle. De plus, la fragmentation des marchés de capitaux empêche les entreprises de recourir suffisamment au financement par actions. En conséquence, la dynamique des entreprises est freinée, en particulier dans le secteur des services où les start-ups ont tendance à fonctionner avec un capital immatériel important.
Il existe un large consensus sur les causes de la faiblesse de la croissance européenne. Des études d’experts récemment publiées (Letta 2024 ; Draghi 2024) arrivent à la même conclusion, à savoir que la faible productivité de l’Europe est liée à l’insuffisance de la profondeur et de la taille des marchés. Les deux rapports établissent un lien entre le manque de compétitivité de l’Europe et l’inachèvement de son marché unique dans le commerce des biens, des services et des facteurs de production (capital, travail). Les obstacles qui subsistent sont considérés comme encore importants et ont entraîné moins d’investissements et d’innovations que nécessaire pour accélérer la croissance et la productivité à des niveaux observés dans d’autres régions avancées.
Un marché unique plus profond et plus vaste offre la possibilité d’une reprise de la croissance de la productivité. L’intégration européenne a apporté des avantages tangibles en matière de croissance dans le passé et pourrait le faire à nouveau. À la suite des deux vagues d’élargissement de l’UE en 1995 et 2004, les pays membres de l’UE ont commencé à intensifier leurs échanges commerciaux (Figure 15, panneau 1). En conséquence, au cours de la décennie qui a suivi l’adhésion, les régions des nouveaux États membres ont vu leur PIB par habitant augmenter en moyenne de plus de 30 % par rapport aux régions comparables non adhérentes, et les États membres existants ont également progressé.
Il est important de noter que les régions d’Europe qui étaient mieux intégrées grâce aux chaînes de valeur et aux réseaux de transport ont enregistré des gains plus importants. Cependant, l’intégration de la chaîne de valeur a stagné depuis la dernière décennie… et des obstacles importants aux flux de marchandises et de commerce subsistent… Une nouvelle analyse du FMI révèle qu’en 2020, les coûts commerciaux en Europe équivalaient à un tarif ad valorem considérable de 44 % pour le secteur manufacturier moyen, contre 15 % entre les États américains, et jusqu’à 110 % dans le cas des secteurs des services…
Voici un chiffre auquel le FMI fait référence. La ligne bleue foncée représente le commerce intra-UE de marchandises ; la ligne bleue claire représente le commerce intra-UE de services. Comme vous pouvez le constater, le commerce intra-UE de marchandises a considérablement augmenté jusqu’en 2008 environ, mais n’a que légèrement progressé depuis. Le commerce intra-UE de services représente moins de 10 % de leur valeur, 30 ans après la naissance de l’initiative « marché unique » en 1993.
Là encore, le FMI estime que les obstacles au commerce qui subsistent au sein des pays de l’UE équivalent à un tarif douanier de 44 % sur le commerce des marchandises et de 110 % sur le commerce des services. Ces tarifs douaniers élevés sont néfastes pour la croissance européenne, tout comme des tarifs douaniers similaires au niveau des États le seraient pour la croissance américaine. Bien entendu, c’est par le même raisonnement économique qu’on peut expliquer pourquoi une flambée mondiale des tarifs douaniers serait désavantageuse pour la croissance américaine et mondiale.
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