Vont-ils y arriver ? C’est la question qui devrait aujourd’hui obséder les grands dirigeants internationaux au sujet du nouveau président chinois Xi Jinping et de son équipe. Car le paquebot dont ils ont récemment pris la tête semble se diriger vers des eaux de plus en plus troubles, que ce soient en termes économiques, sociétaux, environnementaux mais aussi, chose nouvelle, géopolitiques. Dans La Chine, une bombe à retardement (Eyrolles 2012), nous décrivions les mécanismes à l’œuvre poussant l’Empire du Milieu vers un accident de croissance inévitable dans les trois ans à venir. Notre dernier voyage au cœur du pays n’a fait que renforcer le constat dressé l’année dernière. La Chine semble avoir délaissé sa base industrielle, inspirée du modèle allemand, au profit du modèle espagnol, reposant quasi exclusivement sur la dette, l’immobilier et le secteur de la construction. Mais à cette donnée purement économique traduisant la grande cyclicité du modèle de développement chinois est venue s’ajouter une dimension jusque-là difficilement palpable : une croyance quasi religieuse dans leur supériorité intrinsèque, une arrogance nouvelle traduisant une visée hégémonique à peine dissimulée.

 

Je reviens dans cette tribune sur l’un des éléments les plus marquants issus d’entretiens « hors protocole » réalisés le mois dernier dans la région de Shanghai avec de nombreux chinois, issus de toutes les classes sociales. Le décalage est immense entre le message transmis dans le cadre informel de nos discussions à bâton rompu, et la vision véhiculée par les investisseurs étrangers ou les médias officiels chinois et occidentaux. Tous manifestent une crainte justifiée sur l’économie à court terme mais gardent malgré tout une foi inébranlable dans la capacité de leur pays à accomplir son destin : redevenir la première puissance mondiale, effaçant ainsi l’humiliation que les pays occidentaux lui ont fait subir au ème XIX siècle.

 

Après m’avoir confié le peu de crédit qu’il faut accorder aux chiffres officiels diffusés par les autorités, les entrepreneurs rencontrés sur place ont insisté sur l’ampleur du ralentissement en cours depuis début 2012. Les entreprises industrielles sont celles qui ont le plus souffert, coincées entre des salaires en très forte hausse et leur incapacité à répercuter l’augmentation des coûts de production sur les prix de vente, du fait des surcapacités d’offre industrielle et des problèmes de solvabilité de la demande, qu’elle soit chinoise ou étrangère. Face à ce constat, nombre d’entrepreneurs se sont vus contraints de ralentir voire de stopper leur activité pour préférer s’orienter vers des secteurs plus spéculatifs comme l’immobilier… une véritable fuite en avant.

 

La rupture pour l’économie chinoise s’est produite en 2009 : face à l’effondrement des débouchés à l’export en lien avec la récession brutale des années 2008-2009 dans les pays occidentaux, le gouvernement chinois s’est tourné vers l’investissement dans les infrastructures et l’immobilier. Cette politique a rapidement porté ses fruits, permettant d’enclencher un cercle vertueux de création de richesse bénéficiant à tous les acteurs et compensant le marasme de la conjoncture internationale : « La vente de terrains a permis aux gouvernements locaux d’augmenter leurs recettes fiscales (et au passage d’enrichir substantiellement les détenteurs du pouvoir), la construction des immeubles, des autoroutes, des voies ferrées et des aéroports a créé de l’emploi et ainsi permis la hausse de la consommation des ouvriers, le tout permettant d’afficher de forts taux de croissance et d’assurer du même coup la paix sociale ». Mais le tempo s’est essoufflé depuis bientôt un an : dans l’incapacité de renouveler chaque année autant d’investissements que depuis 2009, la diminution de l’activité de construction explique la perception par la population d’un ralentissement brutal de la croissance et exacerbe la grogne sociale.

 

A plus long terme, le véritable problème auquel doit faire face la nouvelle direction du pays est l’insuffisance de solvabilité des ménages chinois pour rentabiliser un grand nombre de projets immobiliers et d’infrastructure réalisés au cours des cinq dernières années (les TGV ne sont pas assez fréquentés, les autoroutes hors grands centres urbains sont vides, etc.), ce qui pourrait déboucher sur des défauts de paiements en cascade. En ce sens, le système financier chinois se trouve aujourd’hui dans une position extrêmement délicate, coincé entre les incitations politiques en faveur de la poursuite du financement de ce type d’investissement pour sauvegarder la croissance et la paix sociale à court terme, et d’un autre côté, la forte probabilité de défaillance des projets à financer à moyen terme.