Les traits de caractères psychologiques des chefs d’entreprise expliqueraient une partie de leurs choix de financement ; c’est ce que montre le travail empirique très approfondi qui figure dans la Lettre de Vernimmen n°113 de mars 2013.

 

Il est établi depuis longtemps que la structure du capital de certaines sociétés est insuffisamment expliquée par les facteurs théoriques traditionnels : asymétries d’information, taille de l’entreprise, risques, opportunités de croissance, fiscalité… Certaines entreprises restent systématiquement trop endettées, d’autres trop peu. La recherche en finance s’est souvent focalisée sur des facteurs spécifiques à chaque entreprise, mal identifiés, qui expliqueraient la persistance de ce phénomène. L’article présenté propose une autre explication : et si cela venait des dirigeants eux-mêmes ? Certains traits de caractère (excès de confiance, aversion au risque, agressivité) semblent contribuer à expliquer les choix des dirigeants en matière de financement.

 

Les auteurs ont identifié l’excès de confiance parmi les dirigeants de deux manières : à partir de leur comportement en matière de stock-options (2), et à partir de la manière dont la presse les qualifie (confiant, optimiste, etc.). Ce trait de caractère conduit à éviter le financement par capitaux propres. La raison en est que les dirigeants ont tendance à surestimer les flux de trésorerie futurs générés par l’entreprise ; par conséquent, ils considèrent que les actions sont sous-évaluées (la rentabilité exigée du capital est excessive). En cas de recours au financement externe, ils préfèrent la dette aux capitaux propres. Par exemple, selon le critère des stock-options, l’émission d’actions est 37 à 49%  moins fréquente lorsque les dirigeants sont sur-confiants. L’effet est vérifié par de nombreux tests complémentaires, les résultats sont convaincants. L’effet sur la structure du capital est une augmentation du levier financier d’environ 15%.

 

Concernant l’aversion au risque, les auteurs étudient le comportement des dirigeants nés entre 1920 et 1929 et qui ont donc connu dans leur enfance la grande dépression. Ces dirigeants ont tendance à éviter l’endettement. Les auteurs utilisent un critère fiscal pour montrer que ces dirigeants sont sous-endettés : ils ne profitent pas suffisamment de la déductibilité fiscale des intérêts de la dette. En revanche, il n’y  pas d’effet identifié sur la structure financière ; globalement, les résultats sont moins convaincants que sur l’excès de confiance.

 

Pour ce qui est de l’agressivité, les auteurs se sont penchés sur le passé militaire des dirigeants. Ceux qui ont servi dans l’armée ont tendance à penser que l’agressivité et la prise de risque sont facteurs de succès. Toutes choses égales par ailleurs, lorsque le dirigeant présente ce trait de caractère, le levier financier est plus élevé de 13% (l’effet est un peu inférieur à celui de l’excès de confiance). Mais il augmente de 25% si les dirigeants sont des vétérans de la seconde guerre mondiale ! Précisons que les auteurs ont étudié le sens de la causalité ; il se pourrait en effet que les entreprises à fort levier financier attirent et recrutent ce genre de dirigeants. Ils ont vérifié que le levier financier d’une même entreprise avait tendance à augmenter avec un dirigeant agressif.

 

Dans l’ensemble, cette étude très détaillée montre que le caractère des dirigeants joue son rôle en finance d’entreprise, y compris pour des décisions apparemment techniques comme le choix de financement. Les conséquences peuvent être nombreuses, par exemple en matière d’incitation : il faudrait en tenir compte dans les contrats et la rémunération des chefs d’entreprise.

 

(1)      U.MALMANDIER, G. TATE et J.YAN (2011), Overconfidence and early-life experiences : the effect of managerial traits on corporate financial policies, Journal of Finance, vol.66, n°5, pages 1687-1733.

(2)      En cas d’excès de confiance, l’exercice des stock-options se fera le plus tard possible alors même que le dirigeant est surexposé au risque spécifique à l’entreprise.