Marie-Pierre Boisserie : Vous venez de publier avec Cyrille Lachèvre une biographie de Christine Lagarde*. Elle vous a accordé trois entretiens. Cela a-t-il été facile de la convaincre de se livrer ?
Marie Visot :
Christine Lagarde est une femme très pudique, qui n’a jamais médiatisé sa vie privée. Son éducation dans une famille chrétienne de gauche, où l’on parlait peu de soi, explique sûrement cette retenue. Quand nous lui avons annoncé que nous préparions un livre sur elle, je ne vous cache pas qu’elle a grimacé ! Mais Cyrille et moi la connaissons depuis plusieurs années, pour avoir suivi en tant que journalistes son travail à Bercy ; elle savait qu’elle pouvait se livrer en confiance, que nous allions utiliser ses confidences pour dresser un portrait certes intimiste, mais rigoureux.

Comment celle qui a connu des débuts difficiles au Gouvernement a-t-elle réussi à dompter Bercy ?
Par sa force de travail. C’est vrai que ses débuts ont été difficiles : elle atterrissait dans un monde dont elle ne maîtrisait pas les codes. La crise l’a certes remise au centre du jeu politique, mais c’est la manière dont elle l’a gérée qui a convaincu les poids lourds de Bercy de sa légitimité. Elle les a non seulement impressionnés par se résistance physique (elle a quand même été championne de France de natation synchronisée dans sa jeunesse) lors d’interminables nuits de négociations, mais aussi par sa capacité à se plonger dans les dossiers et à monter au front auprès de ses confrères étrangers pour les défendre.
Et puis, c’est aussi une femme qui sait mettre son ego de côté. Dans un ministère très puissant, où l’on ne compte plus les énarques –une caste dont elle n’est pas-, elle a compris que le côté « femme dominatrice » ne paierait pas. Elle a donc opté pour le travail en équipe, en ayant des attentions très personnelles pour chacune des personnes avec qui elle travaille. Ca a marché.
Pour l’anecdote enfin, elle a une phrase amusante quand elle parle de sa relation avec les hommes : « celui qui est beau, tu lui dis qu’il est intelligent ; celui qui est intelligent, tu lui dis qu’il est beau ! »

Votre livre comporte-t-il des révélations concernant la gestion de la crise financière ou les coulisses des grandes réunions internationales ?
Il révèle effectivement un certains nombres d’anecdotes, inattendues, captivantes ou encore amusantes. Ce que nous avons voulu faire, c’est raconter des scènes de crise, comme si le lecteur y était… La première des fameuses « nuits Dexia » qui se termine au petit matin à l’Elysée avec une Christine Lagarde qui oublie d’enlever ses chaussons. La colère qu’elle pique à Bruxelles lors de la deuxième nuit, face à un fonctionnaire belge de mauvaise volonté. Et plus récemment, lorsqu’elle se retrouve dans une réunion avec ses homologues pour sauver l’euro au moment de la crise grecque, obligée de suivre la conférence du G8 avec un écouteur dans une oreille, son portable branché sur la touche « muet » pour ne pas que ses collègues canadiens, américains ou japonais entendent ce qui se dit en Europe !
La ministre de l’Economie est une négociatrice reconnue –son passé d’avocate l’aide- dans les grandes réunions internationales. Nous racontons ses petites techniques : tout savoir sur le ministre des finances coréen pour installer une proximité et la rallier à sa position lors d’un G20 ; avoir au fond de son sac un châle et un éventail pour tenir plus longtemps que ses collègues dans un Eurogroupe ; empêcher les huissiers d’apporter le déjeuner tant qu’un accord n’a pas été trouvé… C’est « la gestion du temps, des egos et des appétits », comme elle dit. Fin 2009, elle a quand même été désignée ministre des Finances de l’année par le Financial Times, qui la présente alors comme une « star de la finance ».

Après plusieurs années passées au ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, va-t-elle accéder à Matignon lors du prochain remaniement ? Ferait-elle un bon Premier ministre ?
Si elle sera nommée à Matignon, on ne le sait pas ! Son nom a circulé, comme d’autres. Il lui manque certainement un réseau politique. Mais au vu des différentes facettes du personnage, elle pourrait faire une bonne premier ministre. D’abord parce qu’être chef d’équipe, elle sait ce que c’est ; elle a dirigé pendant plusieurs années à Chicago un des plus gros cabinets d’avocats américains. Ensuite parce qu’elle est d’une fidélité absolu au chef de l’Etat… quitte parfois à garder pour elle ce qu’elle pense vraiment de certaines décisions.

 

* Christine Lagarde, enquête sur la femme la plus puissante de France

Coécrit par Marie Visot et Cyrille Lachèvre, Edtions Michel Lafon, Septembre 2010.

Le groupe Île-de-France de la DFCG organise un café littéraire le vendredi 5 novembre 2010 de 8h30 à 10h00.
Marie Visot, journaliste au Figaro, viendra présenter son nouveau livre Christine Lagarde, Enquête sur la femme la plus puissante de France et reviendra également sur son précédent ouvrage Entreprises : une affaire d’Etat.
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