Chroniques de lecture – Mars 2025

Denis Olivennes, La France doit travailler plus… et les Français être mieux payés, Albin Michel, 160 pages.
Le dernier ouvrage de Denis Olivennes vise un objectif précis et urgent, qu’il résume dans son titre : comment accroître la force productive de la France et mieux rémunérer le travail ? Il estime que les Français sont victimes d’un « logiciel périmé » : « dépenser et taxer plus tout en travaillant moins ». Il se livre à une analyse classique des facteurs du « Grand Déclassement » de la France, en comparant ses principaux indicateurs économiques aux standards européens, et notamment à ceux de l’Allemagne. Il déplore la propension des Français à toujours préférer les loisirs au travail, et à entretenir une « culture du conflit » fondée sur des slogans comme « taxer les riches » et « l’éloge de la paresse ». Il dénonce également la tendance des élus à adopter des postures populistes et électoralistes et leur propension à préférer la « taxation des riches » à l’allègement des dépenses publiques.
Au-delà de ce banal constat partagé par la plupart des économistes et des sociologues, l’auteur formule trois principales propositions destinées à restaurer la valeur du travail : stabiliser la dette publique par des économies budgétaires et non par de nouvelles taxations des entreprises et des consommateurs ; favoriser le travail en le revalorisant par un allègement de ses prélèvements sociaux et fiscaux ; augmenter la productivité du travail par un « Bouclier Travail » fondé sur une diffusion plus rapide de l’innovation, sur de meilleures formations, sur des conditions favorables au retour à l’emploi après le chômage et sur un allongement de la date de départ en retraite. Il préconise également un transfert intergénérationnel des ressources des retraités vers les actifs, en « déplaçant les assiettes fiscales du travail vers le foncier et la protection de l’environnement ».
L’auteur puise ses sources dans les meilleurs articles scientifiques et professionnels. Sa force de conviction et ses raisonnements « de bon sens » sont servis par un style direct et didactique.
Denis Olivennes (Normalien et énarque) est président d’un groupe de presse, d’édition et de télévision. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages.
George Papaconstantinou et Jean Pisani-Ferry, Les Nouvelles Règles du jeu: Comment éviter le chaos planétaire, Seuil, 144 pages.
Alors que s’affrontent les blocs géopolitiques des États-Unis, de l’Europe, de la Chine et du « Sud global », les auteurs s’interrogent sur les nouvelles formes souhaitables de l’action collective à l’échelle planétaire. Ils constatent que dans la plupart des domaines, la gouvernance mondiale est incomplète voire inexistante. Après une triple analyse – respectivement juridique, économique et géopolitique – afin d’identifier les contraintes qui pèsent sur l’ordre international, les auteurs formulent des recommandations afin de le rendre plus efficient. Ils distinguent neuf domaines relevant du bien commun, qui exigent une nouvelle coopération internationale : la santé publique, le climat, l’économie numérique, le commerce international, la macro-finance (internationale), les migrations, la concurrence internationale, la régulation des banques et la fiscalité. L’efficience de la coopération implique de maîtriser six facteurs dans chaque domaine : l’identification commune du problème, la source d’expertise partagée, un consensus sur les principes d’action, des mécanismes de reporting transparents, une évaluation des résultats et une adaptation des instruments, la mise en place d’institutions de confiance.
Les auteurs constatent que ces facteurs sont dans l’ensemble réunis dans le domaine de la régulation bancaire, mais qu’à l’inverse, la coopération est insuffisamment – voire pas – organisée dans les domaines du numérique et des migrations. Dans les autres domaines, les phases amont sont plutôt avancées, mais elles sont encore faiblement régulées en aval des processus. Ils tirent trois enseignements de leurs constats. Le premier est que le système multilatéral fondé sur des règles ne couvre qu’une partie de l’interdépendance mondiale. Le second est que chacune des trois grilles de lecture (juridique, économique et géopolitique) est à elle seule insuffisante à assurer la gouvernance d’un domaine. La troisième est que certaines avancées dans un domaine mériteraient d’être mieux analysées et étendues à d’autres domaines.
Les auteurs traitent une problématique ambitieuse, à la fois multidimensionnelle et évolutive. Leurs démonstrations sont servies par des références aux meilleures sources, et par un style clair et didactique.
George Papaconstantinou a été ministre des finances de la Grèce et Jean Pisani-Ferry est senior fellow à Brugel et au Peterson Institute for International Economics.
Jean-Claude Trichet, La Bonne Gouvernance, PUF, 408 pages.
L’ouvrage collectif dirigé par Jean-Claude Trichet, Président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 2023 et actuel Président du jury du Prix Turgot, présente un prestige inégalable parmi les 5000 ouvrages chroniqués par les membres du club Turgot depuis 1987. Cet ouvrage réunit en effet un aréopage prestigieux composé d’anciens premiers ministres et ministres, de commissaires et de hauts fonctionnaires européens, de dirigeants d’institutions internationales et d’ambassadeurs, de banquiers centraux, internationaux et nationaux, qui ont exercé les plus hautes fonctions au cours du dernier demi-siècle.
L’ouvrage couvre la gouvernance dans toutes ses dimensions, internationale et nationale, publique et privée, passée (les grands modèles), présente (les dispositifs improbables) et future (les attentes). Le livre présente aussi l’originalité d’être rédigé dans des styles différents relevant du cours magistral, du discours politique, du mémoire juridique, du recueil de souvenirs, etc. Mais il n’en conserve pas moins sa cohérence et son pouvoir d’attraction, qui sont des qualités de moins en moins perçues dans la littérature politique et économique post-moderne.
L’ouvrage est organisé en cinq chapitres. Le premier traite de la gouvernance privée pratiquée par les grandes entreprises internationales, industrielles et bancaires, avec les témoignages et les recommandations de Patricia Barbizet, puis d’Alain Minc, d’Howard Davies et d’Emmanuel Roman. Le deuxième chapitre porte sur la gouvernance des grandes institutions internationales avec les interventions d’Odile Renaud-Basso sur la gouvernance de la BIRD, puis de Pascal Lamy sur l’OMC, de Alain Lamassoure sur les effets des politiques monétaire, et de Christine Lagarde sur la gouvernance supra-nationale. Le chapitre 3 traite de la « gouvernance verte » avec Emmanuel Faber qui explique les fondements de la stratégie de l’ISSB (International Sustainability Standards Board) , puis Mark Carney qui réfléchit sur la bonne gouvernance environnementale mondiale, tandis que L. Fabius tire des leçons de la COP22 de 2016. Le chapitre 4 est consacré au « bon gouvernement et à la bonne administration publique ». E. Balladur y analyse les réformes successives apportées à la Constitution de la Ve République, tandis que L. Fabius analyse les différentes formes de gouvernance pratiquées aux niveaux international et national. J-C. Junker retrace l’évolution des institutions européennes ; Michel Pébereau souligne l’urgence d’un rétablissement des finances françaises ; François Villeroy de Galhau présente la gouvernance de la Banque de France et Martine de Boisdeffre réfléchit sur le rôle des usagers dans les démocraties occidentales. Le chapitre 5 compare enfin les différentes visions mondiales de la gouvernance avec une réflexion de Jean-David Levitte sur les progrès de la diplomatie mondiale depuis les années 1990 ; Thierry de Montbrial s’interroge sur l’avenir du système économique mondial. Le regretté Jean Baechler s’efforce en conclusion de distinguer la « bonne gouvernance », efficace et/ou rentable » et la « gouvernance bonne », morale et équitable, dont la conjugaison s’avère de plus en plus difficile.