Brunel Sylvie, Pourquoi les paysans vont sauver le monde ?

Eds Buchet Chastel, 259 pages

L’auteure rappelle certains fondamentaux oubliés dans le débat public. « Les terres cultivées n’occupent que 12 % des terres émergées libres de glaces et seulement 2 % de ces terres sont cultivées intensivement ». Pour produire les 3,5 milliards de tonnes de céréales nécessaires aux 10 milliards d’humains des années 2050, « il faudra augmenter la productivité de 14 % par décennie ».  La faim n’a pas disparu : « Près d’un milliard de personnes en souffrent toujours dans le monde. Et en France, 9 millions de pauvres n’ont pas les moyens de faire trois repas corrects par jour»…   L’auteure dénonce ceux qui stigmatisent l’agriculture française –  la « plus performante du monde »  – pour promouvoir une filière bio coûteuse en aides publiques, exigeante en main-d’œuvre introuvable et « produisant des denrées qui n’ont pas encore démontré qu’ils sont meilleurs pour la santé »… Elle soutient que le bio a sa place dans les campagnes, mais seulement pour valoriser de petites surfaces.  Elle pose des questions dérangeantes : pourquoi opposer les modèles ? Quels sont les limites des circuits courts ? Quels sont les avantages alimentaires du bio ? Comment prévenir le retour de contaminations ou de pénuries ? Comment mieux protéger les sols, la biodiversité, l’eau ? Dénonçant l’agribashing, elle plaide pour une agriculture diverse, responsable et surtout, productive.

Sylvie Brunel est géographe après avoir milité dans l’ONG Action contre la faim. 

 

 

Chankovski V., Lenoble C, Maucourant J (dir.), Les infortunes du juste prix

Eds Le bord de l’eau, 235 pages

Le juste prix est une des questions les plus débattues dans l’histoire des idées économiques. Les auteurs retracent l’évolution de ce concept depuis Aristote jusqu’à l’école de Chicago, en passant par le droit romain, les scholastiques, les caméralistes allemands, les physiocrates et l’école autrichienne. En fonction des courants de pensée, le juste prix est un « bon prix » issu d’un rapport de force négocié, un « prix légal » fixé par un processus institutionnel, un « prix concurrentiel » fixé par la main invisible du marché,  un « prix équitable » assurant une juste rémunération du travail, un « prix naturel » reflétant la vraie valeur d’un bien, « un prix raisonnable » contribuant au bien commun, en assurant la prospérité économique et la paix sociale, un « pricing» calculé par un logiciel de place de marché … Le juste prix doit il être fixé dans le cadre d’une économie libre et ouverte, exempte de fraude et de situation de monopole, et/ou doit il être fixé par une autorité légitime soucieuse du bien commun ? Comme l’expression l’indique, la conception du juste prix fait appel à l’économie de marché et à la théorie de la justice. Les auteurs en déduisent que le mécanisme des prix est un des fondements du droit naturel.

Les sept auteurs du livre sont chercheurs au CNRS.

 

Combe E., Economie et politique de la concurrence

Eds Dalloz, 539 pages

La nouvelle politique de la concurrence exercée par la Commission européenne suscite de plus en plus de controverses, comme en attestent les réactions récentes face au refus de la fusion entre les groupes Siemens et Alstom. Ces débats revêtent d’autant plus d’importance qu’ils conditionnent la politique industrielle du Vieux continent, face à celles de la Chine et des Etats Unis. C’est pourquoi s’impose la lecture du dernier livre d’Emmanuel Combe, vice-président de l’Autorité française de la Concurrence. L’auteur présente un grand nombre de cas d’ententes entre entreprises (dans les commodités chimiques, les produits d’hygiène, les messageries, les agences de mannequins, la distribution de médicaments vétérinaires, le transport routier, la distribution en gros de produits pour la boulangerie…), d’abus de position dominante (Subutex, revêtements de toiture en zinc…), de contrôle des concentrations (Casino/Monoprix, FNAC/Darty…), de respect d’engagements (maintenance des équipements de distribution électrique, travail temporaire…)…

Ardant défenseur et meilleur spécialiste des règles de la concurrence, E. Combe livre notamment sa réflexion sur la régulation des pratiques et sur les positions dominantes des GAFA. Avec un grand didactisme, il présente les théories économiques,  les textes juridiques et les principaux cas de jurisprudence qui encadrent les comportements des entreprises sur les marchés.

Emmanuel Combe (ENS Lyon, docteur en économie, agrégé de droit et d’économie) est Vice-président de l’Autorité française de la Concurrence.

 

Gaffard J-L, Amendola M., Saraceno F ,  Le Temps retrouvé de l’économie

Eds Odile Jacob, 280 pages

Selon les auteurs, le  temps est ignoré des économistes, ou plutôt, dans la théorie néo-libérale, ses échelles sont indifférenciées entre les entrepreneurs, qui « créent » le futur, les investisseurs, qui le « planifient », et les régulateurs, qui en « encadrent » le cours. Les auteurs préconisent de modéliser les multiples temporalités des acteurs sociaux, et d’en saisir les potentialités et les contraintes. Ils revisitent les grandes problématiques actuellement débattues dans les milieux politiques et économiques : la régulation des différents marchés (industriel, financier, du travail…), les horizons des dettes publiques, les durées des responsabilités…  Cette incapacité des économistes libéraux et keynésiens à maîtriser les temporalités, est longuement dénoncée par les auteurs, qui y trouvent l’origine de l’instabilité croissante des économies et de la société. Ils s’opposent au modèle walrasien de l’équilibre général  comme à celui de l’Etat providence. Afin de limiter l’instabilité et l’incertitude, ils proposent que les  horloges respectives des entrepreneurs, des investisseurs et des pouvoirs publics, soient conjointement maîtrisées .

Jean-Luc Gaffard est professeur émérite à l’université Côte d’Azur, chercheur à l’OFCE-Sciences Po et à Skema Business School.  Francesco Saraceno est chercheur à l’OFCE. Mario Amendola est professeur à luniversité Sapienza.

 

 

Lorino Philippe, Pragmatisme et étude des organisations

Eds Economica, 356 pages

Le livre démontre la pertinence du pragmatisme pour l’étude des organisations et de leur management, à l’ère de l’intelligence artificielle et du big data. La pensée sur les organisations, de nature académique ou managériale, se partage en deux courants. D’une part, la vision dominante, qui relève du rationalisme cognitiviste, conçoit l’organisation comme une structure logique de traitement de l’information et de la décision, fondée sur des représentations rationnelles de l’action collective. D’autre part, de nouveaux courants de recherche montrent, depuis les années 1990, que cette approche rationaliste sous-estime la nature complexe, mouvante et incertaine des phénomènes organisationnels. Les approches pragmatiques de ces phénomènes   reposent sur une critique radicale des dualismes qui détournent les recherches sur l’organisation : pensée / action, représentation / réalité, conception / utilisation, décision / exécution, valeur / faits, fins / moyens etc… Le pragmatisme souligne l’importance de l’expérience vivante et propose une vision processuelle et relationnelle de l’organisation, vue comme « processus organisant», ou « organizing », à la fois  incertain et en mouvement, afin d’établir une compréhension collective et opérationnelle des situations  rencontrées. Le livre présente les principaux concepts « pragmatistes » (médiation sémiotique, habitude, enquête, transaction, abduction, valuation) et les illustre à travers des exemples concrets inspirés de l’expérience managériale de l’auteur.

L’auteur (X-Mines) est professeur émérite à l’ESSEC.

 

 

Mokyr J, La culture de la croissance,  Les origines de l’économie moderne 

Eds Gallimard, 568 pages

La lecture du dernier livre de J.Mokyr est recommandée en ces temps de crise. Il s’interroge sur les origines de la culture de croissance qui anime la société occidentale et sur les entrepreneurs de croissance qui ont marqué son histoire. Il relativise  l’importance  des facteurs traditionnellement invoqués – le charbon anglais, la culture protestante, les  institutions démocratiques –  pour expliquer l’avènement de la société industrielle. Il attribue cette expansion à l’éclosion des savoirs utiles comme moteurs de progrès technique. « La culture technique partagée a changé les attitudes envers le monde naturel, considéré comme domesticable, afin de servir l’intérêt matériel de l’humanité ». L’auteur rappelle les apports des principaux entrepreneurs culturels qui ont marqué l’histoire : Galilée, Bacon, Newton, les philosophes du siècle des Lumières…  Il montre que ces penseurs de la République des Lettres échangeaient  leurs idées grâce à leurs livres et leurs lettres et que cette confrontation  a permis l’émergence de nouvelles visions du monde réel. C’est la diversité des cultures européennes qui a le plus contribué, au fil des siècles, aux plus grandes avancées scientifiques et techniques. C’est pourquoi il attribue la « stagnation séculaire » actuelle à l’universalisation de la culture contemporaine.

Joel Mokyr est un historien économique américano-israélien né aux Pays-Bas. Il est professeur d’économie et d’histoire à la Northwestern University.

 

Redsloeb A., Evidences économiques d’hier et d’aujourd’hui

Eds L’Harmattan, 145 pages

Le dernier ouvrage d’Alain Redsloeb restitue ses réflexions sur l’évolution des recherches en sciences économiques depuis l’Antiquité. Il dégage les influences respectives des principales écoles de pensée et montre leur fertilisation par d’autres disciplines comme la philosophie, la sociologie, l’histoire… Il dresse un tour d’horizon des grands problèmes économiques contemporains.  Il s’interroge en particulier sur les effets positifs et négatifs de la mondialisation. Il délivre des idées originales sur les crypto-actifs, dont il retrace la filiation depuis certaines monnaies antiques. Il se montre raisonnablement optimiste sur l’avenir de l’économie mondiale. « Notre monde n’est encore que sur le pas de porte de la maison innovation »… « La mondialisation embrassera d’autres dimensions et épousera une autre chronométrie ».

 

Alain Redsloeb est professeur émérite d’économie à l’Université Paris II, auteur de plusieurs manuels de micro et de macroéconomie.