Oliver Petitjean et Ivan Du Roy, Multinationales. Une histoire du monde contemporain, La Découverte, 864 p.

L’ouvrage est monumental par son objet – l’histoire des entreprises multinationales – mais aussi par le nombre de ses auteurs (56) et par son volume (853 pages). Il paraît à un tournant de l’histoire des multinationales, alors que leur expansion est menacée par le relèvement des droits de douane, la multiplication des normes environnementales et le renforcement des règles de concurrence. Leur richesse, leur puissance et leurs pratiques nourrissent les imaginaires – et parfois les fantasmes – des populations à la fois de l’Occident et du Sud global. Elles sont parfois accusées d’être à l’origine de certaines crises ou dérives dont souffrent les États industriels et les pays en développement.

L’ouvrage se présente sous la forme de courts récits documentés et d’articles journalistiques présentés suivant un ordre chronologique, depuis 1857 (la création du groupe Singer) jusqu’à 2025 (l’agrobusiness et l’industrie minière au Brésil). L’ambition des auteurs est de « réintroduire les péripéties des multinationales dans la grande histoire mondiale ». Ils veulent révéler les véritables rôles exercés par les acteurs-clés de la vie économique et sociale depuis près de deux siècles. Ils se défendent d’avoir écrit un « livre noir » de plus sur les agissements de certaines entreprises, bien que certains articles rappellent leurs dévoiements post-colonialistes, monopolistiques, commerciaux, financiers, fiscaux… En fait, la plupart des récits mettent en lumière les avancées connues – et parfois inconnues – à la fois techniques, économiques et/ou sociales, qui ont été engendrées par certains grands projets des multinationales.

Par la diversité des approches et des styles adoptés par les auteurs, le livre montre que les questionnements soulevés par les pratiques des multinationales ne couvrent pas que des problématiques académiques ou des débats politiques, mais qu’elles interpellent tous les citoyens par l’intermédiaire des médias et des réseaux sociaux. Au fil des chapitres, le lecteur de l’ouvrage perçoit l’ampleur, la dynamique et la complexité des systèmes de multinationalisation de l’industrie, de la finance et des échanges commerciaux, qui impliquent à la fois les acteurs privés et publics, les producteurs et les consommateurs, les détenteurs d’un pouvoir ou d’un contre-pouvoir. Le lecteur comprend alors mieux pourquoi certaines multinationales tentent de « verdir » et de « socialiser » leurs images, car elles savent, « qu’à l’instar des civilisations, elles peuvent être mortelles ».

Les auteurs sont enseignants-chercheurs, avocats, journalistes et responsables associatifs.

 

Louis de Crevoisier et Paul-Armand Veillon, Repartir du réel : Economie : la parole aux classes moyennes !, L’Observatoire, 206 p.

Cet essai répond à une question fondamentale qui est partagée par la moitié des Français : comment satisfaire les attentes économiques et les aspirations sociales des classes moyennes françaises. Les auteurs rappellent que c’était déjà l’objectif des gouvernements au cours des Trente Glorieuses : l’ascension sociale, l’amélioration du niveau de vie, la stabilité économique et politique. Un demi-siècle plus tard, ces objectifs demeurent d’actualité à la lecture des cahiers de doléance rédigés après la crise des « gilets jaunes », par plus de 700 000 Français. Les auteurs constatent que les propositions formulées dans ces cahiers n’ont jamais réellement fait l’objet d’analyse approfondie, et encore moins d’application concrète. Celle-ci implique en effet de passer d’une vision macroéconomique à une approche microéconomique, d’une modélisation théorique à une représentation pragmatique, de « fausses promesses populistes » à des projets soutenables.

Les auteurs formulent des propositions de nature à « reconstruire la classe moyenne », « exclue du modèle social » et malmenée par les crises, l’inflation, la fiscalité, les sur-réglementations et les redistributions de revenus. Ils proposent de « repartir du vécu » et de construire une « nouvelle grammaire économique basée sur les questions essentielles du quotidien ». Dans une première partie, ils préconisent d’assurer plus de sécurité économique aux Français, notamment grâce à une réduction du coût du travail, une répartition plus juste de la valeur créée, la mise en place d’un « bouclier salarial » entre actifs et inactifs, la fixation d’une fiscalité « plus incitative » et « plus vertueuse ». Ils proposent de « protéger le pouvoir d’achat » des Français, par une meilleure valorisation de l’énergie (notamment électrique) et un ensemble de réformes concernant la TVA, les complémentaires santé et les prix des biens de consommation.

Dans une deuxième partie, ils prônent « un mode de vie soutenable », avec notamment une rénovation des villes moyennes, une révision des systèmes de mobilité, une « réindustrialisation choisie »… Dans une troisième partie, ils suggèrent d’offrir de nouvelles opportunités aux classes moyennes, par une revalorisation des études scientifiques et une promotion de la recherche, un meilleur accès des enfants des classes populaires et moyennes aux études supérieures et aux carrières de cadres et aux professions libérales. Ils militent en faveur d’une réforme des droits de succession, et d’incitations à l’innovation plus sélectives (ils jugent trop élitiste le programme de start-up nation lancé en 2017 et inefficace le Crédit Impôt Recherche). Ils concluent par quelques conseils de bon sens aux économistes jugés trop théoriques, aux services publics insuffisamment proches des administrés et aux responsables politiques, déconnectés des citoyens.

Par leurs conseils pourtant de bon sens, les auteurs s’exposent à la fois aux critiques des classes populaires – qui composent la majorité des « gilets jaunes » auteurs des « cahiers citoyens » –, des classes supérieures – qui s’estiment trop taxées –, mais aussi des classes moyennes elles-mêmes, qui sont particulièrement divisées (actifs-retraités, urbains-ruraux, salariés-indépendants, héritiers-créateurs…).

Les auteurs puisent leurs réflexions dans leurs expériences du service public, dans une lecture attentive des cahiers de doléance et surtout, dans les derniers rapports, ouvrages et discours des économistes et des industriels actuellement les plus influents. L’ouvrage mérite d’être lu par tous les Français, mais surtout par les élus en mal de réélection, par les économistes en quête de notoriété et par les médias en recherche de lecteurs.

Louis de Crevoisier (HEC-ENA-Inspection des finances) est haut fonctionnaire au Ministère de l’Économie et Paul-Armand Veillon (X-ENSAE) est administrateur de l’Insee.

 

Philippe Dessertine, L’Horizon des possibles : Économie, innovation, écologie : construire le siècle qui vient, Robert Laffont, 264 p.

L’objectif de l’auteur est de mettre en lumière la logique reliant les chocs successifs – financiers, économiques, sanitaires et géopolitiques – survenus depuis le début du siècle, puis d’ouvrir des voies de progrès pour l’avenir, en préconisant si nécessaire une rupture avec le modèle industriel ou post-industriel hérité du passé. Il s’efforce de concilier histoire et modernité, transversalité et profondeur, culture et créativité.

Dessertine présente les Français comme un véritable cas d’école : prisonniers d’un passé fantasmé, mais également, en tant qu’héritiers de Montaigne et de Descartes, capables de surmonter leur peur de l’avenir. Il leur reconnaît un sens logique, une grande réactivité et, surtout, une capacité de créativité nécessaire pour bâtir leur futur.

L’ouvrage est structuré en neuf chapitres abordant des problématiques transversales et complexes : les nouveaux modèles économiques et sociaux, le dérèglement de l’ancien monde, l’immobilisme et la mobilité, la croissance et les algorithmes, la géopolitique de l’influence et des cerveaux, l’hyperinnovation et l’hyperintelligence, les nouvelles valeurs et la nouvelle croissance, ainsi que l’impact extra-monétaire.

Ce livre se démarque des travaux académiques classiques des économistes, historiens et politologues. Sa rédaction mêle concepts et récits, citations et exemples contemporains. Elle s’inscrit dans la mouvance de la narrative economy, théorisée notamment par plusieurs prix Nobel comme Acemoglu, Johnson ou Robinson. Elle reflète une approche phénoménologique des faits économiques et sociaux qui ont le plus marqué les esprits occidentaux. Ces phénomènes ne sont pas classés selon une logique chronologique ou géographique, mais en fonction de leur impact sur la conscience collective des consommateurs et des producteurs.

Cette lecture de l’histoire est portée par un style à la fois pédagogique et créatif, ponctué de formules percutantes, souvent construites sur des paradoxes, comme en témoignent les titres des chapitres et des paragraphes.

Philippe Dessertine, professeur à l’Université Paris 1, directeur de l’IHFI et conférencier, livre ici une magistrale leçon d’économie, un message d’optimisme et un appel au sursaut citoyen, à l’attention de tous ceux qui se sentent désabusés.