Françoise Benhamou, L’économie sans intox. Retraites, pouvoir d’achat, dette, 16 économistes rétablissent les faits, EYROLLE, 192 p.

Le Cercle des économistes signe son dernier ouvrage — sous un titre emprunté à la presse populiste — qui tente de répondre aux principales questions économiques et sociales que se posent les Français en ces temps troublés. Le livre réunit les meilleurs spécialistes des domaines couverts : la fragmentation de l’économie mondiale ; les questions de la dette et du taux d’emploi français ; l’immigration de travail ; l’argent public finançant la culture. Dans chaque chapitre, les auteurs soulignent l’importance des questions posées, analysent — ou plutôt critiquent — les réponses généralement apportées à ces questions par les milieux politiques et par les médias, puis se livrent, en puisant aux meilleures sources, à d’utiles « retours raisonnés aux faits » et à des « déconstructions des mythes », pour enfin formuler des propositions concrètes visant à redresser les fondamentaux du pays. Le lecteur du livre constatera notamment qu’en matière économique et sociale, les élus et les médias se livrent trop souvent à des simplifications abusives, à la propagation de contre-vérités et à d’habiles simulations, afin de défendre des idéologies et de justifier des programmes aux effets improbables. Le lecteur constatera que les taux d’inemploi des jeunes et des anciens sont en France anormalement supérieurs à ceux des autres pays occidentaux, et que plus de 600 000 seniors français sont pratiquement sans ressources. Le lecteur apprendra également que la durée de travail effective des actifs français en âge de travailler est proche de la moyenne européenne, que l’expulsion des « immigrés de travail » ruinerait les secteurs du BTP, de la restauration et des services domestiques. Il sera surpris d’apprendre que la responsabilité du surendettement public de la France est plutôt attribuable aux politiques de droite (favorables à des réductions d’impôts) que de gauche (orientées vers une fiscalisation des entreprises). Il apprendra que la croissance économique peut être conjuguée avec une recherche du bonheur sans se laisser aller à la paresse, et que la promotion de la culture implique des financements à la fois publics et privés. Après lecture du livre, le lecteur restera toutefois sceptique sur les chances de redresser, à court ou moyen terme, les fondamentaux du pays.

Félix Torres, Du berceau au tombeau. Une histoire critique de l’État-Providence, de l’Éclaireur, 180 p.

L’auteur se livre à une analyse critique du système français de protection sociale, basé sur le modèle de l’État-Providence hérité des « 3 U » de Beveridge. Il dresse une généalogie des notions — à la fois familières et méconnues — de protection sociale, de sécurité sociale, d’État social, d’État-Providence, de solidarité nationale, de revenu minimum universel, de « trappe d’inactivité »… Il analyse les dérives des modes de financement et de fiscalisation du système, qu’il compare aux dispositifs mis en œuvre dans les autres grandes démocraties. Il rappelle les alarmes successives lancées, depuis les années 1970, par des hommes politiques, comme Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas, par des historiens, comme Pierre Rosanvallon, ou par des juristes, comme Pierre Laroque. Il observe les multiples tentatives — parfois utopiques et souvent vaines — destinées à « refonder la solidarité », « repenser les droits », « restaurer les devoirs », « améliorer la redistribution », « recouvrer l’introuvable équilibre budgétaire »… Il montre toute la complexité des constructions juridiques, des ajustements fiscaux, des montages financiers… pour « combler le trou de la Sécu ». Il révèle que ces dérives sont à la fois accélérées et inéluctables, en raison de l’instabilité politique du pays et du « tabou français de la capitalisation ». Il ironise sur le sens typiquement français de la controverse idéologique autour des notions de charges et de cotisations sociales, d’assurances et de prélèvements, de pensions et de retraites… Il salue le zèle des technocrates qui assurent la gouvernance du paritarisme États-caisses, en l’absence de réformes structurelles.

L’auteur recommande, à la suite d’Erell Thevenon, d’adopter un modèle « d’État-Prévoyance » situé entre le « tout universel et le tout individuel ». L’État se recentre sur son « cœur de mission » portant sur un « socle de solidarité ». Les acteurs privés se garantissent par contrat contre les risques de santé et de métier, en fonction de leurs choix de vie personnels. Dans tous les cas, il semble que le rééquilibrage du système français passe par « plus de travail » et « moins d’aides », ainsi que par une réduction des « vraies inégalités » mais aussi des « avantages indus ».

Antoine Foucher, Sortir du travail qui ne paie plus, L’Aube, 2025, 138 p.

Le lecteur ne trouvera pas dans cet opuscule « les moyens de gagner plus en travaillant moins », mais il saura peut-être comment reconstruire une société fondée sur le travail permettant à la fois de mieux vivre et d’acquérir un patrimoine. L’auteur constate que la productivité du travail a diminué depuis les années 1980, en raison de la désindustrialisation du pays et de l’affaiblissement des compétences dû à un déclassement éducatif. Il rappelle que la France a été rétrogradée de la 6ᵉ à la 27ᵉ place dans le classement mondial du PIB par tête. Il observe que le pouvoir d’achat des Français ne progresse plus et que les deux tiers de leur patrimoine proviennent d’héritages. Les Français qui ne travaillent pas vivent ainsi mieux que ceux qui travaillent. Le travail ne permet de soutenir le pouvoir d’achat que par des aides sociales sous toutes formes. La progressivité des taxes et des cotisations finançant ces aides dissuade, par ailleurs, les salariés d’effectuer des heures supplémentaires et les employeurs de recruter et/ou d’augmenter les salaires de leurs employés. Les travailleurs ne conservent en moyenne que la moitié de leurs gains bruts, tandis que les rentiers en perçoivent un tiers, les retraités un sixième et les héritiers moins d’un dixième. Il en résulte différentes formes de résistance au travail, qui mobilisent plus de manifestants que les autres conflits sociaux, encouragent les congés maladie, les « démissions silencieuses » et/ou le rejet des « bullshit jobs ». Les actifs doivent, par ailleurs, prendre en charge en 2025 deux fois plus de retraités qu’en 1980. Selon l’auteur, ce phénomène serait dû à une répartition inégalitaire de la valeur créée par le travail, qui favorise le capital à la fois financier et immobilier.

Les Français ne croient plus au « discours collectif » traditionnel leur intimant de se remettre au travail. L’auteur s’efforce donc de proposer un nouveau « contrat social » destiné à combler l’écart entre les niveaux de vie des travailleurs, des rentiers, des retraités et des héritiers. Il propose des mesures visant à revaloriser le travail et le pouvoir d’achat des actifs par de meilleures rétributions, grâce à des formations plus professionnalisantes, une relance de l’innovation (notamment grâce à l’IA), une réindustrialisation du pays associée à une limitation des importations de produits sous dumping, à une flexibilisation de l’emploi et une plus grande mobilité professionnelle. Il prône une « revanche des salariés sur les clients », en redistribuant les taux de TVA en faveur des produits de première nécessité. Il conseille de construire un « nouvel idéal du travail », basé sur des valeurs de responsabilité, de respect et d’empathie.

L’auteur se livre à un exercice rigoureux et pédagogique d’analyse du mal français qu’est l’attrition professionnelle et formule des propositions cohérentes afin d’y faire face.

Antoine Foucher a été directeur du cabinet d’un ministre du Travail. Il dirige actuellement le cabinet de conseil Quintet.