1. Financement et horizon des entreprises

Ch. Moussu (ESCP Europe) montre que la financiarisation de l’économie a raccourci les horizons financiers des épargnants et des entreprises. Ce phénomène a substitué des distributions de dividendes et des rachats d’actions aux investissements productifs et à la création d’emplois. Il est notamment dû aux incitations des dirigeants à créer de la valeur immédiate pour l’actionnaire, ainsi qu’aux préconisations des analystes financiers.

J-L. Le Tinier (DAF de Conforama-Darty) soutient que son groupe fait confiance à « l’intelligence du marché » en pratiquant une communication responsable auprès des épargnants et des intermédiaires financiers. Cette communication repose sur une vision claire à long terme et un modèle d’affaires lisible.

A. Collomb (CNAM) rappelle que le principe posé en 1970 par Milton Friedman selon lequel l’entreprise a pour seule mission de réaliser des bénéfices pour l ’actionnaire, était toujours en vigueur, et que plus de 50 % des transactions sur les marchés cotés faisaient l’objet de flash trading à très court terme. Mais des ouvertures sont perceptibles en faveur d’une vision plus partenariale du marché, notamment sous l’effet du crowdfunding, des nouveaux marchés du IT, du Long Term Stock Exchange

P-A. Hyppolite et A. Michon (X-Mines) livrent les résultats d’une étude sur la trésorerie des GAFAM, qui s’élève à 782 milliards $ à fin 2017. Ce montant s’explique par leur endettement (pour un tiers) et par leur rentabilité quatre fois supérieure à celle des entreprises classiques (pour deux tiers). Cette trésorerie est placée en obligations souveraines et corporate, en fonds de trésorerie et dans des rachats de start’up innovantes.

S. Gegold (député Européen) analyse le rôle des autorités européennes dans la régulation des marchés. Il commente le dernier rapport de l’ESMA sur le court-termisme. Il regrette que la Commission se soit alignée sur le référentiel IFRS défini par une « autorité épistémique indépendante » influencée par les cabinets d’audit anglo-saxons.

 

2. D’une gouvernance actionnariale à une gouvernance partenariale

B. Segrestin et L-A Parpaleix (Mines ParisTech) s’interrogent sur l’influence des dernières techniques financières sur les horizons des placements. Elles observent que la plupart de ces dispositifs devraient en principe restaurer les investissements à long terme. L’efficience de ces outils repose sur un bon alignement de la vision, des objectifs, des activités et des performances des sociétés cotées.

C. Renouard (philosophe) rappelle que les décideurs sont face à trois horizons (court terme (opérationnel), long terme (visionnaire) et moyen terme (transitoire). L’approche de la transition peut être passive (suivisme) ou active (pionnière). Dans ce cas, le décideur doit engager des projets en faveur du développement soutenable et en rendre compte à ses parties prenantes.

P-C Pradier (Paris 1) montre la diversité des formes des coopératives et des effets de leurs activités sur les marchés. L’utilisation de leurs bénéfices les conduit parfois à diverses formes de court-termisme (dérive des charges courantes, petits projets…).

I. Guenard-Malaussene (Conseil en finance durable) mesure la portée de l’épargne solidaire et de l’épargne salariale. Elle montre que les meilleurs « fonds à impact » affichent des visions claires, des projets lisibles et des performances mesurables ou justifiables par des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs.

 

3. Le rôle de la réglementation et de l’État

A. Pietrancosta (Paris 1) révèle que la loi Pacte (mai 2019) a pour ambition de « repenser la place des entreprises dans la société ». Elle crée le label « entreprise à mission » et modifie l’article 169 du code civil. Elle prévoit également un statut d’entreprise à « raison d’être ». Ces dispositions introduisent toutefois des ambiguïtés dont les effets sont encore difficilement perceptibles.

N. Aufauvre (DG de la Stabilité Financière) analyse le rôle des banques centrales et des superviseurs pour inciter à une meilleure prise en compte des enjeux de long terme et expose le cas du changement climatique (le « verdissement du système financier »).

I. Bagel et M. Troege (ESCP Europe) comparent, à l’aide d’études de cas, les stratégies et les structures des firmes relevant du Private Equity et du Family Management. Ils montrent les effets divergents de ces modes de gouvernance sur l’horizon des investissements.

G. Hertig (ETH Zurich) montre que les effets de la régulation financière diffèrent selon les acteurs de la finance et les marchés. La régulation vise à « internaliser les externalités » des activités de l’entreprise, mais entraîne des nouvelles entraves à la concurrence.

S.Vermeille et E.Fourel (avocates) analysent la dernière directive européenne Restructuration et Insolvabilité (juin 2019), qui contredit l’approche française consistant à privilégier la préservation à court terme des emplois plutôt que la recherche d’une solution équitable à long terme.

 

4. Incitations au financement des externalités de long terme

C. Castenet (ESCP Europe et AMF) souligne que de plus en plus d’investisseurs cherchent à avoir par leurs placements un impact sur la société, et ainsi à contribuer à la transition environnementale, sociale et sociétale.

F. Bancel et D. Glavas (ESP Europe) montrent que le marché des obligations vertes n’a cessé de se développer depuis une dizaine d’années et qu’il contribue de plus en plus activement à la décarbonation de la planète. Il avance plusieurs propositions destinées à stimuler ce marché.

A-C. Husson-Traore (experte en finance durable) constate que la notation ESG est basée sur un modèle déclaratif peu fiable et lisible. Elle préconise le passage à des mesures d’impact plus normalisées.

C. Tutenuit (corps des Mines) se demande si les entreprises peuvent réellement financer les transitions environnementales de long terme. Il conclut que les grands chantiers mondiaux de la transformation écologique devraient s’élever à plus de 100 milliards € par an et que cet effort doit impliquer plus massivement les États.

 

[1] Laboratoire Régulation financière (Université Paris 1, ESCP Europe, CNAM et ENA).

[2] Cf. articles cités dans la revue Réalités Industrielles (annales des Mines) de novembre 2019.