Traduction autorisée de “How to make a distressed bank raise equity”, Luigi Zingales et Oliver Hart 1

 

Un consensus semble émerger parmi les régulateurs, les universitaires et les praticiens sur un moyen d’éviter une répétition de la crise financière de l’année dernière : les obligations convertibles contingentes (Coco). L’idée est qu’une partie des dettes dans la structure de bilan de la banque se convertisse en fonds propres quand celle-ci est en difficulté financière.

 

Ces obligations ont certains avantages. Quand, lors d’un retournement extrême de conjoncture, la conversion des Coco se déclenche, les porteurs sont forcés d’absorber des pertes sans que d’autres obligations financières (par exemple les contrats dérivés ou les prêts-emprunts interbancaires) soient entraînés dans une procédure de faillite qui déclencherait une panique systémique. Ceci économise l’argent du contribuable et met en place les bonnes incitations pour que les créanciers surveillent les émetteurs au lieu de leur prêter les yeux fermés sous le présupposé que le gouvernement sera toujours là pour les renflouer.

 

Cette approche a toutefois certains inconvénients. Un problème très débattu est le seuil de conversion. S’il repose sur des données comptables, il peut fort bien être activé à un mauvais moment. Le seuil d’un Tier 1 à 5%, qui a été retenu pour la première émission d’une obligation Coco – par Lloyds Bank en novembre –, n’aurait même pas été activé au plus fort de la crise. Si le seuil d’activation est lié aux prix des actions, le dirigeant de la banque peut délibérément sous-estimer la valeur de sa banque pour déclencher la conversion et obtenir des fonds propres au rabais.

 

Inconvénient plus grave encore que le précédent : si une banque perd de l’argent à cause de mauvais investissements, une obligation Coco ne fera que retarder, sans l’éviter, le défaut sur les contrats de dérivés et de prêts-emprunts (qu’on appelle souvent des « engagements systémiques »). En fait, un des avantages de la dette est qu’elle limite les ressources qu’un dirigeant incompétent peut gaspiller : une faillite force les entreprises inefficaces à se restructurer et les managers incapables à partir. En évitant les faillites, les obligations Coco accroissent l’inefficacité du secteur bancaire, sans pour autant prévenir les défauts sur les engagements dits systémiques et donc le risque de crises systémiques.

 

Si on veut prévenir les défauts sur les engagements systémiques des banques, il faut un mécanisme qui conduise les banques à lever plus de capital quand leur coussin de fonds propres est insuffisant. Malheureusement, c’est précisément le moment où la levée de fonds propres est la plus coûteuse, puisque les nouveaux fonds levés iront accroître la valeur de la dette plutôt que celle des actions. Comment alors inciter les banques à lever du capital ?

 

On peut apprendre des banques elles-mêmes. Quand elles financent l’achat de titres financiers par un investisseur, ils surveillent journellement la valeur des titres donnés en garantie à la banque (le collatéral). Si cette valeur tombe en dessous d’un certain seuil, la banque procède à un appel de marge qui force l’investisseur à choisir entre accroître le collatéral ou perdre son investissement. Aussi longtemps que l’appel est fait suffisamment tôt, c’est-à-dire tant que la valeur des titres financiers excède celle de l’emprunt, l’investisseur préférera la première option.

 

Les banques sont elles-mêmes comme des investissements avec appel de marge [leurs fonds propres jouant le rôle de marge de garantie, note de DFCG]. Elles achètent la plupart de leurs actifs avec de l’argent emprunté. Le régulateur pourrait les inciter à lever davantage de fonds propres en recourant à un appel de marge au moment choisi. Malheureusement, les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique répugnent à jouer ce jeu. Précisément parce qu’il est dur pour une banque d’accepter de lever des fonds propres dans les périodes difficiles, il est politiquement difficile pour un régulateur d’imposer un appel de marge.

 

Le problème peut être surmonté, cependant, avec un seuil de déclenchement automatique basé sur les très décriés credit default swaps [ou dérivés de crédit ou CDS, note de DFCG]. Les prix des CDS fournissent une information à jour sur le risque qu’une dette spécifique ne soit pas remboursée. On peut donc demander au régulateur de faire un appel de marge chaque fois que le prix du CDS d’une dette de la banque dépasse un certain seuil, disons une hausse moyenne d’un point de pourcentage sur le mois précédent. Un tel seuil vérifiable par le marché rendrait impossible au régulateur de différer le verdict.

 

Malgré tous ses imperfections, le marché des CDS a prédit précisément quelles étaient les institutions financières les plus à risque depuis le début de la crise. Si cette règle avait existé auparavant, les banques auraient été forcées d’émettre des fonds propres dès l’automne 2007 et au début de 2008, évitant la spirale négative connue à l’automne 2008.

 

En plus d’éliminer l’aléa moral présent dans l’activité bancaire, cette règle est juste. Pourquoi les régulateurs traiteraient-ils les banques autrement que les banques traitent leurs propres clients ?

 

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1. Oliver Hart est professeur d’économie à l’université Harvard. Luigi Zingales est professeur d’entrepreneuriat et de finance à l’université de Chicago, Chicago Booth School of Business.