Peut-on introduire certains amendements au principe de capital ouvert permettant de garder la commodité du capital variable, sans obliger les fonds d’investissement à rester confinés à la détention d’actifs ultra-liquides comme les bons du trésor ? On a vu apparaître historiquement :

  • Le forward pricing. Une question importante est le calcul de la valeur de la part, la valeur dite « liquidative ». La technologie d’autrefois interdisait le calcul de cette valeur en temps réel. On prenait en général la valeur liquidative d’un jour déterminé de la semaine précédente. Avec l’effet négatif que l’investisseur qui sort en période de marché haussier subit une perte. Et surtout que l’investisseur qui sort en période de marché troublé bénéficie d’une surcote par rapport à la valeur présente des actifs, ce qui amplifie le privilège du premier sortant et la dilution de ceux qui restent. C’est pourquoi la SEC, l’organisme de tutelle des marchés financiers aux États-Unis, a introduit la règle, dite 22-C1, qui veut que la valeur liquidative soit celle calculée immédiatement le passage de l’ordre de vente, ou si ce n’est pas possible, à la fin de la même journée. C’est une règle en vigueur aux États-Unis, qui n’est pas toujours suivie encore en Europe.
  • Le remboursement en nature. Le forward pricing n’est qu’une protection très restreinte en cas de choc financier fort. Avec le remboursement en nature, le porteur de parts qui souhaite les vendre ne reçoit pas du liquide, mais directement et en nature la part qui lui revient des actifs du fonds, à sa charge de les rendre liquides sur les marchés. Cette contrainte est majeure et explique le peu de succès de telles clauses.
  • Le calibrage de la réserve de cash selon le risque de liquidité des actifs, cela par la régulation imposée par la tutelle des marchés financiers. Mais ce mécanisme ne fait rien pour réduire, au contraire, le privilège du premier sortant.
  • Le swing pricing. La même SEC, suivant une innovation introduite à l’origine au Luxembourg, vient d’autoriser la règle du swing pricing pour tous les fonds sauf l’équivalent des Sicav de trésorerie (Money market funds) et pour, on va y venir, les Exchange-Traded Funds ou ETF. Voir ici pour cette règle, dite 22c-1(a)(3). L’idée est de faire subir à l’investisseur qui part, sous la forme d’une commission de rachat (redemption fee), le coût du service de liquidité qu’on lui rend en période de marché tendu. Ses anciens co-investisseurs n’ont pas à la payer à sa place. Le régulateur laisse les gestionnaires du fonds assez libres de définir son mode de calcul, soit par des formules a priori, soit sur base du constat dans les jours qui suivent de la décote qu’ont subi les actifs qu’il a fallu vendre. De la sorte, la commission est d’autant plus forte que les marchés sont peu liquides. Là encore, la digue élevée reste faible lors de marchés tendus.
  • Les ETF. Le mécanisme est le plus innovant. L’ETF est une sorte d’hybride entre le capital ouvert et le capital fermé. Comme pour un fonds fermé ou une société d’investissement cotée en bourse, les parts sont librement cessibles sur le marché. Mais il existe, comme pour les fonds ouverts, une classe spéciale d’investisseurs – appelés les « participants autorisés», ou AP pour « authorized participants », qui ont le droit d’investir en achetant des parts nouvelles du fonds ou de sortir en les faisant racheter par le fonds. Les AP sont des teneurs de marché et procèdent par arbitrage : si la valeur liquidative est supérieure au prix de marché de la part, ils achètent la part et se couvrent en vendant ou en se mettant à découvert du contenu de l’ETF (ou d’un proxy). Ils peuvent ensuite déboucler leur position en vendant au fonds les parts acquises, soit en cash soit en recevant les actifs correspondants. L’opération est inverse si la valeur liquidative est supérieure à la valeur de la part. Les ETF sont assez récents et n’ont pas subi encore l’épreuve du feu d’un choc de marché important. Mais leur succès est spectaculaire, avec un encours qui atteint, en août 2016, 3,4 Tr$ et qui croit au rythme de 21% l’an depuis 2005 (graphique). Il n’est pas impossible que dans ce cas, les AP arrêtent leur service de liquidité, mais les défenseurs du système soulignent que dans ce cas le fonds se ramène à une structure à capital fermé.

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  • La non-cessibilité des parts. Certains fonds, typiquement dans la classe d’actifs private equity ou hedge funds, ou d’une certaine façon les compagnies d’assurance-vie ou les fonds de pension, achètent cette liquidité en imposant une période de détention minimum aux investisseurs. 4 ou 5 ans sont assez communs pour les fonds de private equity ; 8 ans pour l’assurance-vie, via une pénalisation fiscale en cas de vente prématurée ; jusqu’à l’âge de départ en retraite pour les fonds de retraite par capitalisation à cotisations définies, type Perco en France. Il peut exister un marché parallèle sur les parts des fonds de private equity, mais de façon mineure. Ces contraintes sur la cession ne sont pas des protections absolues. En effet, les parts retrouvent leur liquidité au terme de la période de blocage, peut-être à un moment où l’entreprise ou le fonds subissent une contrainte de refinancement.
  • Le capital fermé. Enfin, le plus commode peut être encore d’en rester au solide statut de société anonyme, d’autant qu’il s’accompagne d’une superstructure mieux éprouvée et bâtie au fil des décennies en matière de gouvernance, de responsabilité des dirigeants, de droits des actionnaires. Beaucoup de fonds d’investissement en actions seraient mieux gérés et feraient preuve d’une meilleure continuité managériale s’ils prenaient la forme de société. La valeur de l’action pour de telles sociétés peut s’écarter, et le fait souvent, de la valeur du portefeuille sous gestion, l’arbitrage étant moins facile à faire que pour les ETF, avec comme prix une volatilité plus grande. Mais c’est un dommage mineur par rapport à la pérennité donnée à l’entreprise, qui reste assurée de son financement existant.

Une question pour finir. Si les formules à capital fermé ou semi-fermé sont si intéressantes lorsque les actifs ne disposent pas d’une liquidité naturelle, comment se fait-il que l’industrie de la gestion d’actifs se soit orientée à ce point vers les structures ouvertes ? La fiscalité a pu jouer un rôle à l’origine et continue à le faire (par non alignement des taxations sur les dividendes, les rachats d’action et les plus-values). Le conformisme des gérants aussi, puisqu’il est plus facile avec une structure ouverte de viser un benchmark, et de tenter de le battre, ou d’en faire un argument commercial. On peut y voir aussi cette tendance croissante à un désintérêt de l’investisseur pour l’objet dans lequel il investit. Pourquoi prendre une responsabilité d’actionnaires quand on ne cherche que le rendement et la liquidité ? Enfin, comme le soulignent Stephen Cecchetti et Kim Schoenholtz dans un article de Vox-EU qui inspire le présent billet, il y a une forme de court-termisme nocif dans l’investissement financier : en permettant que l’investisseur puisse retirer ses fonds à tout moment, le gérant donne une sorte de garantie qu’il fera la meilleure gestion possible : le verdict du succès, c’est le volume des fonds gérés. C’est ce qui pousse au mimétisme dans la gestion, qui s’applique de plus en plus à répliquer des indices boursiers plutôt que de jouer sont rôle d’investisseur patient et attentif. Et cela fait peser un fort risque sur la stabilité financière. On ne doit pas être étonnés que les fonds d’investissement aient reçu le nom un peu dépréciatif de shadow banking, ou finance parallèle.

 

La première partie a été publiée le 21 novembre 2016, le 28 mars 2017, et le 23 décembre 2019.

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 28 novembre 2016 et le 4 avril 2017.