Régulièrement nous publions sur la page Facebook du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. Vous en trouverez quelques-uns publiés le mois dernier dans cette rubrique :

 

L’Argentine émet 2,75 Md$ à … 100 ans

 A un taux actuariel de 7,9 % (en dollar), et la demande a été 3,5 fois supérieure à l’offre.

Si on peut comprendre que la République argentine soit fière de montrer de façon aussi éclatante le succès de son redressement économique et financier en émettant sur la durée la plus longue possible (avant la perpétuité), on peut vraiment se demander si l’opération est financièrement intéressante pour elle. En effet, elle bloque pour 100 ans, sur une somme non négligeable, le coût de son emprunt à 7,9 %.

Ce taux correspond à sa notation, actuellement de B, ce qui n’est pas brillant. Mais on peut espérer que la poursuite des efforts initiés et le retour à un esprit d’entreprise permettront d’améliorer dans quelques années cette note et ce faisant, le taux actuariel de cet emprunt. A titre d’exemple, sur cette durée, l’emprunt chinois, rapporte lui du 4,25 %.

Mettons qu’il passe dans 2 ans à 5 %. L’emprunt vaudrait alors 157 % du pair. Si la République argentine voulait le refinancer en se finançant en émettant un nouvel emprunt à 5 % sur 98 ans, elle continuerait néanmoins de supporter pour les 98 ans qui viendront un coût de 7,9 %. Ce n’est que si elle était capable de racheter au pair, à 100 %, son emprunt, qu’elle pourrait alors bénéficier d’un taux réduit à 5 % pour les 98 dernières années. Illusoire, car qui voudra lui céder à 100 % une obligation qui vaudrait 157 % ? Personne naturellement.

Si cet emprunt a été émis, c’est naturellement qu’il y a une demande et une offre. Clairement les investisseurs font le pari de l’amélioration rapide du crédit de l’Argentine. Par contre du coté de la République argentine, on voit moins nettement l’intérêt financier, sauf à parier que le pays retombera vite dans ses travers précédents (8 faillites depuis l’indépendance de 1816) et que ce taux de 7,9 % ne durera qu’un temps. Mais pour un ministre des finances, c’est un raisonnement osé !

 

L’OCDE s’inquiète du niveau des commissions payées par les entreprises américaines aux banques d’investissement pour s’introduire en Bourse : 7 % contre 3 % en Europe

Ce n’est malheureusement pas un sujet nouveau puisque l’on en parlait déjà dans les années 1990. Des chercheurs (Mark Abrahamson, Tim Jenkinson et Howard Jones dans Why don’t US Issuers Demand European Fees for IPOs?[3] ont montré que la convergences des méthodes d’introduction en Bourse des deux cotés de l’Atlantique aurait dû conduire à une convergence des taux de commissions sur le niveau Européen.

S’il n’en est rien, c’est tout simplement que le niveau de compétition entre les banques aux USA est bien inférieur à la situation européenne. Il y a nettement moins d’acteurs outre Atlantique (les banques américaines, plus Deutsche Bank, Credit Suisse et Barclays) qu’en Europe, le marché le plus concurrentiel de la banque d’affaires où l’on retrouve les précédents et tous les acteurs européens (qui sont de surcroit plus nombreux que les acteurs américains) et Nomura.

On observe ces mêmes différences sur le marché obligataire et dans une large mesure en M&A.

Et ce n’est pas pour rien que les grands acteurs européens ont essayé, avec un succès limité sauf acquisition d’acteurs américains majeurs (Lehman par Barclays par exemple), de pénétrer ce marché bien lucratif.

Notons néanmoins que sur le marché obligataire, certaines banques commencent à écorner les commissions standards auxquelles personne ne voulait toucher.

 

Nestlé annonce un programme rachat d’actions de 20 MdFS d’ici 2020

Pour créer de la valeur pour ses actionnaires ajoute-t-il.

Que l’on nous permette d’en douter ! Un rachat d’actions ne crée de la valeur que dans l’un des trois suivants :

1 – l’action est sous-évaluée, et en l’achetant aujourd’hui à bon compte pour la détruire, on fait faire une bonne affaire dans la durée aux actionnaires qui ne vendent pas. A plus de 17 fois son résultat d’exploitation 2017 et avec un cours au plus haut historique, la sous-évaluation de Nestlé ne saute pas spontanément aux yeux.

2- l’accroissement du poids de la dette va mettre une sympathique pression sur les dirigeants pour être plus efficaces dans la gestion de l’entreprise car il va falloir faire face aux échéances contractuelles de la dette. C’est le principe des LBO. Avec un ratio dettes nettes / EBE de 1,5 en 2020, dans un secteur où les flux de trésorerie sont peu volatiles, la pression sera inexistante. Il faudrait qu’il soit au moins du double, pour qu’elle commence à se faire sentir.

3- les fonds ainsi rendus aux actionnaires avaient une rentabilité très inférieure au coût du capital au sein de l’entreprise qui gaspillait ainsi les ressources financières qui lui avaient été confiées. C’est loin d’être le cas de Nestlé qui n’a pas de cash net (dettes nettes /EBE 2016 de 0,8) et dont la rentabilité économique après impôt est de 13 % largement supérieure à son coût du capital de 6 %.

Cela nous semble cependant être une bonne décision, mais pas à l’aune de la création de valeur.

Les capitaux propres existent par construction en quantité finie, ils doivent servir à financer en priorité les projets risqués. Puis quand le risque diminue, la part de l’endettement peut s’accroitre, libérant ainsi des capitaux propres pour aller financer d’autres projets risqués dans d’autres secteurs comme en ce moment l’impression 3 D, l’internet des objets, les biotechs, etc.

Le niveau de risque dans l’agro-alimentaire étant ce qu’il est, faible, Nestlé ne prend pas un risque inconsidéré en doublant à 1,5 son ratio dettes nettes/ EBE. La bonne nouvelle c’est donc 20 MdFS qui vont d’ici 2020 pouvoir financer des secteurs et des entreprises qui ont besoin de capitaux propres.

D’autant que 20 MdFS correspond à peu près à la participation résiduelle de 23 % de Nestlé dans l’Oréal, qui fut une excellente diversification financière (initiée en 1974) pour les actionnaires de Nestlé, qui probablement apporta beaucoup à L’Oréal quand celui ci étaient encore un petit groupe prometteur, mais avec qui les synergies industrielles semblent, de l’extérieur, inexistantes.

Pour plus de détails sur rachat d’actions et création de valeur, voir le chapitre 41 du Vernimmen 2017.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici

 

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°150 (juillet 2017). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.