Il faut absolument lire le récent rapport rédigé par le COE-Rexecode à la demande du ministère de l’Economie et des Finances.

 

Rexecode établit un ensemble d’indicateurs qui montrent impitoyablement que la compétitivité française s’est érodée depuis précisément le tournant de la décennie 2000. L’Allemagne bénéficiait depuis longtemps d’avantages bien connus en matière d’innovation, de spécialisation dans les biens d’équipement, dans l’export, dans les liens interentreprises et entre entreprises et universités, d’une fiscalité pesant moins sur le facteur travail, etc. Mais il s’agissait de facteurs structurels que la France arrivait en général à compenser par un niveau de prix et de coûts moins élevés. A compter de 2000, patatras ! L’avantage coûts a disparu et s’est même inversé. Voir graphique du rapport (en page 145).

 

 

Témoin ce que reconnaît un grand distributeur alimentaire français : « Désormais, je me fournis en biscuits en Allemagne et plus en France ! » En biscuits, domaine traditionnel de compétence de l’industrie agroalimentaire française ! La raison ? Des coûts plus bas, et plus précisément des coûts salariaux plus bas ? A nouveau la raison ? Un niveau de productivité plus élevé, le fournisseur allemand dans l’exemple des biscuits ayant tiré partie de ses coûts moins élevés pour investir ses marges dans des équipements plus modernes. L’avantage de prix devient alors décisif et met l’Allemagne dans un cercle vertueux au détriment de ses voisins de la zone euro qui n’ont plus l’arme du change pour répliquer à une dégradation de leurs coûts relatifs. L’équation devient : avantages structurels + avantages sur les coûts = export, emploi et croissance, principalement dans la zone euro. Il est cuisant pour l’orgueil national que les Allemands nous battent désormais en exportations agroalimentaires dans la zone euro, comme le montre ce graphique tiré de la page 204 du rapport.

 

 

 

 

Cela a été une erreur majeure des gouvernements français de la dernière décennie de n’avoir pas compris que la mise en place de l’euro impliquait de gré ou de force une convergence des politiques économiques entre les deux principaux pays1. Or, à la mise en place de l’euro, le Gouvernement Schröder en Allemagne a conduit assez courageusement des politiques budgétaires et des prix et des salaires fortement restrictives, pour compenser les déséquilibres créés par l’absorption des Länder de l’est et d’une entrée du deutschemark dans l’euro à une parité défavorable. Gerhardt Schröder en a perdu les élections suivantes et a dû concéder l’émergence, à la gauche de son parti, le SPD, d’une fraction radicale insatisfaite de l’excellente mais rigoureuse politique conduite. Les Français ont quant à eux lancé des incantations sur la nécessité d’une gouvernance économique commune, mais ont conduit une politique à l’opposé radical (dérive de la dépense budgétaire, réductions d’impôts, politique des salaires copieuse en accompagnement de la funeste réforme des 35 heures…) de la principale puissance économique de la zone et de son partenaire commercial le plus important. La politique étant la science du rapport de force, réclamer la convergence tout en s’éloignant de la politique suivie par l’économie ultra-dominante de la zone témoigne d’un manque de vision ou d’une témérité inconsciente de la part de nos hommes politiques. L’euro a sans doute joué un rôle de sédatif dans cette affaire, empêchant de voir qu’un trend asymétrique se créait et que nulle force au sein du mécanisme monétaire ne pouvait le corriger. On parlait à Bercy dans un temps pas si ancien de la « contrainte extérieure » pour désigner l’obligation de marquer à la culotte le niveau de compétitivité de l’Allemagne. Adieu tout cela sous le masque anesthésiant de la monnaie commune ; on en est désormais à un déficit commercial franco-allemand de 200 Md€, soit 10 % du PIB français !

 

Au regard du diagnostic, parfaitement établi, les recommandations de politique économique du chapitre Conclusion du Rapport sont hélas un peu générales. Peut-être pour ne pas hypothéquer le débat politique. Je retiens principalement un appel à ce que la future grande réforme fiscale que promet le Gouvernement Fillon se fasse dans le sens d’une compétitivité accrue et qu’au-delà d’une correction du trend asymétrique, il faut quand même faire « pour une dernière fois » un « recalage des coûts » d’environ 5 points, très probablement par un moyen fiscal. On lit ici en filigrane un appel à une TVA sociale et une réduction des charges sociales pesant sur les entreprises.

 

Pourquoi pas en effet ? Mais il faut voir que les recalages, à l’égal des dévaluations, ne font trop souvent qu’apporter un bol d’oxygène rapidement consumé. Les trends asymétriques se corrigent sur la durée et malheureusement dans la douleur, comme a su le faire la gauche dans les années 1980 avec la politique du franc fort, politique qui a été par la suite gaspillée par une politique budgétaire inconséquente. On voit le débat politique s’attacher à nouveau au niveau « abusif » des charges salariales, avec un financement de la protection sociale trop fortement (et beaucoup plus fortement qu’en Allemagne) assise sur le facteur travail. Sans doute, mais c’est négliger que ce mode de financement, assis plus largement sur les salaires) a toujours été le cas en France et ne l’a pas empêché d’être compétitive dans les années 1990. Les questions fiscales sont toujours des questions d’équilibre général : quand les taxes sur les salaires sont très élevées, se mettent en place des forces correctrices dans le système des prix et des salaires qui effacent une partie de la distorsion, par exemple par le jeu de l’indexation, à preuve le fait que les coûts salariaux sont à peu près les mêmes en France et en Allemagne (à la vérité désormais légèrement plus élevés en France) alors qu’il y a près de 9 points de charges sociales et parafiscales en moins outre-Rhin2.

 

La solution me semble davantage du côté d’une nouvelle « politique du franc fort », qui à l’époque de Delors et Bérégovoy se déclinait essentiellement en politique budgétaire et des revenus, la parité franc-mark, comme aujourd’hui avec l’euro, restant fixée contre vent et marée. La norme salariale française dans ce contexte doit devenir, y compris pour le SMIC : progression des salaires allemands moins quelque chose. Bien sûr en souhaitant que les salaires allemands progressent le plus rapidement possible, mais ceci est une autre histoire, pour l’instant hors de l’action des hommes politiques français3. Par ailleurs, ce n’est pas tant la structure des impôts qui est en cause que leur niveau moyen, c’est-à-dire le niveau moyen de la dépense publique en France. Il est décisif pour éclaircir l’horizon collectif du pays que le secteur public entreprenne les gains de productivité massifs qu’il a trop longtemps différés, de façon à réallouer les ressources de l’économie vers les secteurs de biens et services marchands et parfois vers certains services publics actuellement en déshérence. Mais plus ici encore que pour la politique des revenus, la dose de carburant politique à injecter dépasse de beaucoup les capacités habituelles du pays.

 

Je signale pour finir un facteur non négligeable, mais quelque peu poil à gratter dans le contexte politique français actuel, et donc mentionné qu’allusivement dans le rapport. L’Allemagne utilise de façon stratégique le recours à son hinterland que sont les nouveaux pays européens, à l’est de l’Europe. A la fois en ateliers de sous-traitance, et en fourniture de main-d’œuvre temporaire. C’est à raison que les éleveurs de porcs français s’insurgent contre les pratiques d’emploi jugées déloyales de leurs concurrents allemands. Mais, dans une approche stratégique sans doute à long terme, il peut être malin pour la France de cultiver son propre hinterland, à savoir de réserve de bas salaires. Les candidats évidents sont les pays du Maghreb, avec lesquels les flux d’immigration et de sous-traitance devraient être amplifiés.

 

1. Comme le dit très bien le rapport : « La France a choisi au moment de l’entrée dans l’euro des politiques clairement anti-compétitives. Il y a eu divergence au moment même de la convergence ! »

2. Cela étant, le Gouvernement Schröder a transféré une fraction des charges sociales sur la TVA, alors que le Gouvernement Jospin avait choisi de réduire le taux de TVA. Ces deux chocs créaient très certainement un « décalage » dans le mauvais sens.

3. Qui pourrait toutefois advenir plus vite que prévu, à la fois en raison des tensions qui commencent à apparaître sur le marché de travail allemand et d’une docilité moindre des syndicats allemands.