Trois jeux de comptes ! C’est ce que toute société française membre d’un groupe qui consolide en IFRS est obligée de remplir : des comptes individuels selon le Plan Comptable Général (PCG),  des comptes selon IFRS aux fins de consolidation et une « liasse fiscale » pour les besoins du fisc. C’est un de trop.

Il faut alléger les obligations des sociétés en les autorisant à abandonner le PCG dès lors qu’elles font partie d’un groupe qui consolide en IFRS ou si elles retiennent IFRS comme référentiel comptable. La DFCG en avait fait la proposition (La Tribune du 18 mars 2008). Il serait utile que nos membres réagissent à cette proposition qui réduit les coûts et accroît la sécurité et la cohérence des processus comptables. Un unique langage comptable à tous les niveaux de l’entreprise est un gage d’efficacité et de qualité des comptes. Cela facilite aussi la vie et le dialogue entre comptables et contrôleurs de gestion.
Si cette proposition est raisonnable, elle provoque un tir de barrage de tout ce que la France compte d’autorités en matière de comptabilité. L’objection technique immédiatement soulevée est celle de la « rupture de la connexion », très forte en France, entre la comptabilité et la fiscalité et entre la comptabilité et le droit des sociétés.
La connexion fiscalo-comptable – c’est-à-dire le fait que les règles comptables  édictées par le PCG servent de règles de détermination de l’assiette de l’impôt – n’a pas supprimé le besoin d’un tableau de passage (la fameuse « 2058A ») entre le résultat comptable de l’entreprise et le résultat imposable. Depuis toujours, les initiatives de l’administration fiscale ont rendu nécessaires des ajustements entre les deux notions. Il en ira de même, ni plus ni moins, si l’entreprise établit ses comptes selon IFRS. Elle remplira une « 2058 bis » établissant la nouvelle clé de passage entre un système et l’autre, et lui donnant une traçabilité. Il n’y a pas à réécrire pour cela le Code des impôts (même si un toilettage serait bienvenu). Certains pays européens ont déjà fait ce choix avec succès. La solution devra bien sûr garantir la neutralité fiscale du changement à laquelle les entreprises sont attachées.
Les liens nécessaires entre comptabilité et droit ne posent pas non plus de difficulté insurmontable. On sait qu’en France des notions comme celle de résultat distribuable ou de seuil d’obligation de recapitalisation sont définies sur la base d’agrégats comptables, qui seront bien sûr modifiés sous IFRS. Le législateur français peut suivre la proposition du groupe de travail « IFRS et droit » du Conseil National de la Comptabilité, à savoir définir de façon précise dans les textes les formules de calcul des grandeurs considérées. Il rééditerait ce qu’a fait avec succès le superviseur bancaire pour maintenir la cohérence dans les normes prudentielles qu’il impose aux banques en dépit du changement des agrégats comptables.
Certains groupes cotés ont déjà fait l’expérience d’une telle clé de passage lorsqu’ils avaient négocié avant IFRS des ratios critiques pour leurs emprunts bancaires assortis de clauses de défaut. Un tableau audité a assuré la réconciliation entre grandeurs IFRS et indicateurs contractuels.
Une autre critique entendue est la complexité des normes IFRS. L’argument bien sûr ne vaut pas pour les groupes qui déjà consolident en IFRS, puisque les comptables des filiales sont déjà en charge de faire la remontée de leurs comptes dans ces normes.  Mais la plupart des PME sont engagées dans des opérations comptables au total simples pour lesquelles les normes IFRS ne sont pas d’une application très difficile. De plus, le board IAS a finalisé en juillet 2009 des normes simplifiées, dites IFRS pour PME, qui sont d’une application beaucoup plus simples. Par rapport au PCG, elles reprennent pour l’essentiel les traitements préférentiels recommandés par l’AMF en 1999 pour les comptes consolidés et qui avaient si efficacement préparé la voie à l’acceptation d’IFRS par les grandes sociétés françaises. Enfin, les entreprises de taille moyenne et petite bénéficient de l’assistance très professionnelle des experts-comptables et commissaires aux comptes, pour qui une telle réforme ne présente plus désormais de grande difficulté technique.
La réforme se ferait sur base volontaire, chaque tête de groupe décidant ou non de changer de référentiel pour la préparation des comptes individuels des sociétés de son périmètre français. Les groupes de private equity pourraient être tentés de suivre le mouvement. En ouvrant cette possibilité, les pouvoirs publics permettraient une adaptation graduelle des entreprises, leur évitant la lourdeur et les risques de tout big-bang comptable. Ils prépareraient la voie à une adoption plus large des IFRS, y compris dans leur version simplifiée.
Par François Meunier et Nicole Rueff