La contrefaçon évoque de mauvaises choses : du travail volé, des marques pillées, une insécurité sur les produits, notamment pharmaceutiques…  La perte d’emploi pour l’économie française est importante, et ce au profit des pirates, le plus souvent venus de Chine par les temps qui courent.
 
Cela touche les secteurs les plus inattendus : un tiers des exemplaires du dernier volume d’Harry Potter circulant de par le monde seraient des exemplaires de contrefaçon, sans qu’il soit possible souvent de distinguer l’ouvrage légitime de sa copie conforme. Le secteur du livre professionnel et universitaire est aussi concerné. On estime qu’en Chine, le marché du livre dit académique (celui touchant l’enseignement et la recherche) est estimé à 120 M$. Un montant de 75 M$ relèverait du marché légal ; 45 M$ du marché de l’occasion ou de la contrefaçon.
 
Mais comment ne pas être frappé en sens inverse par ce qu’on peut appeler le paradoxe de Nanjing Road, l’équivalent à Shanghai de la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. On y voit les plus beaux magasins, avec tous les noms de marque qui figurent dans la belle chanson d’Alain Souchon (« Putain ça penche ! ») : Hermès, Boss, Ralph Lauren…, chacun d’eux avec des ventes au m² proches des records mondiaux, malgré ces temps de crise. Pourtant, à quelques centaines de mètres de là, il y a le plus grand marché de contrefaçon du monde, où vous trouvez pour quelques yuans les mêmes produits avec les mêmes noms de marque collés aux vêtements, parfois provenant des mêmes usines. Pourquoi le marché de la contrefaçon ne tue-t-il pas toutes les boutiques de luxe ? La réponse, on la connaît : les Chinois qui ont de l’argent veulent « the real thing ».
 
Du coup, il faudrait lire la contrefaçon d’une autre manière, plus ambivalente. Un produit de contrefaçon s’analyserait alors comme une action marketing permettant au plus grand nombre de s’offrir la grande marque à prix réduit. C’est très vrai pour les articles de mode. C’est vrai aussi dans une certaine mesure de la musique déchargée sur Internet : on connaît l’auteur via la contrefaçon, puis, une fois accroché, on lui reste fidèle, y compris pour les ventes pécuniaires. Les producteurs légitimes cherchent légitimement une voie judiciaire pour affirmer leurs droits de propriété. C’est une première façon de faire monter le risque, et donc le coût de production, pour le pirate. Mais d’autres solutions existent. La première voie, c’est de baisser les prix : la contrefaçon est une force de rappel quand la rente liée à la marque est utilisée « abusivement » par le producteur titulaire. Le snobisme n’a pas de prix… jusqu’à une limite. Une autre façon consiste à rompre avec le dogme d’une production préservée « à la maison », c’est-à-dire en France pour les grands du luxe. Il s’agit ici de mettre des capacités de production dans les pays émergents, en propre ou mieux chez des partenaires, évidemment sous le contrôle étroit de l’entreprise. Serait-il forcément sot pour un Hermès d’exporter des ateliers de confection en Turquie ou en Chine ? Il y a de façon très secondaire un avantage de coût de production. Mais il y aurait surtout constitution d’intérêts locaux pour défendre la propriété intellectuelle de la marque, c’est-à-dire leurs emplois locaux ! On devine que c’est une stratégie à user avec précaution, pour ne pas laisser filer sans bonne raison la technologie vers des pays concurrents. Mais c’est celle qu’acceptent couramment les Alstom ou les EADS quand ils veulent bénéficier de grands contrats à l’export. C’est peut-être une réponse moins intéressante pour l’emploi français, mais qui préserve la marque et une grande partie de la valeur ajoutée. Les grands du luxe italiens le font sans vergogne en utilisant comme base arrière pour leur production la région de Naples, avec les bas coûts que permet une exploitation sous la férule de la Camorra, comme le montre de façon extraordinaire « Gomorra », le livre témoignage de Roberto Saviano. On y voit les tours les plus criminels dont use la Camorra pour éviter un départ des savoir-faire de haute couture en Asie, y compris en recrutant sur place une Mafia asiatique dont précisément l’intérêt est que la fabrication ne file pas dans le Sichuan. Enfin, les producteurs peuvent plus indirectement tourner à leur avantage le piratage : par exemple, Windows l’est à 90 % en Chine. Mais cela rend les consommateurs captifs. Comme le remarque subtilement dit Bill Gates : « c’est plus facile pour notre logiciel de concurrencer Linux quand il y a du piratage que quand il n’y en a pas.” Les contrefaçons de Viagra peuvent être terriblement nocives pour la santé – et sont à raison passibles de peines criminelles. Mais quel spécialiste de marketing n’y verrait pas, dans son jargon inimitable, l’idéal « entry level product », le produit d’entrée de gamme magique ! « Les marchands et les pirates ont été pendant longtemps une seule et même personne », disait Nietzsche. Cette citation est-elle authentique, ou elle aussi de la contrefaçon ?