La fonction contrôle de gestion peine à trouver ses marques dans le monde des services. Or, qu’ils soient purs ou intégrés aux produits industriels, la part des services dans le PIB est passée de 60 % à près de 80 % en quelques décennies. Les expériences montrent que la simple transposition des méthodes et outils industriels n’est pas pertinente. Quelles sont donc les différences fondamentales entre ces deux mondes qui justifient ces difficultés ?

En industrie : on recherche l’optimum

En industrie, le contrôleur de gestion a pour objectif d’optimiser l’utilisation des ressources pour un résultat donné, le produit à destination du client. Pour cela, il va accompagner un manager dans la gestion de son équipe et des équipements.

Les gammes opératoires laissant de très faibles marges de manœuvres, les niveaux de qualité, coût et délais sont prévisibles. Le manager peut piloter son processus de production avec une bonne visibilité sur l’utilisation des ressources, car le processus de production est stable d’une série à l’autre, standardisé par ces gammes opératoires.

Sauf incident, les ressources engagées dans la production sont connues, tant en quantité qu’en qualité. Les écarts de performance proviennent soit des matières, soit de dysfonctionnements machines, soit du non-respect des gammes. Les responsabilités quant à l’atteinte des performances attendue sont clairement définies. L’évaluation de la performance du processus de production est donc OBJECTIVE.

En services : on recherche le compromis

  1. Malleret nous donne une définition opérationnelle du service où « Le client participe à l’élaboration du service, s’y intègre autant qu’il le consomme ».[1] Cette spécificité a été définie par le néologisme « Servuction »[2], le processus de prodUCTION du SERVice.

Le client est ainsi une ressource pour le processus de servuction. Et plus le niveau de servuction est élevé, plus la contribution du client impactera les performances de ce processus. Or, la disponibilité et le niveau de compétence de cette nouvelle ressource ne sont pas connus du prestataire.

Il n’est donc plus question d’établir des gammes opératoires à suivre à la lettre. En effet, face à cette inconnue que constitue le client, le prestataire doit disposer de marges de manœuvres suffisantes pour s’adapter. Le processus n’est plus standard, il est adaptatif. Le manager perd en visibilité et les responsabilités sont diluées. L’évaluation de la performance du processus ne peut donc plus être objective.

Plus le niveau de servuction sera fort, plus l’appréciation de la performance sera SUBJECTIVE, car liée à des éléments externes à l’entreprise. Pour un livreur, l’impact du client sur le coût global de la prestation est limité au temps de contact lors de la remise du colis. Pour un consultant, le client impacte la performance de la mission dès le premier entretien et tout au long de son déroulement.

Les niveaux de qualité, de coût et de délai de réalisation du service ne sont donc pas déterminables à priori. Tout au long du déroulement de la prestation, un ajustement est effectué entre ces trois critères pour, d’une part, satisfaire le client, et d’autre part, satisfaire les contraintes de profitabilité du prestataire. L’évaluation finale du processus de servuction est ainsi la résultante d’un COMPROMIS entre le prestataire et le client sur les critères de qualité, délai et coûts. Ceux-ci ne sont plus optimisés pour le fournisseur, mais ACCEPTABLES par les parties prenantes.

Un compromis nécessitant plusieurs intervenants, cette évaluation est de facto COLLECTIVE, réalisée conjointement par le prestataire et le client.

Dès lors, il n’est pas étonnant que Pierre Yves Gomez, dans « Le travail invisible »[3], constate une hypertrophie de la composante objective du travail durant les dernières décennies. Ni qu’il prévoit un rééquilibrage au profit des composantes subjectives et collectives pour les décennies à venir. Cette vision est totalement corrélée avec le développement des activités de services au détriment des activités industrielles.

En conclusion, une différence fondamentale réside dans la finalité même du contrôle de gestion.

  • En industrie, on recherche un niveau de performance optimisé et objectif du processus de production.
  • En services, on recherche un niveau de performance acceptable du processus de servuction : le meilleur compromis, subjectif et collectif.

Optimisation, compromis, grande différence !

[1] V. Malleret, J. Teboul, Vers une définition opérationnelle des services, Revue Politiques et Management  public, Volume 3, N°3, septembre, 1985, pages 24- 25

[2] Eric Langeard, Pierre Eiglier, Servuction : le marketing des services, Ediscience International, 1987.

[3] Pierre-Yves Gomez, Le travail invisible, François Bourin Editeur, 2013, ISBN 2849413607