Crise financière : destruction créatrice ou fin du capitalisme financier ?
Selon Joseph Schumpeter, l’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est initiée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés et les nouveaux types d’organisation industrielle – tous créés par la dynamique capitaliste. Cette mutation révolutionne sans cesse, de l’intérieur, la structure économique, en détruisant ses éléments vieillis pour en créer des neufs. Ce processus de « destruction créatrice » constitue, selon lui, la donnée fondamentale du capitalisme : c’est ainsi que se développe la création de richesse, et toute entreprise capitaliste doit s’y adapter.
Par analogie, on pourrait considérer que l’économie d’endettement, qui s’est développée à l’extrême ces dernières années, soit elle-même concernée par ce processus. L’innovation portée par les acteurs des marchés financiers a été une des forces motrices de la croissance économique. Couronnée de succès, celle-ci a propulsé différents acteurs économiques (banques, agences de notation, traders…) à une position de monopole temporaire sur l’économie, dont le paroxysme aurait été atteint avec les derniers événements que nous connaissons.
Cette analogie supposée amène deux questions majeures : sommes-nous à la fin d’un cycle de destruction créatrice ? Quelle serait alors la nouvelle impulsion sur la machine capitaliste ?
La réponse à la première question semble aisée: non, ce cycle n’a pas atteint ses limites. Les différents plans de relance ont permis d’éviter que la crise de liquidités actuelle ne fasse tomber par effet domino l’ensemble du système bancaire. Mais ce sauvetage de court terme va se heurter à d’autres écueils qui vont en grossissant. Le plus important d’entre eux pourrait être l’endettement croissant des Etats et donc des émissions d’obligations d’État nécessaires à son financement. Selon diverses estimations, 3 000 milliards de dollars en 2009 seraient encore nécessaires pour financer le contre-feu à la crise de liquidités et à la détérioration des bilans bancaires, soit trois fois plus qu’en 2008. Certains Etats moins solides (Islande, Portugal, Grèce…) risquent de ne pouvoir suivre, soit en raison de taux élevés, soit par impossibilité de trouver des investisseurs, soit enfin parce qu’ils ne peuvent recourir à l’arme de la dévaluation. Ceci d’autant plus que certains pays à capacité d’épargne (les «émergents» comme la Chine et l’Inde, les pays pétroliers…) risquent de réallouer leurs ressources vers la consommation intérieure pour éviter les risques sociaux ou compenser la réduction de la demande mondiale ou les deux à la fois.
Comment appréhender les impacts des niveaux d’endettement des ménages et de l’État fédéral américain, supports essentiels de la reprise économique ?
Les ménages ont atteint des taux d’endettement de 140 % aux Etats-Unis et de 170 % au Royaume-Uni. Et, Outre-Atlantique, un ménage sur 54 devrait perdre son bien immobilier d’ici fin 2009… Que se passera-t-il si tous ces ménages ne peuvent plus consommer ?
L’État fédéral américain aurait émis, à ce jour, des obligations à hauteur de 59 800 milliards de dollars, soit un peu plus de cinq fois le PIB. Que se passerait-il si une émission de ces bons ne trouvait pas preneur ou s’il y avait une dégradation de son fameux rating ?
En tentative de réponse à la deuxième question, on peut imaginer que le capitalisme financier doive se réinventer très vite, sous peine d’une destruction sans rebond créatif. Le règne sans partage des marchés financiers doit s’arrêter: peut-on encore penser qu’une progression de profit de 15 % par an est réaliste dans des secteurs qui progressent de 2 ou 3 % ? Et comment comprendre la réaction de certains investisseurs, qui jugent insuffisants les plans de restructuration de certaines entreprises, alors que celles-ci affichent des profits dont la progression est deux ou trois fois supérieure à celle de leur chiffre d’affaires ? Il devient dès lors légitime de s’interroger sur l’emploi de ces profits, en direction ou non de la création d’un nouveau cycle économique. Si le maintien de profits élevés se justifie par de réels investissements dans l’éducation, la recherche, l’innovation ou de nouveaux débouchés, alors on peut attendre un réel rebond économique.
Cette impulsion de recherche, d’innovation, de grands travaux, de relance de la consommation intérieure viendra vraisemblablement des Etats-Unis, dont la capacité de rebond et le dynamisme ne se sont jamais démentis. L’informatique c’est eux, Internet toujours eux, la green economy ce sera encore eux… à condition qu’ils acceptent de revisiter certains aspects de leur modèle capitaliste.
Contribution originale de la DFCG pour Option Finance (03/09)