Une des principales caractéristiques de la mondialisation dans les dernières décennies a été l’émergence de chaînes d’approvisionnement mondiales, en particulier en Asie. Ce billet, paru dans le site ami Vox-EU du 18 novembre, explique comment les chaînes d’approvisionnement peuvent augmenter les risques de contagion entre les pays. Il montre les effets d’entraînement que le tremblement de terre et le tsunami au Japon, et les inondations en Thaïlande ont eu sur l’industrie automobile à travers les pays. Il suggère qu’une plus grande coopération internationale, tels que le développement de grappes (clusters) industrielles jumelles, est un moyen d’atténuer les risques.

Le 11 mars 2011, un tremblement de terre à l’est du Japon a créé une vague dépassant les 20 mètres. Elle a frappé la côte du Tohoku au Japon sur plusieurs centaines de kilomètres. Elle a coûté la vie à environ 18.000 personnes, a provoqué une crise nucléaire classée au niveau 7 à Fukushima et des dommages économiques pour environ 200 Md$.

Ce tremblement de terre a démontré la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales à des chocs isolés. Bien que la part des exports des zones touchées ne soit que de 1 % du total des exports japonaises, c’est toute la chaîne d’approvisionnement du Japon et de l’Asie du sud-est, et du reste du monde qui a été perturbée. L’industrie automobile, qui fonctionne par assemblage de 20 à 30.000 pièces pour une seule voiture, a été le secteur le plus touché.

L’usine-Asie

L’Asie du Sud-Est est aujourd’hui appelé le centre de production du monde précisément sur base de ce réseau de chaînes d’approvisionnement. Pourquoi une telle agglomération de la production en cet endroit ? Les principaux facteurs sont les économies d’échelle et des coûts de transport réduits.

  • La réduction des coûts de transport favorise une concentration de la production à un nombre limité d’endroits. Pour l’industrie automobile par exemple, les 20 à 30.000 pièces composant l’automobile sont échangées à travers un réseau de chaîne d’approvisionnement complexe qui gère tout, de l’achat de pièces à la livraison des produits finis.

 

  • Pour minimiser les actions d’inventaire, chaque centre de production adopte une politique de juste-à-temps. Cela est efficace dans des conditions normales, mais très vulnérable aux catastrophes majeures.

Quel impact sur l’industrie automobile japonaise ?

Environ 10 millions de voitures sont produites au Japon chaque année, la moitié d’entre elles vendues dans le pays. Les constructeurs japonais produisent 13 millions de voitures par an à l’étranger, ce qui nécessite des pièces clés fabriqués au Japon ainsi. Les usines de la région de Tohoku ont souffert directement du tsunami. Mais ailleurs, en raison des dégâts sur l’infrastructure, d’autres usines ont été touchées. Certaines ont mis plus d’un an et demi pour récupérer, notamment parce qu’elles ont été incapables de se procurer des pièces d’ailleurs. La mesure du choc se lit sur le graphique 1.

Graphique 1. Indice de la production japonaise d’automobile

Indice de la production japonaise d’automobile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Pareillement,  de grandes inondations ont eu lieu en Thaïlande en septembre 2011. La région de Bangkok est l’un des plus grands nœuds productifs de l’automobile et de l’électronique dans la région. Les grandes entreprises japonaises y font tourner  des usines qui sont approvisionnées en pièces plus importantes venues d’ailleurs. On compte plus de 1.300 entreprises japonaises dans la région. La production automobile en Thaïlande a chuté de 25% en mai 2011 en raison de la pénurie de pièces en provenance du Japon. Et a nouveau chuté de 85% en novembre à cause des inondations.

Une répercussion mondiale

Le graphique 2 permet de visualiser l’impact mondial de ces deux catastrophes. On y voit les données de production du Japon, de la région de Guangdong en Chine, de la Thaïlande et des États-Unis. Suite au tremblement de terre, la production automobile a chuté de 85,7 % au Japon. Elle s’est progressivement redressée, mais pour rechuter brusquement en septembre en raison des inondations en Thaïlande. Même chose pour le Guangdong : la production en avril était en baisse de 39 %, a récupéré en août, mais a subi en septembre le choc des inondations. Même chose aux États-Unis suite au tremblement de terre (l’impact des inondations en Thaïlande a été moindre). Plus grande est la distance au Japon, plus l’impact de la catastrophe est atténué, probablement en raison de réserves en stock plus importantes. Le phénomène ne concerne pas seulement l’industrie automobile. Par exemple, le prix d’un disque dur a triplé à la suite des inondations en Thaïlande, qui produit 45% des disques durs dans le monde.

Graphique 2. Production automobile dans les grandes régions du monde.

 

Production automobile dans les grandes régions du monde.

Source: JAMA, Statistics Bureau of Guangdong Province, TAIA, Federal Reserve Board. By courtesy of Professor Nobuaki Hamaguchi.

Comment renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement ?

D’abord, il n’y a pas d’endroit au monde qui soit sans risque. Il y a toujours la possibilité qu’une chaîne d’approvisionnement soit perturbée en raison d’une catastrophe, y compris provoquée par l’homme.

Afin de renforcer la résilience de ces chaînes, il convient de disperser le risque. La production automobile a tendance à utiliser des dizaines de milliers de petites entreprises qui approvisionnent les principaux réseaux de production. Parce que ces entreprises sont très vulnérables aux catastrophes majeures, une coopération à niveau du groupe est indispensable. L’amélioration viendra de la dispersion virtuelle et réelle des grandes usines, de la standardisation des pièces et des matériaux, de la diversification des approvisionnements, et de l’utilisation de l’assurance en cas de catastrophe.

Un exemple concret d’atténuation des risques est la proposition du gouvernement thaïlandais de développer des grappes industrielles jumelles. Selon cette proposition, chaque grappe se concentre en temps normal sur ses produits spécifiques. Mais dans le cas d’une catastrophe majeure, la grappe jumelle intervient pour assurer une production de sauvegarde des pièces communes. Cette coopération de pays à pays est importante. Alors qu’il y a concurrence en temps normal, il doit y avoir coopération en cas de catastrophe.

La coopération internationale est essentielle, tout comme la coopération sur l’innovation vers la mise à niveau de nos réseaux de matière grise. La leçon à tirer du Japon et de la Thaïlande est qu’il faut œuvrer à une plus grande sécurité des chaînes d’approvisionnement.