La formation au management des entreprises est assurée en France par plus de dix mille enseignants-chercheurs, formateurs en entreprises et consultants en formation. Le nombre de professeurs et de maîtres de conférences en sciences de gestion, qui exercent dans les 83 universités et les 450 écoles de commerce et d’ingénieurs, est estimé à environ 2000. Le laboratoire de recherche (PRISM/ISO) de l’Université de Paris I (Panthéon Sorbonne) a réalisé en 2009 une enquête auprès d’un échantillon représentatif des 250 à 300 enseignants-chercheurs français qui ont occupé des postes de cadre d’entreprise (notamment dans les fonctions financières et de contrôle) pendant plus de 10 ans, avant de migrer (à plein temps) dans une université ou une école de management. Les résultats de l’enquête contribuent à une meilleure connaissance de leurs motivations, de leurs parcours et de leurs profils.

Les motifs de départ de l’entreprise se répartissent à parts égales entre les facteurs structurels (notamment l’anticipation d’un plafonnement de carrière) et les facteurs personnels. Les raisons les plus souvent invoquées sont le désir de « transmettre une expérience aux nouvelles générations », le souhait de « rejoindre la communauté des professeurs », la volonté « d’accéder à un autre monde de la connaissance »… La recherche d’un « autre mode de développement personnel », d’un « nouveau sens à l’action professionnelle », d’un « modèle différent de carrière », est évoquée par la moitié des migrants à moins de 40 ans, mais par seulement un quart des migrants à plus de 40 ans.

Les facteurs d’attraction du métier d’enseignant-chercheur se répartissent entre la recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, d’une part, et le lancement d’un défi personnel, d’autre part. Le premier facteur est plus fréquemment avancé parmi les enseignantes de tous âges et parmi les enseignants du secteur privé sortis de l’entreprise à plus de 40 ans. L’attrait d’une promotion socio-professionnelle et la recherche d’une meilleure sécurité de l’emploi sont peu cités par les répondants. « L’attraction des grades académiques », « l’intégration d’un autre milieu social », « l’entrée dans un établissement prestigieux », « l’ouverture sur l’international », sont plus souvent cités par les plus jeunes nomades en quête de défi personnel.

Les barrières de nature intellectuelle sont largement citées (61% des réponses), notamment par les « nomades à plus de 40 ans ». Les difficultés les plus fréquemment perçues résident dans l’effort intellectuel exigé par « l’acquisition » et/ou « l’approfondissement de connaissances théoriques », par l’apprentissage des « méthodes pédagogiques », mais surtout par la maîtrise des « méthodes de production de nouvelles connaissances ». Ces dernières recouvrent différentes techniques de modélisation, de business intelligence, de créatique, de conception innovante… dans l’entreprise ; elles font appel à une réflexion épistémologique et à des méthodes de recherche scientifique, dans les universités et certaines écoles de management. Plusieurs enquêtés s’interrogent sur l’asymétrie existant entre l’accompagnement du manager en entreprise, qui est encadré par des « rituels d’intégration », des « parcours initiatiques », assortis de processus d’apprentissage, d’appréciation et d’orientation (formation continue, compagnonnage, mentoring, coaching…), et celui de l’enseignant-chercheur issu de l’entreprise, qui est confronté aux difficultés d’accès aux formations doctorales et post-doctorales.

Les profils-types des enseignants-chercheurs nomades se répartissent entre « enseignants-consultants » (44%), « chercheurs actifs » (25%) et autres profils (administratifs et divers). Le « chercheur-actif » correspond à « l’idéal mertonien », fondé sur des principes d’universalisme des connaissances et de désintéressement des scientifiques. Plusieurs enquêtés soulignent l’incompatibilité croissante entre ces différents profils et l’irréversibilité de l’engagement dans la voie de l’enseignement–conseil ou dans celle de l’enseignement-recherche, l’une comme l’autre de ces activités étant de plus en plus « consommatrice de temps » et « encastrées dans des communautés cognitives » différentes.

Les barrières institutionnelles sont moins souvent citées, car elles sont perçues comme étant subordonnées aux barrières cognitives, le franchissement des dernières déterminant celui des premières. Les barrières organisationnelles constituées par le changement de « procédures de gestion », de « systèmes d’information et de communication », de référentiel temporel (une répondante évoque « le temps court de l’entreprise et le temps long de l’université »)… sont parfois citées. Les barrières économiques sont jugées faiblement dissuasives, car les rétributions et avantages sociaux de l’enseignement sont généralement inférieurs à ceux de l’entreprise, mais elles sont compensées par une plus grande stabilité de l’emploi et, dans le secteur public, par un meilleur régime de retraite. Un enquêté observe que le métier d’enseignant-chercheur comporte des barrières à l’entrée, mais également des barrières à la sortie, dans la mesure où un retour en entreprise est jugé de plus en plus difficile après un parcours significatif en université ou en école de management. La plupart des enquêtés (notamment les nomades à plus de 40 ans) déclarent avoir « finalement opté » pour la voie interne et locale (passant par des postes de maître de conférence ou de professeur assistant ou associé) face aux « hautes barrières scientifiques et institutionnelles » érigées à l’entrée de la voie externe (concours nationaux ou cooptations locales) conduisant aux universités et aux écoles à rayonnement international.