La France a promulgué le 9 décembre 2016 la loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, communément appelée loi Sapin 2.

Cette loi a rapidement défrayé la chronique principalement au motif de la réforme d’ampleur qu’elle a introduite en France en matière de lutte contre la corruption. En effet, cette réforme illustre la volonté de la France, sous les pressions de l’OCDE, d’enfin se porter aux standards internationaux en matière de lutte contre la corruption, notamment en se dotant d’une nouvelle agence anticorruption et en adoptant un régime de protection des lanceurs d’alerte.

Cependant, la loi Sapin 2 ne saurait être réduite à ses seuls aspects de la lutte anti-corruption, car elle s’inscrit dans une tendance législative croissante à construire des lois fourre-tout. En réalité, la loi Sapin 2 se penche également sur la transparence dans la vie politique française, la modernisation de la domanialité et de la commande publiques, le renforcement de la régulation financière, la protection des droits des consommateurs en matière financière, la situation financière des entreprises agricoles et enfin la modernisation de la vie économique et financière (et notamment la transposition en droit français de la directive 2014/104/UE sur les actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence).

La loi Sapin 2 a donc un champ d’application particulièrement large. Et ce y compris en matière de manquements à la probité. Elle met ainsi à la charge des entreprises des obligations en matière de protection des lanceurs d’alerte et de mise en place de programme de conformité qui font d’elle une loi très ambitieuse.

Si la réforme de la lutte anti-corruption est intégrée au Titre I « de la lutte contre les manquements à la probité », il n’échappera pas au lecteur que la lutte contre les manquements à la probité dépasse largement les frontières de la lutte contre la corruption.

En outre, le champ d’application de la loi Sapin 2 est ici particulièrement large puisqu’il concerne non seulement toutes les entreprises, de droit public comme de droit privé, mais également toute l’administration d’Etat et les collectivités locales.

Si la notion de probité se comprend comme « la qualité de quelqu’un qui observe parfaitement les règles morales, qui respecte scrupuleusement ses devoirs, les règlements, etc. »,[1] on réalise alors le travail immense de moralisation que le législateur a souhaité mettre en place et déléguer aux acteurs de la vie économique et sociale française. Néanmoins, cette délégation est mesurée, En effet, les obligations définies par le législateur sont fonction de la taille de l’organisme concernée. Il y a donc une gradation dans les mesures mises en place par la loi Sapin 2.

Il convient donc de se pencher plus précisément sur le champ d’application des obligations créées par la loi Sapin 2 au titre de la lutte contre les manquements à la probité afin d’en saisir l’ampleur et l’urgence pour tous les organismes concernés de se saisir de leurs mises en œuvre.

 

1. La probité dépasse largement la corruption

a. La procédure d’alerte doit permettre de signaler tout fait constitutif d’un crime, ou d’un délit

La définition d’un lanceur d’alerte et la procédure de signalement d’une alerte sont prévus aux articles 6 et suivants de la loi Sapin 2.

L’alerte porte sur « un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ».

Cette définition ne fait aucune référence directe à la corruption ou au trafic d’influence. Il est vrai que la corruption comme le trafic d’influence sont bien visés par le Code pénal. Néanmoins, la loi fait le choix délibéré de ne viser précisément aucune infraction en particulier.

Ainsi, parmi les risques auxquels les entreprises sont couramment exposées et qui rentrent dans le champ d’application de la procédure d’alerte, on trouve notamment l’abus de confiance, l’abus de bien social, le vol, le harcèlement,…

Si les crimes et délits sont clairement énoncés et peuvent donc être facilement identifiés par les entreprises, il n’en est certainement pas de même pour les autres éléments visés par la définition de lanceur d’alerte.

 

b. La procédure d’alerte doit également permettre de signaler des manquements beaucoup moins clairement définis

En effet, la procédure d’alerte porte également sur l’ensemble des faits susceptibles de violer « un engagement international » de la France ou « un acte unilatéral d’une organisation internationale » pris sur son fondement.

En outre, la définition du lanceur d’alerte englobe « une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». On peut s’interroger sur la boîte de Pandore que pourrait constituer ces derniers éléments s’ils venaient à être interprétés largement.

En tout état de cause, il ne fait déjà aucun doute que de larges pans de notre droit positif, en dehors du droit pénal, protègent l’intérêt général, et que leur violation serait susceptible d’être dénoncée par un lanceur d’alerte. A ce titre, on peut notamment citer le droit de la concurrence, le droit de l’environnement, le droit bancaire et financier,…

Le champ des possibles alertes visées et protégées par la définition retenue par la loi Sapin 2 est donc extrêmement large. Ainsi, il ne fait aucun doute qu’en s’attachant à établir un statut protecteur pour les lanceurs d’alertes, la loi Sapin 2 a couvert des problématiques considérablement plus larges que la seule lutte contre la corruption et le trafic d’influence.

La définition retenue traduit la volonté du législateur de s’inscrire dans un cadre transverse pour mettre un terme à l’absence de cohérence dans le développement d’un droit du lanceur d’alerte développé par à-coups jusqu’alors.

Certains regretteront l’intégration de tant de manquements, peut-être insuffisamment définis, dans le régime de l’alerte, pouvant constituer une formulation hasardeuse laissée au libre arbitre de tout lanceur d’alerte potentiel et accroissant les risques d’alertes intempestives.

Relevons néanmoins, que pour bénéficier de la protection prévue par la loi, le lanceur d’alerte doit signaler « de manière désintéressée et de bonne foi » des faits dont il a eu « personnellement connaissance ».

En tout état de cause, cette définition impose à toute entreprise ou administration de s’interroger sur les risques juridiques auxquels elle est exposée afin de donner les moyens à ses collaborateurs de faire de l’alerte interne un outil au service de son activité.

On se réjouit cependant que le législateur ait réservé certaines exceptions au champ d’application du lanceur d’alerte.

A cet effet, l’article 6 prévoit des exceptions très précises au régime de protection du lanceur d’alerte en excluant expressément tous les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical, ou encore fort opportunément le secret des relations entre un avocat et son client.

 

2. Une réforme qui ne concernerait que les entreprises de plus de 500 salariés ?

Pour assurer l’efficacité de la lutte contre les manquements à la probité, la loi prévoit à son article 8 la procédure à suivre pour un lanceur d’alerte. Elle permet un signalement auprès d’un supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur, ou d’un référent externe désigné par celui-ci. En cas de défaut de réponse du supérieur hiérarchique, la loi autorise une divulgation graduée de l’alerte auprès de l’autorité judiciaire, de l’autorité administrative, ou à un ordre professionnel.

Enfin, en dernier recours dans l’hypothèse d’une absence de réaction de l’un quelconque des organismes visés ci-dessus, l’alerte pourra être rendue publique… Si l’organisme refuse de prendre en compte l’alerte, son auteur est alors autorisé à faire éclater le scandale sur la place publique. Dans ces circonstances, on comprendra aisément que toute entreprise ou administration concernée par l’alerte ait intérêt à mettre en place les procédures internes pour traiter efficacement et avec diligence toute alerte qui se présenterait.

 

a. Toutes les personnes morales de droit public ou de droit privé de plus de 50 agents ou salariés ainsi que l’administration et les collectivités locales doivent mettre en place une procédure de recueil d’alertes

Comme évoqué ci-dessus, la procédure à suivre pour un lanceur d’alerte est prévue à l’article 8 de la loi Sapin 2. Cet article prévoit des dispositions spécifiques de « recueil des signalements » pour les personnes morales de droit public ou de droit privé d’au moins 50 agents et/ou salariés, les administrations de l’Etat, les communes de plus de 10.000 habitants, les établissements publics de coopération intercommunale, les départements et les régions.

Le décret précisant les procédures de recueil des alertes a été publié le 19 avril 2017 et prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2018.[2]

Première surprise pour un lecteur non averti, la procédure d’alerte dépasse le seul cadre de l’entreprise publique ou privée pour embrasser l’administration, les communes les plus importantes et les collectivités locales… Ainsi, même les autorités administratives indépendantes sont concernées par la procédure de recueil d’alerte.

De plus, en retenant un seuil relativement bas de 50 agents et/ou salariés, la loi Sapin 2 assure l’application de la procédure d’alerte aux PME et garantit ainsi la diffusion à une grande part du tissu économique français d’une culture de la conformité.

On comprend mieux dès lors qu’une partie de la doctrine ne vise pas les entreprises mais bien les organismes concernés par les obligations de la loi Sapin 2 tant les acteurs intéressés sont nombreux et divers.

Le champ d’application de cette obligation de mettre en place une procédure de recueil des alertes est donc une nouvelle fois particulièrement large et on peut légitimement douter de la connaissance par l’ensemble des acteurs visés de cette obligation de mise en place avant le 1er janvier 2018.

 

b. Les entreprises doivent également permettre l’accès de leurs procédures d’alertes à leurs collaborateurs extérieurs et occasionnels

Nouvelle surprise pour un lecteur non averti, l’article 8 de la loi Sapin 2 prévoit que les organismes visés par l’obligation de mettre en place des procédures de recueil des signalements doivent également ouvrir ces procédures à leurs collaborateurs extérieurs et occasionnels.

Ce faisant, la loi Sapin 2 va particulièrement loin dans son exigence de conformité. Ouvrir une procédure d’alerte interne à un collaborateur externe, y compris occasionnel, c’est en effet assurer un contrôle par un tiers indépendant dans l’hypothèse d’un contournement ou d’un blocage des garde-fous par les responsables en place.

Ainsi, on retrouve dans cette disposition la volonté du législateur d’assurer la diffusion d’une culture de la conformité très largement aux acteurs publics et privés de la vie économique.

 

c. Seules les plus grandes entreprises publiques ou privées doivent mettre en place un programme de conformité pour lutter contre les faits de corruption et de trafic d’influence

L’article 17 de la loi Sapin 2 impose à certaines entreprises de prendre certaines mesures pour prévenir et détecter la commission en France, ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence.

Toute entreprise employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros est désormais tenue à de nouvelles obligations préventives de lutte contre la corruption et le trafic d’influence.

Cette obligation s’impose aux entreprises privées comme aux établissements publics à caractère industriel et commercial. Dans ce cadre, elles doivent mettre en place un programme de conformité qui comprend huit mesures : (i) l’élaboration d’un code de conduite, (ii) un dispositif d’alerte interne, (iii) une cartographie des risques, (iv) des procédures d’évaluation des clients et des fournisseurs de 1er rang, (v) des procédures de contrôle comptable, (vi) un dispositif de formation, (vii) un régime disciplinaire spécifique, (viii) un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.

Cette obligation nouvelle de la loi Sapin 2 est la seule à être limitée à la lutte contre la corruption et le trafic d’influence.

Si au premier abord, les obligations de mise en place d’un programme de conformité ne concernent que les plus grandes entreprises, celles-ci se voient imposer par l’article 17 des procédures d’évaluation de leurs clients, de leurs fournisseurs de 1er rang et de leurs intermédiaires. Les obligations des grandes entreprises en matière de lutte contre la corruption et le trafic d’influence vont donc également se diffuser auprès de leurs partenaires commerciaux principaux par ruissellement.

A ce titre, certains groupes exigent déjà de leurs partenaires commerciaux le respect de certains principes, voire même d’une charte préalablement établie, comme une condition préalable à des conditions commerciales, notamment dans le cadre d’appel d’offres. Ces exigences vont donc certainement encore croître.

On relèvera que pour cette obligation particulière de lutte contre la corruption et le trafic d’influence, l’article 17 prévoit une procédure d’alerte spécifique, différente de l’alerte prévue à l’article 8 de la même loi. Ceci est sans doute source de confusion et a pu laisser croire que la procédure d’alerte était seulement applicable aux plus grandes entreprises. Or ce qui est spécifique, c’est que l’alerte contre les faits de corruption et de trafic d’influence est réservée aux seules entreprises de plus de 500 salariés concernées.

 

3. Faire de la loi Sapin 2 une opportunité pour les entreprises

Il ressort des dispositions de la loi Sapin 2 que l’écrasante majorité des entreprises publiques ou privées, des administrations, ou collectivités locales est concernée par la diffusion de la culture de la conformité.

Si l’article 17 de la loi Sapin 2 met uniquement à la charge des grandes entreprises l’obligation de mettre en place un véritable programme de conformité qui comprend les huit mesures décrites ci-dessus, un tel programme doit être conçu comme une occasion d’établir une véritable cartographie de l’ensemble risques réglementaires qui pèsent sur une entreprise.

Quant à l’alerte prévue à l’article 8 de la loi Sapin 2, elle constitue également une opportunité de prévention et de détection des risques pour les organismes concernés et notamment les PME. Il appartiendra alors à l’organisme concerné de traiter l’alerte dans son meilleur intérêt possible.

Néanmoins, mettre en place une procédure d’alerte interne sans aucun accompagnement des collaborateurs se révèlera un exercice particulièrement délicat, voir périlleux. Il conviendra nécessairement de permettre au lanceur d’alerte de disposer des outils nécessaires pour répondre à ses interrogations sur la situation à laquelle il fait face. Une procédure d’alerte ne peut donc pas être déconnectée d’un mouvement plus vaste de sensibilisation, formation et mise en conformité de l’ensemble de l’organisme.

Or, en matière de programme de conformité, il n’existe pas de dispositif type. Un tel dispositif devra nécessairement être taillé à la mesure de l’organisme concerné.

L’adaptation des entreprises et des administrations aux exigences de la loi Sapin 2 passera par la mise en place d’outils de gouvernance adaptés. Si certaines entreprises sont déjà habituées à ces outils de conformité dans des domaines spécifiques comme le droit de la concurrence ou la protection des données personnelles, les nouvelles exigences de la loi Sapin 2 demanderont une adaptation des outils déjà en place.

Certains services internes déjà indispensables, comme la gestion des risques et la conformité, vont voir leur rôle et leur importance grandir encore. Il y a fort à parier que ces obligations de conformité vont encore croître à l’avenir pour l’ensemble des organismes concernés, et que ces derniers devront donc s’inscrire dans une démarche de perpétuelle adaptation à la réglementation en vigueur.

L’organisme devra être accompagné pour la mise en place de dispositifs opérationnels de prévention, détection et investigation.

La construction d’un mécanisme d’alerte devra aboutir à un système concret facilement accessible et utilisable pour l’ensemble du personnel et des collaborateurs externes. A ce titre, la loi comme le décret du 19 avril 2017 envisagent le recours à un tiers « référent » pour la procédure de recueil des alertes.

Le recours à un avocat comme référent au titre de la procédure d’alerte interne présente un avantage certain pour répondre aux exigences de l’article 9 de la loi Sapin 2 en matière de protection de la confidentialité des auteurs de l’alerte, des personnes visées et des informations recueillies.

Les effets positifs de la mise en place d’outils adaptés de détection et de traitement des risques sont évidents.

A titre d’illustration, en matière de droit de la concurrence, la détection d’une pratique anticoncurrentielle pourrait permettre à l’entreprise concernée de la dénoncer, et de bénéficier du programme de clémence (i.e. l’absence ou la réduction de l’amende normalement appliquée) à la condition de coopérer pleinement avec l’autorité de la concurrence compétente.

Enfin, à l’heure où l’on voit les juridictions pénales limiter le droit à la réparation de la victime d’une infraction en se fondant sur la participation de cette dernière à son propre dommage, il y a fort à craindre que l’absence de mise en place d’une procédure de recueil des alertes soit un nouvel éléments utilisé par les juridictions pour limiter le montant de la réparation de la victime.[3] A contrario, la mise en place d’une procédure d’alerte adaptée et efficace doit pouvoir permettre à l’organisme de détecter rapidement une infraction et d’obtenir plus facilement la réparation intégrale de son préjudice devant les juridictions pénales.

En réalité, par-delà les effets positifs évidents de réduction des risques, et par là de gains financiers, l’ensemble des obligations crées par la loi constituent de nouvelles opportunités pour l’ensemble des organismes concernés de développer une culture de conformité à l’ensemble de la réglementation, d’améliorer ses procédures et modes de fonctionnement, son impact environnemental et sociétal, son image…

 

[1] Définition du Larousse sur Internet.

[2] Décret n°2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations d’état.

[3] Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 mars 2014, n° 12-87.416 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 juin 2014, n° 13-84.450 ; Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 septembre 2014, n° 13-83.357.