2017 a vu apparaître, aux premiers rangs des acteurs en capitaux propres de LBO, en particulier sur le créneau 500 – 2 000 M€ de valeur d’actif économique, de nouveaux investisseurs, des fonds d’investissement de long terme, soit d’origine étrangère, principalement canadiens (Caisse des Dépôts et des Placements du Québec – CDPQ, Omers PE, PSP, OntarioTeachers’) ou asiatiques (Fosun, Temasek, Citic Capital) ou émanation des grandes familles industrielles françaises (Bettancourt-Meyers, Dentressangle, Peugeot).

Leur caractère de long terme vient du fait qu’ils ne doivent pas assurer une liquidité à leurs investisseurs au bout d’une durée maximum de dix ans comme les fonds de LBO classiques, ce qui implique pour ces derniers la vente de tous leurs investissements au plus tard à la fin de la durée de vie de leurs fonds.

Ces investisseurs de long terme ne sont pas de nouveaux venus sur le marché des investisseurs en LBO, certains ont signé leurs premières opérations il y a dix ans, d’abord comme investisseurs dans des fonds de LBO, puis comme co-investisseurs aux côtés de fonds de LBO dans lesquels ils étaient investis[1]. Après cette phase d’apprentissage, ils ont commencé à investir en 2016 pour leur propre compte, ou en dirigeant un petit consortium d’investisseurs de même nature, et ont très fortement accéléré le rythme en 2017.

C’est ainsi que l’on a vu CDPQ, qui avait co-investi dans Keolis en tant que co-investisseur minoritaire aux côtés du majoritaire Ardian en 2006, puis dans SPIE en 2011, prendre le contrôle majoritaire en 2016 de Foncia, puis en 2017 de Sebia (2 Md€ en valeur d’actif économique), d’Alvest (900 M€) et de Fives (1,5 Md€). Ou la famille Dentressangle prendre le contrôle de Kiloutou pour 1,5 Md€.

Jusqu’à présent, ils se sont focalisés sur des actifs présentant des risques économiques faibles (métrologie, services funéraires, test in vitro, etc.) et/ou des équipes de management aguerries. Leurs perspectives beaucoup plus long terme que les fonds traditionnels de LBO, voire sans terme affiché, peuvent apparaître attractives à des équipes de management qui ont déjà fait plus LBO consécutifs et qui ont normalement fait fortune. Si ces managers sont prêts à se réengager, ils ont conscience que souvent les leviers de création de valeur, après plusieurs LBO consécutifs, nécessitent plus de temps pour être en œuvre. Ils peuvent aussi être las de caler la stratégie industrielle de leur entreprise sur l’échéance de sortie du fonds de LBO qui est leur actionnaire principal et de devoir mettre en suspens celle-là pour permettre d’optimiser celle-ci.

Comme ces investisseurs de long terme se sont montrés jusqu’à présent moins présents (intrusifs diraient certains) auprès des dirigeants (par rapport à des fonds de LBO classique), ceux-ci y trouvent un actionnaire de référence bien adapté à la solide expérience qu’ils ont accumulée. C’est un peu comme être coté en Bourse sans en avoir les inconvénients[2] ! C’est probablement la raison pour laquelle, malgré la réouverture du marché des introductions en Bourse à Paris depuis 2013 avec huit sorties en Bourse de LBO jusqu’en 2016, il n’y en a eu aucune depuis mai 2016 malgré un climat boursier pas moins favorable.

Reste à voir dans quelques années comment se réconciliera un management package de moyen terme au profit des dirigeants avec un horizon d’investissement à plus long terme de ce type de fonds d’investissement : renouvellement des dirigeants, nouveaux  managements packages mis en place à l’issue des précédents, etc.

En attendant, ces fonds d’investissements de long terme, ayant des taux de rentabilité exigée plus faibles que ceux des fonds de LBO traditionnels, réduisent la capacité de ces derniers à investir leur importante poudre sèche[3] sur ce créneau des opérations de LBO upper mid-market, poussant les acteurs traditionnels à chercher d’autres types d’investissements ou d’initier une diversification géographique.

 

[1] Coller Capital estime qu’environ un tiers des investisseurs dans un fonds de LBO, co-investissent aux côtés du fonds en question, le double d’il y a dix ans.

[2] D’autant que la charge de préparation en amont est moins importante, sans l’incertitude jusqu’au dernier moment quant à la finalisation de l’opération comme c’est le cas pour les introductions en Bourse (voir par exemple Autodis qui a annulé au dernier moment il y a quelques jours son entrée en Bourse).

[3] Sommes levées par les fonds d’investissements sous forme d’engagements d’investissement de leurs investisseurs.

 

Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°159 (mai 2018). Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.