De nouvelles méthodes d’introduction en bourse

L’opération d’introduction en bourse est une opération complexe qui demande beaucoup de préparation et qui, in fine, coûte assez cher. En effet, aux frais directs importants (frais juridiques, commissions des banques qui s’élèvent à quelques pourcents en Europe et qui grimpent à 7 % aux États-Unis[1]), il faut ajouter le manque-à-gagner lié à la décote d’introduction en bourse. Si plusieurs théories cherchent à expliquer l’existence d’une telle décote[2], celle-ci n’est pas que théorique et se matérialise par l’écart entre le prix d’introduction en bourse et le premier cours coté. Même si elle évolue dans le temps, suivant les secteurs et les places de cotations, elle est souvent supérieure à 10 %. Mais ces temps-ci, dans un contexte boursier assez particulier pour un certain nombre de valeurs, elle peut être bien supérieure : 4 jours après son introduction en bourse, HRS cote 72 % au-dessus du prix d’introduction, après un + 30 % le premier jour, il est vrai que le H dans son nom est l’initiale d’hydrogène… Quant à Medesis Pharma, c’est 59 % de hausse le premier jour. Donc, entre les frais et la décote d’introduction en bourse, le coût réel se situe entre 15 et 20 % du montant levé, que celui-ci soit payé par l’entreprise, supporté par les actionnaires cédants en décote sur le prix réel de leurs titres ou par tous les actionnaires en dilution excessive.
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Par ailleurs, les méthodes traditionnelles d’introduction en bourse souffrent d’un autre inconvénient majeur : le succès de l’opération est largement lié à la santé des marchés financiers au moment de l’exécution effective de la transaction. Ainsi, une opération préparée pendant 6 à 9 mois devra parfois être décalée de plusieurs semaines (voire plus) pour voir le jour, si elle le voit, et ce parfois même la veille du jour d’introduction.
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Deux nouveaux types d’opérations se sont développés depuis quelques années pour pallier les deux écueils mentionnés ci-dessus : la cotation directe et les SPACs. Notons tout de suite que ces méthodes n’ont certainement pas vocation à remplacer toutes les introductions en bourse classiques, mais probablement une partie seulement.
La cotation directe
La cotation directe est une méthode d’introduction en bourse simplissime : une société souhaitant devenir cotée inscrit simplement ses actions sur un marché réglementé et laisse l’offre (d’actionnaires souhaitant monétiser leur investissement) et la demande (d’investisseurs souhaitant acheter des actions) fixer le prix d’équilibre. En France, un prix minimum est fixé pour garantir de ne pas spolier les investisseurs ; aux États-Unis, un prix de référence est indiqué mais n’a aucune valeur contraignante. Cette technique ne nécessite donc pas l’intervention d’une banque, comme c’est le cas pour les introductions en bourse par constitution d’un livre d’ordres[3].
Cette technique est normalement moins onéreuse que l’introduction en bourse par constitution d’un livre d’ordres, car l’entreprise économise les commissions des banques et surtout l’opération se fait théoriquement sans décote pour les actionnaires cédants.
Mais la cotation directe ne présente pas que des avantages. Tout d’abord, l’entreprise ne peut pas lever de fonds par cette méthode, seule des actions existantes sont échangées. Par ailleurs, la cession de blocs de titres importants n’est pas possible ou pas optimale. En effet, la demande des investisseurs peut être relativement limitée en l’absence d’un exercice marketing important réalisé par les banques dans la constitution du livre d’ordres (book building avec rencontre avec les investisseurs, diffusion de notes d’analystes…). Enfin, en l’absence de méthode pour la découverte du prix avant la cotation (ce qu’est en réalité le book building), et de mécanismes permettant d’amortir les variations du cours (greenshoe, lock up[4]), la volatilité du titre lors des premières semaines de cotation risque fort d’être sensiblement plus élevée dans le cas d’une cotation directe que dans le cas d’une introduction en bourse classique.
La cotation directe est donc réservée à une certaine typologie d’entreprises : déjà bien connue des investisseurs (donc généralement de taille importante), avec une base d’actionnaires déjà importante (souvent constituée en partie des employés de la société), souhaitant donner une liquidité à ceux-ci, mais n’ayant pas besoin de lever des fonds.
Spotify a choisi ce mode d’introduction en bourse en 2018, suivi par Slack en 2019 et Asana et Palentir en 2020.
En Europe, cette technique a été utilisée principalement dans le cas de scission par spin-off (ArcelorMittal/Aperam, PSB/Baikowski, HiPay/HiMedia par exemple).
Les SPACs (Special Purpose Acquisition Company)
Les SPACs sont souvent présentés comme des sociétés « chèques en blanc » où les investisseurs ont tellement confiance dans une équipe d’investissement (et ont tellement de liquidités à placer) qu’ils acceptent d’investir dans une société sans savoir quelle va être son activité[5]. C’est en fait une réalité tronquée.
En effet, des mécanismes permettent en réalité aux investisseurs du SPAC de sortir si l’acquisition réalisée n’est pas à leur goût. Contrairement à une entreprise classique où les actionnaires ont très rarement leur mot à dire sur les opérations d’acquisition, les actionnaires de SPACs ont le droit de voter pour ou contre la première opération d’acquisition (que l’on appelle despacking). Cette opération est évidemment capitale car elle permet au SPAC de remplir sa mission. Pour rappel, si les dirigeants d’un SPAC ne réussissent pas à trouver une cible adéquate dans un délai de 18 mois, en général, le véhicule est dissout et les fonds rendus aux actionnaires. Il est assez naturel que les investisseurs puissent voter sur cette opération car, avec le délai pour réaliser l’opération qui avance, le management du SPAC a une pression de plus en plus forte pour réaliser une opération… même médiocre ou trop chère. Au moment du despacking, les actionnaires peuvent également choisir de se faire rembourser leur investissement initial. Paradoxalement, cette dernière possibilité les incite en réalité à voter pour l’opération quel que soit leur point de vue sur l’opération. S’ils pensent que l’opération se fait dans de bonnes conditions, ils votent pour et restent ; sinon ils votent oui et sortent en demandant le remboursement de leurs parts. Mais en demandant la sortie, ils peuvent mettre en péril l’opération car, si le SPAC n’a pas suffisamment de fonds pour mener à bien l’acquisition, celle-ci est annulée…
Par ailleurs, il est assez rare que l’opération réalisée le soit pour un montant inférieur ou égal au montant levé par le SPAC initialement. En réalité, les SPACs lèvent pour la plupart quelques centaines de millions d’euros, mais visent à réaliser des opérations beaucoup plus importantes (aux États-Unis en tout cas). Ainsi, il n’est pas rare qu’un SPAC ayant levé 200 M$ réalise une opération de plus d’un milliard de dollars. Dans ce type de situation, le management fait un mini roadshow lorsqu’il a sécurisé l’opération d’acquisition auprès des investisseurs institutionnels actionnaires, mais également potentiellement auprès de nouveaux investisseurs pour faire valoir le bien-fondé de l’acquisition et demander un investissement nouveau. C’est ici une deuxième validation par le marché du rationnel et du prix de l’opération d’acquisition.
Un second reproche qui est parfois fait aux SPACs est que le management du SPAC reçoit « gratuitement » 20 % des actions au moment où le SPAC entre en bourse (c’est-à-dire au moment où il est créé). Certains trouvent cela choquant… Quelques remarques sur ce point. Tout d’abord, le management investit des fonds certes limités (quelques millions d’euros) mais réellement à risque, car si le SPAC ne « déspacke » pas, les fonds sont perdus (ces fonds viennent payer les frais de fonctionnement du SPAC et les frais de son introduction en bourse). Par ailleurs, ce goodwill vient récompenser un vrai savoir-faire de la petite équipe de management, un réseau, une capacité à déceler une opération créatrice de valeur… C’est similaire à ce qui s’observe dans les start-ups, où les fondateurs valorisent leur travail et leurs idées par une part plus importante au capital que leur part dans les financements, même après l’ensemble des levées de fonds. De plus, ces actions gratuites représentent 20 % du capital initial, et non de la taille finale de l’opération (c’est-à-dire des 200 M$, dans notre exemple, et non du ou des milliards). Enfin, le 20 % est parfois revu à la baisse par le management lui-même lorsqu’il cherche à convaincre les investisseurs de réaliser un despacking[6]. Nos lecteurs les plus agiles auront reconnu dans cette disposition des SPACs une option que détient le management sur une opération future.
Vaut-il mieux se faire coter en bourse traditionnellement ou se faire acquérir par un SPAC ?
Notons en premier lieu que les actionnaires initiaux de la cible d’un SPAC peuvent négocier d’être payés en actions du SPAC et ainsi ne pas solder totalement leur investissement. Les résultats des deux opérations peuvent donc être assez similaires (le SPAC n’étant pas nécessairement synonyme d’acquisition complète et de changement de contrôle).
- Les actionnaires sortants cédant à un SPAC économisent la décote d’introduction en bourse, puisque l’entreprise est cédée de gré à gré.
- Pour les actionnaires restants, si l’entreprise doit lever des fonds lors de l’opération, la décote d’IPO doit être mise en regard de la dilution liée aux actions gratuites du management du SPAC et des bons de souscription[7].
- Les investisseurs institutionnels ne bénéficient pas de la décote d’IPO mais ils se garantissent une place de choix dans l’opération, ce qu’une allocation dans une introduction en bourse classique n’aurait pas autorisé.
- Les vraies perdantes sont les banques d’affaires qui reçoivent une commission beaucoup plus faible que dans une IPO classique. Mais après tout, ce n’est que la réponse intelligente des investisseurs face à un marché de facto cartellisé, celui des banques d’affaires aux États-Unis, qui maintient des rentes injustifiées.
Ces nouvelles méthodes d’introduction en bourse ont donc certainement vocation à co-exister avec la méthode traditionnelle. Il est probable que ces deux méthodes se développent en Europe, même si le caractère sensiblement plus raisonnable des commissions bancaires est certainement un frein à ce développement.
Ces nouvelles méthodes souffrent encore d’un problème d’image : la cotation directe existe en Europe, mais principalement pour les petites sociétés ; les SPACs sont souvent regardés comme des opérations de forbans de la finance. Mais leur institutionnalisation outre-Atlantique, 219 SPACs levant 79 Md$ (contre 67 Md$ pour les introductions en bourse traditionnelles en 2020), va faire changer cette image, et nous pensons qu’ils survivront à l’actuel contexte boursier (+462 % par rapport à 2019) qui les porte en ce moment, tant les investisseurs sont prompts aux rêves.
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[1] Le marché américain étant sensiblement moins concurrentiel et dominé par quelques grandes banques, les commissions d’accès aux marchés de capitaux, mais également de conseil en M&A sont plus élevées qu’en Europe et assez largement standardisées. Aucune banque n’ose casser ces standards…
[2] Que présente le chapitre 46 du Vernimmen 2021.
[3] Détaillées au chapitre 27 du Vernimmen 2021.
[4] Détaillés au chapitre 27 du Vernimmen 2021.
[5] Dont nous vous avions présenté le mode de fonctionnement dans La Lettre Vernimmen n°64 d’avril 2008 pour la première fois.
[6] D’autant plus si le déspacking est proposé près de la date fatidique de fin de vie du SPAC…
[7] Dans une introduction en bourse de SPACs, les investisseurs souscrivent à des ABSA, c’est-à-dire à des actions auxquelles sont attachés des bons de souscription (warrants) permettant de souscrire à des actions nouvelles à un prix supérieur (généralement à 11,5 $ pour des actions émises à 10 $).
Cet article a été publié dans la Lettre Vernimmen n°186. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.
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