Vox-Fi reprend dans ses colonnes des propos tenus par Philippe Danjou, membre du Conseil de l’International Accounting Standards Board (IASB), l’organe qui édicte les normes comptables internationales IFRS. Ils ont été tenus lors de la conférence organisée à Bercy le 17 décembre 2014 par l’Académie des sciences et techniques comptables et financières. Le discours figure également sur le site La Synthèse Online.

Le 1er janvier 2015 marque un anniversaire important pour l’Union européenne, ses entreprises et ses investisseurs : il y a juste dix ans, les entreprises faisant appel public à l’épargne ont basculé dans le monde des IFRS, en préparant leurs comptes consolidés selon ce référentiel choisi par l’Europe pour mettre en œuvre un volet important du Plan d’action pour les services financiers, ratifié par le sommet de Lisbonne en 2009. À l’aube de cet anniversaire, j’étais invité à commenter deux sujets importants, et qui sont liés en partie, concernant l’impact des normes comptables sur les entreprises et sur l’économie:

1/ les IFRS et la transparence financière et de l’économie : le dispositif a-t-il répondu aux espoirs ?

2/ que peut-on dire aujourd’hui de l’impact de la juste valeur dans les comptes en IFRS des entreprises?

Rappelons brièvement quel était l’objectif poursuivi, en citant un extrait du communiqué de presse de la Commission en date du 7 Juin 2002 à l’issue de l’adoption du Règlement 1606 par le Conseil :

“M. Frits Bolkestein, commissaire chargé du marché intérieur, a déclaré ce qui suit: « Je me félicite que le règlement sur l’application des normes comptables internationales (normes IAS) ait été adopté en lecture unique et je remercie le Conseil et le Parlement pour leur attitude positive. Je pense que les normes IAS sont les meilleures normes qui existent. Leur application dans toute l’UE mettra fin à ce côté « Tour de Babel » qu’a actuellement l’information financière. Ce règlement contribuera à nous protéger contre les irrégularités. Les investisseurs et les autres parties intéressées pourront comparer des choses comparables. Il aidera les sociétés européennes à affronter leurs concurrents à armes égales dans la lutte pour les ressources financières offertes par les marchés des capitaux du monde entier ».

Il est légitime de se poser, au bout de dix ans d’une telle expérience, la question de savoir si les objectifs ont été atteints. Plutôt que de me livrer à un plaidoyer purement théorique, qui ne convaincrait peut être pas toute l’audience, je vais m’efforcer de fournir des faits bruts et de m’appuyer sur des prises de position extérieures à notre organisation, donc a priori plus objectives.

 

Les IFRS aujourd’hui : un référentiel comptable de qualité et qui répond aux besoins de l’économie européenne

Tout d’abord, on peut évoquer trois caractéristiques du dispositif IFRS :

  • Les normes IFRS constituent un pilier de la réglementation des marchés : en effet, il n’y a pas de marché financier organisé sans discipline et sans normes de reporting. Les IFRS répondent aux besoins de transparence, de qualité de l’information financière fournie aux marchés financiers et aux apporteurs de capitaux, ils sont donc et resteront un pilier fondamental pour la création de l’European Capital Markets Union et le financement à long terme des entreprises. Les IFRS répondent à la nécessité d’une bonne protection des investisseurs et contribuent de ce fait à l’attractivité du marché financier européen. De surcroît, les comptes en IFRS sont la fondation commune et harmonisée sur laquelle les superviseurs bancaires déterminent leurs exigences en capital réglementaire.
  • les IFRS constituent un référentiel complet, actualisé en réponse à la crise financière : en effet, le référentiel normatif traite de façon claire la quasi-totalité des sujets économiques importants (il reste quelques sujets à approfondir ou traiter). Il a été mis à jour, à la suite de la crise financière de 2008, pour répondre aux préconisations du G20 et du Forum de Stabilité Financière, en apportant les compléments ou amendements aux normes qui avaient été jugées insuffisamment rigoureuses ou trop complexes:

 

– engagements hors bilan, consolidation des entités ad hoc (IFRS 10 à 12), risques liés à l’utilisation des instruments financiers (IFRS 7)

– modalités d’application de la juste valeur lorsque cette méthode d’évaluation est prescrite par une norme (IFRS 13)

– classement, mesure des instruments financiers et provisions pour dépréciation de ces instruments (IFRS 9, publié à l’été 2014 dans sa version complète et définitive)

– prise en compte exhaustive au passif du bilan des engagements liés aux plans de retraite (IAS 19 révisé).

 

  •  les IFRS et les US GAAP ont été suffisamment rapprochés, à l’issue d’une dizaine d’années de travaux de convergence entre le FASB et l’IASB, pour que les IFRS soient considérés par la US SEC, depuis 2007, comme répondant aux besoins de protection des investisseurs américains en matière d’information financière et fournissent ainsi un “visa d’entrée” au marché US des capitaux, sans formalités de réconciliation des données .

Consécration de cette qualité, de très nombreuses juridictions ont fait le choix des IFRS comme référentiel comptable de leurs grandes sociétés

Selon une enquête[1] sérieuse récemment publiée par la Fondation IFRS, sur un total de 138 juridictions étudiées, les 126 qui soutiennent officiellement l’utilisation des IFRS représentent 96% du PNB mondial. L’intégralité des pays représentés au G20 soutient publiquement l’objectif d’aboutir à un jeu unique de normes comptables de haute qualité, et les autorités compétentes dans chacun de ces pays ont déclaré que les IFRS répondaient à cet objectif.

114 de ces juridictions (82%) imposent déjà les IFRS à toutes, ou à l’essentiel, de leurs sociétés d’intérêt public; 12 autres l’autorisent (dont le Japon et l’Inde); 2 l’imposent aux seules banques. Le PNB total de ces juridictions s’élève à US$ 40trn, plus de 50% du PNB mondial. En effet, certaines (dont les USA) n’ont pas encore mis en application cet engagement, ce qui fait tomber le “score” de 96% à  50%.

Alors que certains croient, ou souhaiteraient, que les normes IFRS sont des normes européennes, il est assez remarquable que le PNB de l’Union Européenne représente un total de US$ 17trn alors que les juridictions qui appliquent les IFRS en dehors de l’UE totalisent US$ 23trn de PNB, soit un « taux d’utilisation des IFRS » de 57,5% hors d’Europe. L’adoption des IFRS par les pays « BRIC’s » et d’Asie du Sud Est, déjà largement réalisée et en voie d’achèvement, ne fera qu’accroître cet écart.

Les développements récents en Asie sont très prometteurs. Un nombre croissant[2] de sociétés japonaises cotées à Tokyo utilisent les IFRS, autorisés au lieu et place des normes japonaises ou américaines. Les IFRS ont dépassé l’utilisation des US GAAP et représentent déjà plus de 13% de la capitalisation boursière à Tokyo. L’Inde vient d’adopter un programme de convergence avec les IFRS. La Chine a fait de même il y a plus de 5 ans et ses normes sont maintenant très proches des IFRS (mais pas suffisamment pour intégrer la Chine dans la liste des 114 pays évoqués plus haut). À ce jour, les émetteurs domestiques chinois ne sont pas autorisés à reporter en IFRS pour les besoins internes, mais en raison du régime particulier du Territoire, sur 296 sociétés chinoises cotées à la bourse de Hong Kong, 30% communiquent en IFRS et représentent 69% de la capitalisation de cette place.

Les USA ne reconnaissent l’utilisation des IFRS que pour les Foreign Private Issuers venant lever des capitaux sur leurs marchés financiers (environ 450 sociétés importantes). Il est bien regrettable que la situation aux USA soit au point mort depuis cette décision historique de 2007.

Ainsi, malgré les réserves américaines, les IFRS sont devenus au bout de seulement dix ans le principal langage mondial de communication financière, permettant aux investisseurs de comparer directement les performances financières des différentes entreprises, et aux directions de celles-ci de se « benchmarker », sans la charge administrative de retraitement des comptes pour les rendre comparables. L’objectif de la Commission, rappelé au début de l’article, a été atteint. On verra plus loin que cet apport à la transparence a aussi contribué à abaisser le coût du capital des entreprises.

Alors que l’industrie bancaire européenne n’est généralement pas considérée comme le plus fervent soutien des IFRS, un communiqué de presse et un rapport récents de la Fédération Bancaire allemande (Banken Verband, Novembre 2014, « The future of IFRS in Europe[3] ») mérite d’être cité dans le texte : « Since the adoption of the IAS Regulation (Regulation (EC) No 1606/2002 on the application of international accounting standards) in 2002, the International Financial Reporting Standards (IFRSs) have served as the authoritative accounting rules for publicly traded companies in the European Union. Disclosure of financial information is no longer conceivable for such companies without IFRSs. This is because, besides being an “admission ticket” to the international capital markets, the application of IFRSs helps to make financial statements more meaningful and comparable and to harmonise internal and external accounting…/.. .”

Une appréciation objective de l’apport des IFRS à la transparence financière

Les affirmations sur la transparence et la protection des investisseurs que je formule ci-dessus pourraient passer pour un simple plaidoyer pro domo si je ne fournissais à leur appui des éléments chiffrés d’appréciation. Fort opportunément, la Commission européenne a pris l’initiative (voir ici) d’une évaluation ex post de son Règlement 1606/2002, et les premiers résultats de l’exercice fournissent des indications utiles.

La consultation publique, clôturée en novembre 2014, a reçu 200 contributions (voir ici). 55% des 200 répondants sont des entreprises (dont 2/3 des entreprises industrielles) ou des fédérations professionnelles (dont 2/3 du secteur bancaire et financier). La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont fourni l’essentiel des réponses, en dehors des organisations européennes. Je note avec satisfaction la participation importante à cette consultation des entreprises en général et de France  en particulier avec 10% du total des réponses, et j’en retire la conviction que les enseignements que je vous présente ne trahissent pas la vision exprimée par les entreprises françaises.

On peut la résumer comme suit. Les répondants pensent que :

– Les objectifs du Règlement de 2002 sont toujours pertinents, et renforcés par la globalisation croissante de l’économie (95%)

– Les critères d’adoption par l’Europe restent appropriés (86%)

– L’adoption des IFRS en Europe a significativement favorisé la crédibilité et l’acceptation mondiale de ces normes (85%)

– Les états financiers des sociétés ont gagné en transparence (86%) et la qualité globale des comptes est bonne ou très bonne (75%)

– L’adoption des IFRS a créé un terrain de jeu égalisé pour les sociétés qui les utilisent (87%)

– La protection des investisseurs a été améliorée (71%)

– L’utilisation des IFRS a contribué à la confiance dans les marchés financiers (67%)

– En majorité, que le champ d’application prévu par le Règlement reste approprié.

Des améliorations restent toutefois possibles:

– Seulement 60% pensent que les bénéfices de l’utilisation des IFRS excèdent le coût du dispositif

– Seulement 63% pensent que l’utilisation des IFRS a facilité l’accès aux capitaux au niveau européen ou au niveau mondial.

Il est utile de souligner que seule une faible minorité (14%) souhaite modifier les critères à l’aune desquels les instances européennes évaluent l’adoption de nos normes.

Le Ministère de l’Économie et des Finances a répondu à l’enquête que les objectifs de 2002 sont toujours pertinents. Il a reconnu que l’utilisation des IFRS a rendu les états financiers nettement plus transparents et plus comparables au plan européen, et que l’accès aux marchés des capitaux des émetteurs français a été facilité (avec une réserve s’agissant des PME-ETI – mais je mentionnerais ici que les IFRS ne sont pas requis pour l’accès à Alternext). Il note que “la protection des investisseurs a été améliorée de façon importante par rapport à certains risques qui n’étaient pas [inscrits] au bilan antérieurement et en raison de l’exigence de transparence figurant dans la Norme 36 au titre des hypothèses clé des tests de perte de valeur ». De plus, je suis heureux de relever cette phrase : “Concernant les instruments financiers, l’exigence de valoriser les dérivés en juste valeur a permis de refléter au bilan les risques de contrepartie »(même si le Ministère souligne le risque d’une volatilité artificielle des performances – un point dont on peut débattre).

La Société Francaise des Analystes Financiers (SFAF) note dans sa réponse que:

  • La comparabilité des états financiers est de la plus haute importance pour les investisseurs
  • Les normes IFRS sont globalement plus complètes, plus à jour, plus utiles et plus homogènes que de nombreux autres référentiels comptables utilisés au sein de l’UE
  • Le coût du capital a légèrement diminué
  • L’utilisation des IFRS a facilité l’accès au capital au niveau domestique et européen (pas d’avis au niveau mondial) et a légèrement amélioré la protection des investisseurs
  • L’utilisation des IFRS a significativement réduit le coût de traitement des informations financières pour l’analyse.

Bien sûr, je ne prétends pas que la situation soit parfaite. Même si un score de 60% à la question du rapport bénéfices / coûts n’est pas mauvais, il indique que des efforts sont maintenant nécessaires, pour, après avoir construit l’édifice, le rendre plus fluide, simplifier et clarifier ce qui peut l’être. Avec sa “disclosure initiative”, l’IASB a déjà lancé un chantier important à cet effet. La refonte du Cadre conceptuel permettra aussi de corriger à la marge certaines normes jugées contre-intuitives par certaines entreprises en France.

Concernant l’impact sur le coût du capital, les études universitaires publiées[4] confirment ce qui est dit par la SFAF.

 

Quid de l’importance des mesures à la juste valeur dans les bilans des entreprises européennes ?

J’en viens maintenant au deuxième objet de ma présentation, la question de la fair value. Ou plus exactement, celle de la juste valeur comme mode de mesure des actifs ou passifs au bilan d’une entreprise. Quand est-elle appropriée?

Il me paraît important de bien mesurer ce dont on parle. C’est une question qui concerne principalement les banques et compagnies d’assurance. Donc, qu’en est-il de cette idée de Full Fair Value qui a été véhiculée par certains[5]? Le tableau ci-dessous décortique les bilans consolidés de BNP PARIBAS et Société Générale au 31/12/2013, établis en application de la norme IAS39 en vigueur.

Bilan consolidé BNP Paribas

Avec 51% du total du bilan mesuré au coût historique amorti et 20% à 23% d’actifs (essentiellement les portefeuilles disponibles à la vente) en juste valeur (JV) par Other Comprehensive Income, vous en conclurez, je l’espère, que la norme IAS39 sur les instruments financiers ne peut être qualifiée de “full fair value approach”. Comme je l’ai déjà écrit dans les colonnes de Vox-Fi au début 2013, il n’en a jamais été question pour l’IASB, cela n’est jamais arrivé pour une banque commerciale classique et cela n’arrivera pas avec IFRS 9 qui remplacera bientôt IAS39. Mon prochain tableau vous apportera des apaisements, pour autant que vous soyez inquiets!

Pour ce qui concerne les actifs de trading et les dérivés, qui sont obligatoirement mesurés en valeur de marché, je pense que très peu de personnes contestent la valorisation en JV des portefeuilles de trading, et que les superviseurs bancaires (tout comme le MINEFI) seraient horrifiés si nous leur proposions de ne plus valoriser en JV les positions sur instruments dérivés…ce qui reviendrait en fait à ne plus les comptabiliser du tout au bilan, en l’absence de coût d’entrée dans la plupart des cas[1].

Le débat porte donc surtout sur le mode de mesure des portefeuilles de créances et des placements de liquidités. Le processus  européen d’endossement d’IFRS 9 (un ensemble complet publié en juillet 2014, applicable au 1er janvier 2018)  est en cours. De nouveaux critères de classement au bilan – et en conséquence, de mesure au coût historique amorti ou en JV- sont fournis pour les instruments financiers. Selon la situation de chaque banque, le type de produits qu’elle commercialise ou dans lequel elle investit, selon aussi son business model, les impacts de reclassement seront différents. L’IASB n’a pas recherché a priori que la juste valeur soit utilisée plus ou moins souvent qu’avec IAS39, mais plutôt qu’il y ait des critères de classement clairs et répondant aux besoins d’information des utilisateurs des comptes. Les portefeuilles de prets resteront pour l’essentiel au coût historique, sauf si le business model est du type “originate-to-distribute”, et les placements en obligations détenues jusqu’à l’échéance également.

L’EFRAG a lancé une étude d’impact pour apprécier ce que cela va signifier en Europe. Peu de chiffres sont disponibles à ce jour, mais j’ai relevé récemment dans une étude publiée récemment par le cabinet Mazars une première série d’impressions que je vous livre ici. En gros, je crois qu’on peut dire que cela n’aura pas globalement d’impact majeur – et cela ne doit pas nous surprendre, vu le traitement prévu pour les prêts et les obligations.

Etude implantation de la norme IFRS9

Par contre, toujours selon le rapport de Mazars : “Le second volet d’IFRS 9  « Dépréciation » est,  pour 88% des établissements rencontrés, celui qui mobilisera le plus de ressources. Il pourrait bien être également le plus impactant, et ce à plus d’un titre. Le passage du mode de dépréciation de pertes avérées à pertes attendues devrait conduire à une augmentation du stock de dépréciation porté au bilan. S’il est trop tôt pour donner une fourchette chiffrée qui puisse être représentative d’une tendance du secteur, les quelques éléments chiffrés qui ont été transmis confirment cette hausse ».                

Qu’en est-il de la juste valeur dans les comptes des entreprises non financières ?

Voici un exemple typique et bien connu de tous, celui d’une entreprise industrielle et commerciale: ORANGE. Les chiffres montrent que ce n’est pas la question de la JV (avec 0,05% du total du bilan) qui est susceptible de donner des soucis à ses dirigeants, sauf à considérer – bien à tort – que les goodwills et autres incorporels (ici, 43% du total du bilan) seraient à évaluer continument en JV. En fait, comme en normes françaises, ils sont d’abord évalués à leur juste valeur comme coût d’entrée (qui devient ainsi un coût historique) puis dépréciés le cas échéant, en application du principe de prudence qui veut qu’un actif figure au bilan au plus bas de son prix de revient amorti ou de sa valeur réalisable. Il ne s’agit pas de juste valeur car la valeur réalisable est en général une valeur recouvrable déterminée en actualisant les flux futurs de trésorerie.

La juste valeur dans une entreprise non financière

Le vrai sujet est de décider dans quelles circonstances la juste valeur donne une image des comptes plus transparente qu’un autre mode de mesure, tel que le coût historique amorti. Le modèle économique de la banque ou de l’entreprise, c’est à dire la façon dont seront réalisés les cash-flows afférents aux actifs considérés, est le critère qui nous a guidés pour retenir la méthode d’évaluation fournissant aux utilisateurs l’information la plus pertinente.

Mais quelle est la fiabilité des données de juste valeur publiées ?

Je voudrais ici évoquer un autre aspect de la JV, celui du “mark-to-model” qui devient nécessaire lorsque l’instrument à évaluer n’est pas négocié sur un marché liquide, et qu’une estimation est nécessaire. Selon la terminologie d’IFRS 13, on parle de JV de niveau 3 par opposition au niveau 1 (prix directement observable) et au niveau 2 (prix évalué par transposition du prix observable d’un instrument comparable).

Je sais qu’il s’agit d’un sujet qui agite pas mal les esprits, surtout pour ceux qui font un lien direct entre résultat comptable et paiement de bonus aux salariés ou distribution de dividendes. Mais outre le fait qu’en France, comme dans nombre de pays, les dividendes ne sont pas déterminés (juridiquement)  sur la base  de comptes établis en IFRS, on peut observer que la nécessité de se livrer à des estimations de valeur qui ont un impact sur le bilan et le niveau du résultat comptable n’est pas l’apanage des seuls instruments financiers. Le tableau que je vous ai présenté ci-dessus illustre l’importance des goodwills et actifs incorporels et par conséquent de la question des provisions pour pertes de valeurs, reposant tout autant sur des hypothèses économiques et des modélisations de flux futurs de trésorerie. La question des bonus est un problème de gouvernance hors du ressort de l’IASB.

Les effets sur le bilan et le résultat d’une valorisation à la JV de niveau 2 ou 3 sont clairement explicités en application de la norme IFRS 13 et peuvent donc aisément être « neutralisés » par les dirigeants ou les régulateurs lorsque sont décidées les distributions de bonus ou de dividendes.

Mais ce que jeux montrer ici, c’est qu’on a tendance à exagérer l’importance du problème du mark-to-model concernant les banques commerciales classiques.  J’ai tiré les chiffres, pour les 6 plus grandes banques commerciales européennes, des tableaux statistiques figurant dans un récent rapport de l’European Banking Authority. La base de comparaison, le total des risques, diffère un peu du total du bilan consolidé car EBA apporte des correctifs prudentiels.

La faible importance du mark to model

Conclusion

Je laisserai à d’autres le soin de conclure pour moi et de formuler une recommandation. Je donne d’abord la parole à Mr Mario DRAGHI, Président de la BCE. Il a prononcé ces mots le 9 Juillet dernier à Londres :

More than 100 countries speak the same accounting language today, whereas a decade ago, no major economy used the International Financial Reporting Standards (IFRS). I trust that the momentum will be kept, and in particular that European policymakers will progress swiftly in the adoption of IFRS 9.”

Cet encouragement à adopter rapidement la nouvelle norme IFRS 9 est partagé par l’industrie bancaire (et je pense, par une forte majorité au sein de l’industrie européenne). Pour preuve, un communiqué de presse de Banken Verband (la Fédération Bancaire allemande) en date du 13/11/2014 : “IFRS is a success story – press ahead quickly with endorsement of IFRS 9 : The most important standard for banks is the new IFRS 9 on financial instruments accounting. After years of deliberation and discussion, it was adopted by the International Accounting Standards Board (IASB) in July 2014. “We now expect endorsement to be initiated soon and completed quickly”,Mr Kemmer urged the European authorities”.

[1] http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

[2] A l’heure actuelle, environ 60 sociétés ont choisi de présenter leurs comptes en IFRS

[3] http://en.bankenverband.de/publikationen/the-future-of-ifrss-in-europe/

[4] Voir par exemple ICI la compilation réalisée par Madame Ann TARCA, professor of Accounting,  University of Western Australia: “The Case for Global Accounting Standards: Arguments and Evidence”

[5] Voir par exemple cette interview de M. Michel Pébereau à l’Express en Novembre 2011 :
« Il y a un domaine, cependant, où nous avions tiré la sonnette d’alarme: les normes comptables. Je les dénonce depuis dix ans. Le principe de la full fair market value, qui affirme qu’il n’y a qu’une juste valeur, la valeur de marché, a accéléré et approfondi la crise: quand leurs marchés se sont fermés ou anémiés, de très nombreux produits ont perdu toute juste valeur; la défiance s’est installée dans le monde entier. Claude Bébéar, président d’honneur d’Axa, avait raison en parlant d’ayatollahs à propos des tenants des dogmes comptables. ».

Voir également, a contrario,  le commentaire sur ce sujet par M. Thierry GARCIA, chief accounting officer de la Société Générale, dans le dossier consacré aux IFRS par la revue Banque numéro 772 en avril 2014.

[6] Lors de la signature d’un contrat de swap ou la vente d’une option, il n’y a généralement pas de prix payé par le contractant.