Délais de paiement dans l’UE : l’effort doit être collectif
En mars dernier, les députés européens adoptaient un règlement réduisant de 60 à 30 jours les délais de paiement dans les transactions commerciales. Pour éviter de pénaliser les petits commerces, Michel Dietsch, François Meunier et Marie-Hélène Pebayle appellent à un effort collectif.
La perspective d’un règlement européen réduisant à 30 jours les délais de paiement provoque de fortes réactions. En effet, le pas à franchir pour la France n’est pas anodin puisqu’on réduirait entre 15 et 30 jours le délai moyen tant pour le fournisseur que pour le client. Une forte redistribution des flux financiers entre entreprises s’ensuivrait, posant de vraies questions de financement pour beaucoup d’entre elles.
On éclaire bien l’enjeu des discussions en les ramenant à un conflit d’horizon. À terme, c’est-à-dire une fois le pas franchi, une telle réforme est en général jugée positive : plus de trésorerie pour la plupart des PME (14,4 Md€ au total, indique une étude récente conduite par Altares et l’Université de Strasbourg), retards de paiement moindres, stabilité financière accrue, coûts commerciaux diminués. Sur ce dernier point, capter un nouveau client oblige aujourd’hui à financer les deux mois de crédit fournisseur qu’on lui accorde, mais un mois seulement, y compris à l’exportation dans l’UE, si la réforme est mise en place.
Mais dans l’immédiat, les positions de trésorerie des entreprises se voient bouleversées. Des ressources nouvelles viennent bien sûr de comptes clients raccourcis, mais des besoins naissent pour financer les comptes fournisseurs également plus courts. Une entreprise de services aux entreprises est en général gagnante puisqu’elle sera payée plus tôt alors que ses achats auprès de fournisseurs sont faibles. Le commerce de détail, dont la grande distribution, est perdant : leurs clients les paient déjà au comptant et le crédit venu des fournisseurs sera réduit parfois de moitié ou plus. Des petits commerces sont touchés : le boulanger devra payer sa farine un mois plus tôt alors que rien n’aura bougé du côté de ses ventes.
Il va de soi que les entreprises qui sortent gagnantes de la réforme restent silencieuses quand les perdantes, soutenues par leurs associations professionnelles, se font plus vocales. On a là le classique problème d’action collective, où l’on hésite à quitter un « équilibre bas » pour un « équilibre haut », bien meilleur pour tous à terme, mais dont les coûts de transition sont mal répartis.
Il faut donc un effort collectif pour monter la marche, dont on indique ici quelques directions.
Tout d’abord, accueillir avec un esprit positif cette initiative européenne car la loi est ici l’instrument le plus commode pour coordonner les comportements, surtout à l’international.
Les entreprises doivent faire preuve de souplesse dans cette transition et comprendre qu’il est difficile à un client de payer plus tôt si ses propres clients ne le font pas ou si la banque refuse le crédit. Elles doivent voir qu’un engagement de trésorerie moindre signifie pour elles un gain financier, qui doit se répercuter sur leurs prix de vente, en tout cas donner lieu à négociation. N’y a-t-il pas un sujet majeur de RSE pour une entreprise que de s’engager à payer ses fournisseurs avant 30 jours ?
Les banques sont sollicitées au premier chef car il s’agit davantage de leur rôle que celui des entreprises, de jouer l’intermédiaire financier dans les échanges commerciaux. Elles ont l’expertise pour gérer le risque de crédit et l’autorité pour faire respecter un délai de paiement. Elles vont sans doute perdre sur l’activité d’affacturage, mais au total se renforcer dans le métier de crédit de trésorerie.
Enfin, le gouvernement a un rôle essentiel à jouer en tant qu’animateur de cet effort collectif. Il avait su gérer la chose en 2008 quand la loi de modernisation de l’économie (LME) avait réduit les délais légaux à 60 jours. Des garanties financières dans certains secteurs plus fortement atteints pourraient être fournies, comme cela a été le cas lors de la crise COVID. On imagine ici qu’il se mette en mode projet, par exemple autour de l’Observatoire des délais de paiement, avec les moyens correspondants.
Tout cela suppose une certaine dose de bonne volonté, une matière première en général assez rare, mais qui peut soudain surgir si l’on prend conscience qu’il s’agit, collectivement, de faire passer une réforme d’intérêt général.
Vos réactions
J’apprécie que cet article au final est favorable à un délai de 30 jours.
Je me permets de faire une correction et une remarque concernant le « commerce de détail ».
Je suis convaincu que la grande distribution, hormis Casino, et y compris chez les affiliés et indépendant, ont une trésorerie bien assez suffisante pour absorber une réduction des délais de paiements des produits non périssables (voir mon 2eme point).
Pour les autres « vrai » commerçants de détail, je rappelle que TOUT les produits périssables, y compris viande et poisson surgelé sont déjà soumis à un délai de 30 jours. Cette réforme n’aura pas d’impact négatif pour tous les « métiers de bouche » et un impact faible pour la grande distribution.
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