La séparation entre la propriété et le contrôle dans les grandes sociétés cotées a donné lieu depuis plusieurs décennies au développement d’une littérature sur les incitations. Le contrat du dirigeant (et en particulier sa rémunération) doit l’inciter à agir dans l’intérêt des actionnaires. Pour compléter les modèles théoriques, de nombreux travaux empiriques ont étudié les conséquences de ces contrats sur les décisions concrètes prises par le dirigeant.

 

Déjà présentée dans la Lettre de Vernimmen n°104 de janvier 2012, la recherche de Chava et Purnanandam (2010) apporte une contribution originale[1] : en plus du directeur général (CEO, chief executive officer), les auteurs se sont intéressés au directeur financier (CFO, chief financial officer). Leur étude montre que le directeur général prend les grandes décisions en matière de financement (levier financier, liquidités) alors que le directeur financier prend les décisions plus techniques (maturité de la dette, lissage des bénéfices comptables).

 

Les auteurs ont construit deux indicateurs d’incitations pour les dirigeants, delta et vega[2]. Le delta mesure la sensibilité de la richesse du manager au prix de l’action ; c’est l’effet classique d’une rémunération à la performance. Comme le dirigeant n’a pas la possibilité de diversifier son patrimoine de la même façon qu’un actionnaire, un delta élevé crée une incitation à réduire le risque (en particulier le risque spécifique à l’entreprise, non rémunéré). Le vega représente la sensibilité de la richesse du manager à la volatilité de l’action. Par exemple, vega est plus élevé si le dirigeant détient des stock-options. Toutes choses égales par ailleurs, un vega élevé crée une incitation à augmenter le risque.

 

L’analyse empirique est  fondée sur un échantillon large d’entreprises américaines entre 1993 et 2005, avec une attention particulière portée à la robustesse des résultats. Ils sont les  suivants :

 

1. Levier financier[3]. Un delta élevé du directeur général réduit significativement le levier financier, alors qu’un vega élevé l’augmente. Ceci est conforme au fait qu’un levier financier plus élevé augmente le risque de l’action. Les incitations du directeur financier n’ont quant à elles pas d’impact statistiquement significatif.

 

2. Liquidités disponibles. Un niveau élevé de liquidités disponibles permettait de réduire le risque. Les résultats sont semblables au levier financier pour le directeur général : plus de liquidités (donc moins de risque) avec un delta élevé, moins de liquidités avec un vega élevé. Les résultats sont significatifs et vont dans le même sens pour le directeur financier ; toutefois l’impact des incitations du directeur général est environ deux fois supérieur.

 

3. Maturité de la dette. Une dette à plus court terme augmente le risque lié au refinancement et à la variabilité des taux d’intérêt. Cette fois, ce sont les incitations du directeur général qui ne sont pas statistiquement significatives. Pour le directeur financier, un delta élevé conduit à une maturité plus longue (moins de risque), et un vega élevé à une maturité plus courte.

 

4. Lissage des résultats comptables. En utilisant les comptes de régularisation[4], les dirigeants peuvent réduire la volatilité des bénéfices comptables avec l’espoir que cela réduise la volatilité de l’action. Pour le directeur général comme pour le directeur financier, un delta élevé conduit à plus de lissage et un vega élevé à moins de lissage ; l’impact est un peu plus élevé pour le directeur financier.

 

Pour la première fois, une vaste étude empirique montre que les contrats incitatifs des directeurs généraux ET des directeurs financiers ont des conséquences sur la politique de financement de l’entreprise. Ces résultats devraient être pris en compte lors de la construction des packages de rémunération des hauts dirigeants dans les entreprises.

 


[1] Chava S.and A.Purnanandam (2010), CEOs versus CFOs : Incentives and corporate policies, Journal of Financiel Economics, vol.97, pages 263-278.

[2] Voir sur ces indicateurs le chapitre 27 du Vernimmen 2014.

[3] Défini comme le levier comptable (endettement total / valeur comptable des actifs) ; d’autres définitions conduisent à des résultats similaires.

[4] Pour une description des comptes de régularisation, voir le chapitre 8, §8.22 du Vernimmen 2014.