Dans un ouvrage retentissant outre-Atlantique, « House of Debt », les économistes Atif Mian and Amir Sufi plaident pour la mise en place de prêts immobiliers qu’ils appellent « à responsabilité partagée » (shared-responsibility mortgages). L’idée est intéressante. De quoi s’agit-il ?

La finance immobilière est faite de conventions et d’excès. Aux États-Unis, le fonctionnement du marché fait que les banquiers accordent beaucoup d’importance à la valeur du bien (le loan-to-value) et peu aux revenus de l’emprunteur et donc à sa capacité à assumer le service de la dette (le income-to-debt service). Avantage, l’accès à la propriété est facilitée pour les revenus moyens ; inconvénient, tout retournement conjoncturel qui fait chuter les prix immobiliers met les ménages en faillite virtuelle quand la dette passe au-dessus de la valeur du logement. Ceci précipite le cycle immobilier, les banques stoppant tout nouveau crédit et mettant en vente les biens saisis.

En France, et plus largement en Europe, c’est l’excès inverse. Le banquier ne regarde quasiment pas la valeur du bien (c’est-à-dire sa valeur prospective) et s’est d’ailleurs démuni de toute réelle expertise immobilière. Par contre, il est fixé sur le montant de l’apport personnel et les revenus présents et futurs de l’emprunteur. L’avantage, c’est peut-être des prix immobiliers moins volatils (l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Espagne étant des contre-exemples) et, pour la France, l’absence de grande crise immobilière depuis maintenant deux décennies. Le désavantage, c’est la restriction à l’accès à la propriété et l’allongement inconsidéré de la durée des prêts (pour contenir le ratio revenu sur service de la dette). Dans le contexte très français d’une offre raréfiée à cause du malthusianisme foncier et d’un droit de la location figé dans le formol, les gens déjà propriétaires s’enrichissent ; les jeunes et une partie croissante des classes moyennes sortent de leurs rêves l’accès à la propriété et font face à un marché de la location très tendu. On rend de plus en plus crédible un monde à la Piketty. Il ne faut pas s’étonner alors de la demande croissante de logements sociaux ou d’aides à la propriété ou à la location en tout genre. Avec plus de 3% de son PIB consacré à l’aide au logement, la France bât de très loin le record de l’aide publique parmi les pays développés, autant d’argent dilapidé (ou plutôt injecté en hausse des prix) dès lors qu’on ne règle pas la question de l’offre immobilière. Mais ceci nous fait quitter notre sujet.

Revenant aux États-Unis, l’idée est de protéger davantage les accédants à la propriété contre le risque immobilier. Il existe déjà dans plusieurs États la notion de prêts immobiliers sans recours, à savoir que l’emprunteur n’est redevable de son emprunt qu’à hauteur de la valeur de sa maison mise en hypothèque. En clair, s’il est en défaut, il a l’option de remettre les clés de sa maison à la banque (foreclosure) et d’être quitte du solde de l’emprunt. Le risque baissier est à la charge du prêteur, qui bien-sûr facture cette option. C’est socialement optimum, dès lors que les institutions financières sont mieux à même de se couvrir contre le risque immobilier qu’un particulier. À titre personnel, je milite pour qu’une telle clause puisse, avec prudence et en tenant compte du coût élevé d’une saisie immobilière en France, être introduite dans l’offre bancaire française.

Mian et Sufi proposent d’aller plus loin avec les prêts à responsabilité partagée. En cas de chute des prix immobiliers dans la zone d’habitation, de 15% pour prendre un exemple, le remboursement mensuel de l’emprunt, intérêt et principal, baisserait aussi de 15%, ce qui revient à un allégement considérable du principal. Cela ne vaut que pour les emprunts à très long terme. Par contre, si le marché immobilier se reprend, le remboursement remonte en conséquence, sans dépasser toutefois le montant initial. La banque, ou l’investisseur dans le cas où un tel portefeuille de prêts « equity-linked » est refinancé sur le marché, participent au risque immobilier, ce qui d’ailleurs stimule toute une offre financière de couverture de ce risque.

Le coût de l’option est élevé, bien-sûr. Encore qu’il faille prendre en compte que cette clause participative évite pas mal de défauts des emprunteurs, et donc le coût des foreclosures qui vont. Il s’agit en quelque sorte d’une renégociation automatique du prêt. Mais Mian et Sufi, pour alléger encore le coût de l’option, complétent leur proposition par une clause de participation. En cas de revente ou de refinancement du bien, le prêteur aurait droit à 5% de la plus-value (si plus-value il y a) obtenue.

Il y a pas mal de questions sur la route. Notamment en matière d’expertise immobilière de la banque, de profondeur des marchés financiers pour accepter un tel produit une fois titrisé, de régulation prudentielle, etc. Mais la proposition mérite d’être discutée. Il est temps d’introduire un peu de « fonds propres » dans le financement immobilier.