Les crises financières de 2008 et 2011 ont profondément modifié les modes de financement des entreprises de taille moyenne au travers de l’essor du financement desintermédié. Pourquoi ? Et pour quels avantages ?

 

Les crises financières ont montré que les entreprises ne pouvaient être totalement dépendantes du bon fonctionnement du marché interbancaire, et ont mis en évidence la nécessité de doter l’Europe d’un marché de capitaux efficace.

En effet, en 2008 et 2011 les entreprises européennes ont été confrontées à la fois à un assèchement dramatique du marché du crédit – ou credit crunch – et à une concentration des liquidités disponibles vers les crédits de la plus haute qualité – le fly to quality. Alors que dans le même temps les entreprises américaines n’avaient pas été affectées par un phénomène de même ampleur. Pourquoi ? L’économie US reposait pour environ 70 % sur les financements désintermédiés contre 30 % pour les financements bancaires, une proportion inversée en Europe. A partir de ce constat, l’Europe a décidé de faire émerger un marché des capitaux ouverts aux entreprises mid-caps, ce qui s’est traduit en France par la réforme du Code des assurances en 2013 et l’initiative Novo, et au niveau Européen par le plan Juncker. (cf. article sur le Plan Juncker).

En quelques années, la dette privée est effectivement devenue le principal compartiment de financement désintermédié pour les entreprises de taille intermédiaire. A l’initiative des pouvoirs publics, les compagnies d’assurance et les asset managers se sont dotés de structures pour financer directement les entreprises. Historiquement les financements désintermédiés étaient réservés à deux populations d’entreprises :

– les très grandes entreprises pour des émissions obligataires publiques de montants supérieurs à 300 millions d’euros, soit en France quelque 230 entreprises

– les sociétés sous LBO qui bénéficiaient historiquement d’un écosystème financier étoffé.

On peut considérer qu’aujourd’hui toute entreprise disposant de plus de 10 millions de dette financière est éligible à ces nouvelles sources de financement non bancaire, soit plus de 2000 sociétés en France.

 

Trois types de fond pour ces financements alternatifs

On peut distinguer trois grandes familles de financement alternatif.

  • Les Euro PP via les fonds de prêts à l’économie offrent aux entreprises de la dette comparable aux prêts in fine proposés par les banques. Ces financements de rang senior sont réservés à des entreprises disposant d’une qualité de crédit solide et dont l’endettement ne dépasse pas un levier financier – défini comme le ratio de la dette financière nette rapportée à l’Ebitda – de l’ordre de 3.5x. Les critères d’éligibilité restent relativement stricts et excluent un nombre important d’entreprises.
  • Des fonds de type leveraged loan qui sortent de leur marché historique, à savoir le financement de sociétés sous LBO, pour faire des transactions « sponsorless » (absence de fonds de Private Equity au capital de l’entreprise). Leur vocation reste la même, à savoir offrir des solutions de financement plus agressives avec des leviers financiers allant potentiellement au-delà de 4.0x. Ces solutions de financement sont plus onéreuses mais intéressantes pour des projets de croissance externe ou des recompositions actionnariales.
  • Les financements portant sur certains actifs stratégiques bien spécifiques, ce qui permet de lever des financements quand la credit story de l’entreprise est compliquée.

  

Des intérêts multiples pour le DAF

Dès lors, deux questions se posent pour le directeur financier : quel est l’intérêt d’avoir recours à ces financements alternatifs ? Quelles seront les conditions financières qui seront proposées ?

Pour un directeur financier, l’intérêt d’avoir recours à des financements non bancaires est multiple. L’amélioration de la liquidité de l’entreprise et la diversification de ses sources de financement sont généralement les deux arguments cités en premiers. Mais dans le contexte actuel de liquidité bancaire sur-abondante, le principal bénéfice du recours à la dette privée réside dans la nature des relations que l’entreprise noue avec ses prêteurs et l’autonomie supplémentaire qu’elle y gagne. En effet, les banques utilisent le prêt comme un produit d’appel leur permettant de développer des ventes croisées. Par conséquent elles auront tendance à fractionner l’octroi des financements qu’elles accordent pour multiplier les interactions commerciales avec leurs clients. Les prêteurs privés, eux, n’ont pas de ventes croisées à réaliser. La relation s’en trouve assainie et dès lors qu’ils sont convaincus du projet de l’entreprise, ils cherchent à déployer leur capital rapidement en laissant une grande latitude de gestion à la société.

Autre intérêt à signaler : à mesure que le marché de la dette privée se développe, les investisseurs lèvent des enveloppes de financement plus importantes et sont en mesure d’accompagner les entreprises dans leur développement. Il s’agit bien pour le directeur financier de doter l’entreprise d’une nouvelle source de financement à long terme.

La dimension relationnelle permet également d’éclairer sous un jour différent la question du coût des financements. La dette privée apparait facialement comme plus onéreuse pour l’entreprise que la dette bancaire, de l’ordre de 100 à 200 points de base. Cet écart est à relativiser. Chacun comprendra qu’à niveau d’endettement égal le risque de défaut d’une entreprise sera rigoureusement le même, que ses financements soient fournis par une banque ou par un prêteur non bancaire. Si les banques facturent moins cher leurs prêts c’est qu’elles acceptent une rémunération moindre sur les financements à moyen-long terme afin de vendre d’autres services financiers qui, pour le coup, seront facturés au prix fort.

 

Quelles implications pour le directeur financier au quotidien ?

Pour les sociétés non cotées en bourse, initier une relation avec des prêteurs non bancaires impliquera de structurer la communication financière de l’entreprise tant au moment de la transaction que lors de la vie du prêt avec par exemple l’adoption d’un reporting financier régulier. Cependant, c’est surtout l’occasion pour le DAF de nouer des relations avec des partenaires dont le profil est complémentaire de celui de ses banquiers. Une fois que le cadre de la relation avec les prêteurs privés est défini et à mesure que la confiance s’installe, il est aisé et rapide de les solliciter à nouveau pour obtenir des financements complémentaires.

 

Cet article a été publié dans le numéro de novembre-décembre 2016 de la revue finance&gestion.