Deux arguments non économiques dans le débat sur la MNBC
Les banques centrales des grands pays occidentaux, surtout des États-Unis, hésitent, c’est le moins qu’on puisse dire, à introduire la monnaie numérique banque centrale. Vox-Fi s’est déjà largement fait écho des raisons qui les font hésiter, voir ICI ou LÀ, essentiellement la crainte de proposer une solution lourde qui ne présente pas un avantage décisif sur les systèmes de paiement actuels, déjà très performants et, pire, qui reste en arrière d’une innovation financière très rapide. Quelle est la part du réalisme ? de la pression d’une puissante industrie des paiements (Paypal, Visa, Mastercard… et une foultitude de jeunes fintechs) peu enthousiaste à l’arrivée d’un tel concurrent ?
Le premier arguement est de nature sociale : la MNBC favorise l’inclusion financière –et donc sociale— des personnes les moins favorisés ; la seconde est de nature géopolitique : la Chine a pris une avance sur la MNBC, et ceci peut être un atout décisif pour l’internationalisation du renminbi, dans une logique de grande puissance.
Inclusion
L’argument de l’inclusion est porté par une étude récente conduite et publiée par la BRI (Banque des règlements internationaux). Il faut signaler que la BRI, qui joue le rôle d’un coordinateur des banques centrales, est très en pointe sur le sujet, à la différence de la FED aux États-Unis par exemple, même si cette dernière semble bouger récemment. L’étude repose sur une série d’entretiens auprès de neuf banques centrales.
Quelles sont les raisons qui font qu’une partie de la population, la moins insérée socialement, reste exclue ou en marge du système des paiements, et a fortiori du système financier ? On peut citer : l’éloignement géographique dans les pays très vastes (et vaste n’a pas besoin d’être très grand dans un pays démuni d’infrastructures) ; des blocages administratifs et institutionnels (freins à l’identification de l’individu, l’informalité, l’absence de protections du consommateur…) ; l’inefficacité ou, ce qui va de pair, une très faible concurrence au sein de l’industrie bancaire du pays, qui souvent répugne à servir la clientèle à bas revenu ou le fait à des conditions usuraires ; des barrières liées à l’âge, à l’éducation ou à des handicaps ; enfin, une forte défiance vis-à-vis de l’industrie bancaire du pays.
C’est là que la banque centrale, qui a dans ses missions de rendre efficace le système des paiements, peut jouer un rôle. Sans négliger les forts investissements à conduire pour enrôler les utilisateurs ou pour assurer les vérifications d’identité ou l’interconnexion avec les autres supports de paiement, la MNBC est probablement parmi les outils les plus accessibles pour développer cette inclusion : elle est sûre, peu coûteuse et à portée du portable de tout un chacun.
La question de la privacité des échanges se pose également. Veut-on des données utilisateurs entre les mains d’entités privées qu’il est difficile de contrôler, ou bien couvert par un protocole mise en place par une banque centrale, qui est une entité publique ? Les libertariens, très présents outre-Atlantique, se méfient de la banque centrale, aux mains du Léviathan ; les républicains, plus présents en Europe, préfèrent la prise en charge par une institution publique que la mainmise par des entités privées, souvent en position de monopole.
Géopolitique
Le second argument, c’est Michel Aglietta qui le donne à l’occasion de la sortie de son dernier livre La Course à la suprématie monétaire mondiale. A l’épreuve de la rivalité sino-américaine (Odile Jacob, 304 pages, 24,90 euros, avec Guo Bai et Camille Macaire. Il en rend compte dans un interview au Monde du 20 avril ou pareillement dans Les Echos.
L’idée défendue ? La Banque Populaire de Chine avance rapidement sur la MNBC. Elle ne rencontre pas à coup sûr les obstacles que dressent une puissante industrie privée des paiements. Mais il y a aussi, pour les Chinois, le souhait de disposer d’un instrument de plus pour que le yuan (ou renminbi) devienne une monnaie capable de rivaliser internationalement avec le dollar. Les non-résidents chinois peuvent en effet trouver commode de disposer d’une monnaie électronique arrimée à une monnaie connue et à la liquidité croissante, ceci sous contrôle étroit de la BPC, mais avec la sécurité qui va avec.
Et ceci entraine cela. Si je prends un pays comme le Chili, 39% de ses exports vont à la Chine, et 30% de ses imports en viennent, aujourd’hui facturés essentiellement en dollars. Il s’agit de loin du premier partenaire commercial. Pourquoi pas demain en yuans ? Et si demain, la Chine, par exemple dans une relation avec les pays du Golfe, arrivait à facturer une partie de ses achats d’énergie fossile en yuans, il serait également loisible au Chili d’accepter une facturation en yuans de ces imports d’énergie. La MNBC est un pas crédible de plus dans cette montée en régime du yuan dans le système des paiements internationaux.
Est-ce réaliste ? Les grandes monnaies de règlements internationaux fonctionnent comme des monopoles naturels. Il est plus commode pour l’acheteur bolivien qui commerce avec la Thailande de vendre ses bolivianos contre dollars pour ensuite acheter des bahts que de faire la conversion directe. L’histoire a montré qu’il y a rarement coexistence de deux grandes monnaies de paiement. Mais qui sait ? On peut passer progressivement à une bipolarité, voire tripolarité si l’euro arrive à se faire une place.
Est-elle forcément un mal cette montée en régime du yuan ? Voici où le débat géopolitique commence.