L’externalisation croissante de la fonction DAF s’est assez logiquement accompagnée d’un essor du travail indépendant et d’un déclin de la traditionnelle relation d’emploi directe qui prenait la forme juridique du contrat de travail. Paradoxalement, pour un travailleur très qualifié la flexibilité de la relation avec ses clients peut être une source de sécurité.

 

La recherche de nouvelles sécurités

Naguère trois types de sécurité étaient recherchés.

D’abord la sécurité de l’emploi que garantissait la conclusion d’un contrat à durée indéterminée stable.

Ensuite la sécurité économique qui était offerte par la perception d’un revenu fixe et régulier.

Enfin la sécurité sociale par la mise en place d’assurances sociales qui permettaient au travailleur de faire face à l’accroissement de certaines dépenses (soins, charges familiales) ou à une diminution du revenu (vieillesse, invalidité, chômage). C’est le compromis fordiste bien connu (fidélité contre protection) mis en place à une époque où les besoins en main-d’oeuvre des entreprises étaient importants alors que la ressource était rare.

Aujourd’hui un travailleur hautement qualifié recherche d’autres types de sécurité, dont quatre au moins lui sont opportunément offertes par l’exercice de sa profession en qualité d’indépendant.

• En premier lieu la sécurité d’adaptation qu’il trouve dans la flexibilité de la relation avec ses clients. Ne pas être lié à un seul d’entre eux permet de diversifier les risques de défaillance de ses donneurs d’ordres et de stabiliser son activité économique (ce que ne peut jamais faire un salarié en CDI à temps plein face au risque de difficulté économique de son employeur).

• En deuxième lieu le travailleur indépendant recherche une sécurité de capacité. La multiplication des expériences et la diversité des situations rencontrées chez les clients permettent d’accroître ses capacités professionnelles, donc de s’adapter plus facilement et plus rapidement qu’un salarié aux évolutions des types de demandes des entreprises, des méthodes à mettre en oeuvre et des techniques à utiliser.

• Cette sécurité de capacité va le plus souvent de pair avec un troisième type de sécurité, celle de mobilité, qui consiste à pouvoir suivre aisément et
rapidement ses donneurs d’ordre où qu’ils se trouvent. L’instabilité politique (le brexit en est une illustration), fiscale, économique ou juridique rendent mobiles les entreprises et les travailleurs qui doivent les accompagner. Cette sécurité de mobilité est facilitée par le développement des technologies numériques de travail communément utilisées par les travailleurs indépendants, qui ne rendent plus leur présence nécessaire sur les sites des entreprises.

• Enfin, en quatrième lieu, les travailleurs indépendants recherchent des sécurités de transition, c’est-à-dire un ensemble de moyens qui leur permettent d’accéder aux marchés et d’assurer la continuité de leur activité professionnelle par-delà la discontinuité des relations contractuelles qui les lient à leurs clients.

 

L’essor des places de marché

C’est sans doute autour de cette sécurité de transition que se concentrent aujourd’hui tous les défis car elle soulève la question de l’efficience du marché.

Assurer la sécurité de transition des travailleurs concernés

Un marché est un espace économique encadré par des règles juridiques. Beaucoup de professionnels libéraux exercent leur activité dans le cadre d’un marché très règlementé (professions de santé, professions juridiques, métiers de la comptabilité, etc.) où offres et demandes se rencontrent assez facilement, surtout lorsque le marché est monopolistique et qu’il y a peu d’opérateurs.

Ce n’est pas le cas du marché professionnel des DAF, dans lequel donneurs d’ordres et prestataires expriment des besoins ou offrent des services très spécialisés et difficilement interchangeables. Il faut donc une place de Grève destinée à fluidifier et à optimiser le marché, de façon à assurer la sécurité de transition des travailleurs concernés. C’est le rôle des intermédiaires qui, désormais, occupent une place cardinale dans l’organisation du marché des travailleurs indépendants.

Le rôle des intermédiaires se présentant sous les traits de plateformes numériques

Ces intermédiaires se présentent parfois sous les traits de plateformes numériques qui offrent des services de rapprochement très étendus.

La variété des contrats d’intermédiation est grande.

• Il peut s’agir de simples contrats de courtage : le courtier (l’intermédiaire) rapproche le travailleur indépendant d’un client sans contracter lui-même.

• À ce contrat peut s’ajouter un mandat par lequel le travailleur indépendant demande à l’intermédiaire de percevoir en son nom et pour son compte les honoraires qu’il facture à son client. Parfois l’intermédiaire peut lui-même conclure le marché et le sous-traiter à un travailleur indépendant avec lequel il coopère.

• L’intermédiaire peut également être un prestataire de services du travailleur indépendant, et lui proposer des espaces de coworking, des services support (secrétariat, informatique), l’accès à un fichier de clients (hors courtage), des services de marketing, de représentation, etc.

Offreurs et demandeurs ont un intérêt commun à ce que la qualité des services proposés réponde à leurs attentes. Il faut d’ailleurs observer que certains de ces intermédiaires sont devenus de véritables entreprises qui se rémunèrent en pourcentage du chiffre d’affaires, à la commission ou au forfait.

De nouvelles questions sont posées aux autorités de régulation et au législateur

Ne s’agit-il pas de nouveaux monopoles sous les fourches caudines desquelles les indépendants doivent passer ? Quel est le degré de dépendance des professionnels à ces intermédiaires, et ne sont-ils pas placés sous leur subordination juridique (contrat de travail), ce que tout le monde veut éviter ? Les prix pratiqués ne sont-ils pas abusifs ? A quelles obligations (notamment de loyauté) sont-ils soumis ? Faussent-ils les prix du marché ? Portent-ils atteinte au droit de la concurrence ? Faut-il les règlementer, pourquoi, comment, et jusqu’où faut-il aller ? (qui trop embrasse mal étreint…)

 

Le développement des intermédiaires de l’emploi

Ces intermédiaires du marché ne doivent pas être confondus avec les intermédiaires de l’emploi, qu’il s’agisse de l’emploi indépendant ou de l’emploi salarié.

Le législateur a multiplié dans le Code du travail, parfois le Code de commerce, les formules qui permettent à des travailleurs très autonomes d’exercer leur activité dans un cadre juridique qui leur offre à la fois les quatre sécurités déjà évoquées du travail indépendant, et certaines sécurités du salariat.

Le portage salarial

La structure de portage porte le marché et embauche sous contrat de travail le travailleur autonome qui a trouvé un client.

C’est également le cas des différentes formes de coopératives, notamment les coopératives d’activité et d’emploi au sein desquelles des professionnels s’associent pour partager les coûts fixes de leur activité et pour bénéficier des avantages du salariat.

Le contrat d’appui au projet d’entreprise

On parle également de « couveuse ». C’est encore une autre formule qui permet de passer progressivement d’un statut de salarié à un statut d’entrepreneur.

Les groupements d’employeurs

De leur côté les groupements d’employeurs offrent à des entreprises la possibilité de s’associer, afin d’embaucher un salarié qui est mis à leur disposition à temps partagé.

Ces intermédiaires de l’emploi offrent de nombreux avantages, soit à des jeunes qui veulent devenir indépendants mais qui ont encore besoin de la béquille du salariat, soit à d’anciens salariés expérimentés qui deviennent indépendants et qui veulent continuer à acquérir des droits liés à la qualité de salarié (retraite complémentaire, chômage).

Pour autant la mariée n’est-elle pas trop belle pour des prétendants qui n’en demandent pas tant ? Car le plus souvent c’est la seule protection sociale du salariat (les assurances) qui est recherchée, et non l’application de l’intégralité du Code du travail qui, selon les statuts, va plus ou moins avec. Au surplus la protection du salariat a un coût, celui des cotisations patronales et ouvrières que le travailleur autonome doit supporter seul.

 

Faut-il réformer le travail indépendant ?

Alors finalement le statut du travail indépendant n’est-il pas encore celui le plus approprié ? Depuis au moins 20 ans resurgit régulièrement le serpent de mer de la création d’un statut hybride à mi-chemin de l’indépendance et du travail salarié (la « parasubordination »).

L’idée est séduisante car elle permettrait au travailleur subordonné et à son donneur d’ordres d’être liés par un statut juridique allégé, tout en bénéficiant d’une protection sociale proche de celle des salariés.

On pourrait aussi imaginer affilier les travailleurs indépendants à l’assurance chômage et leur offrir le même niveau de prestation que le régime général de la sécurité sociale (complémentaire vieillesse comprise).

Mais tout ceci se paye par des cotisations qu’il faudrait rendre obligatoires alors que nombre d’indépendants entendent rester libres d’assurer eux-mêmes leur protection (par la constitution d’un patrimoine ou par des assurances appropriées).

Briser la dichotomie travail salarié / travail indépendant est donc peut-être un rêve irréalisable, voire irréaliste. En effet les statuts juridiques finissent toujours par brider plus ou moins l’exercice des libertés individuelles, et au premier rang desquelles la liberté d’entreprendre. Dès lors peut-être faudrait-il en rester à la situation actuelle, fût-elle insatisfaisante sur de nombreux points ?

 

Cet article a été dans le numéro d’avril 2017 de la revue finance&gestion.