La montée en puissance du reporting social & environnemental

Au cours des 20 dernières années, la pression exercée sur les entreprises afin qu’elles publient des informations sociales et environnementales s’est accrue.

Des initiatives privées en sont à l’origine, tel le CDP créé en 2002. Soutenu par près de 800 investisseurs institutionnels, gérant près de 100 000 milliards de dollars US d’actifs financiers, le CDP est la plus grande base de données privée au monde, sur les émissions de carbone de milliers d’entreprises partout sur la planète.

Ces pressions correspondent aussi à des évolutions juridiques. En 1977 la France a été un pays précurseur, avec l’obligation faite aux entreprises de plus de 300 salariés de publier un bilan social. Plus récemment la loi Grenelle 2 (2010), oblige les entreprises de plus de 500 salariés à publier, dans le rapport annuel, des indicateurs sur l’impact social et environnemental de leur activité, avec vérification par un tiers.

Enfin les pressions issues de la société vont croissant. En France, des mouvements comme « la marche pour le climat », « nous voulons des coquelicots » et « l’affaire du siècle » transforment des citoyens avertis en clients exigeants sur les conditions de production des produits et services qu’ils achètent.

 

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Le contrôle de gestion est concerné

Dans certaines entreprises c’est déjà au contrôle de gestion que revient la responsabilité d’établir les données, pour les indicateurs sociaux et environnementaux qui doivent être publiés dans le rapport annuel. Avec la loi Pacte (2019) qui vise à changer la place des entreprises dans la société, le pilotage des dimensions sociales et environnementales occupera une place croissante. Cette loi modifie la définition de l’objet social de l’entreprise, propose de définir une raison d’être, pas seulement économique, et crée le statut juridique de société à mission.

Cet article aborde les outils qui existent déjà, pour aider les dirigeants à prendre des décisions et intéresser les salariés à la performance de l’entreprise. Il esquisse aussi une nouvelle frontière pour le contrôle de gestion.

 

Faire avec l’existant et repenser certaines pratiques

La comptabilité est déjà une source d’informations considérable.

La présentation d’un compte de résultat sous la forme de soldes intermédiaires de gestion, comme la valeur ajoutée, l’excédent brut d’exploitation… permet de partager une analyse sur la manière dont la valeur créée par l’entreprise se répartit entre ses fournisseurs, ses salariés, l’étalement dans le temps du coût des équipements, les institutions financières, l’Etat et les actionnaires.

Cette approche ne nécessite aucun appareillage nouveau. Des informations sur les différences de salaires entre hommes et femmes, sur le pourcentage de la masse salariale que représentent les plus gros salaires, sur l’écart entre le salaire le plus important et le plus faible, sur la formation, sur les efforts de recherche et développement, sur le mécénat, sur la valeur accordée aux fournisseurs… sont facilement accessibles à partir des données comptables. Les entreprises savent produire ces informations et les communiquer par obligation juridique. Ces données doivent aussi aider le dirigeant à répondre aux attentes de clients et d’investisseurs plus exigeants et mieux informés, en apportant les preuves d’une concordance entre discours et actions.

Il existe aussi des données relatives à l’environnement : le coût de fonctionnement d’une station d’épuration, les provisions pour risques et charges, le salaire d’un responsable hygiène qualité sécurité environnement, des prestations de traitement de déchets dangereux… Le montant des factures d’eau et d’énergie ainsi que l’achat de matières premières sont également à prendre en compte dans la mesure où ils correspondent à l’utilisation de ressources naturelles. Ces dépenses environnementales doivent être surveillées dès lors qu’elles représentent des montants importants. Toutefois, cela ne donne aucune information sur le caractère vertueux ou efficace des dépenses engagées par l’entreprise pour réduire ses impacts. En effet, des sommes peuvent être dépensées de manière inefficace, ou correspondre à des obligations juridiques. Enfin, certaines pratiques de calcul de coût, où les frais généraux ne sont pas suffisamment étudiés, peuvent masquer des coûts environnementaux.

Pour comprendre la performance sociale et environnementale d’une entreprise, il est donc nécessaire de faire appel à des données non financières.

 

La comptabilité est déjà une source d’informations considérable.

 

Interpréter des données non financières : une nouveauté ?

Le recours à des données non financières n’est pas une nouveauté pour le contrôle de gestion. Les tableaux de bord incluent largement ce type de données : heures travaillées, accidents de travail, consommations diverses, résultats d’enquêtes clients …

Dans le domaine social les indicateurs sont encore peu élaborés et il reste beaucoup à faire. En revanche certaines entreprises pratiquent déjà une comptabilité en quantités physiques. Cela permet à l’entreprise de mieux concevoir ses produits et services, de réduire ses consommations de ressources non renouvelables et ses rejets polluants, depuis l’achat des matières premières jusqu’à la fin de vie, en passant par la fabrication et l’utilisation. On cherche ainsi à produire la même chose avec moins de ressources, à les faire durer plus longtemps. Cette logique « d’efficacité écologique » est indispensable mais elle rencontre des limites.

Le recours à des données non financières n’est pas une nouveauté pour le contrôle de gestion

 

La logique d’efficacité écologique et ses limites

Produire la même chose en utilisant moins de ressources et en polluant moins est indispensable, mais pas suffisant. Tant que nous dépendrons de la croissance économique pour créer de la richesse, et des emplois, nous « effacerons » ces gains d’efficacité écologique en produisant toujours plus. Nos consommations et nos émissions polluantes continueront d’augmenter, avec des répercussions d’une gravité croissante (contaminations de la chaîne alimentaire, maladies professionnelles liées à la pollution, allongement des distances domicile-travail…).

Aujourd’hui nous ne savons pas concevoir une économie prospère sans endommager l’environnement et la société. La survie de nos sociétés humaines est pourtant mise en question.

C’est un défi pour l’avenir et peut-être le signe qu’il convient d’explorer de nouvelles frontières.

 

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Nous ne savons pas concevoir une économie prospère sans endommager l’environnement et la société

L’exploration de nouvelles frontières

Les possibilités sont innombrables. Esquissons ici une piste : le retour sur investissement énergétique (EROI), mesuré en calories. Par exemple, selon Hall et Klitgaard[1], l’achat d’un Bagel, pour un dollar, nécessite l’extraction de gaz pour fabriquer des engrais, la production de diésel afin qu’un tracteur puisse récolter et semer du blé, puis d’électricité pour fabriquer la farine, et de diesel enfin pour livrer la farine là où le bagel doit être fabriqué, ce qui nécessite encore de l’énergie. Or, en moyenne, aux États-Unis, pour produire une calorie de nourriture vendue au consommateur, il faut consommer 10 calories d’énergie fossile. Peut-on imaginer qu’une entreprise pérenne doive dépenser 10 euros pour générer un euro de chiffre d’affaires ?

Puisque les universitaires ont la possibilité de penser un monde idéal, éloigné des contrainte que peut rencontrer le dirigeant au quotidien, je propose que tout projet qui consomme plus de calories qu’il n’en produit soit interdit. La neutralité énergétique mais aussi la neutralité carbone sont cruciales. Elles doivent encadrer la recherche du profit, qui est légitime, pas l’interdire. Le respect de l’écologie n’empêche pas le profit. C’est d’un changement de société dont il est question, pour prévenir des crises sociales et environnementales majeures. L’épidémie de Covid-19 est une invitation à penser autrement.

Il est temps d’explorer les nouvelles frontières du contrôle de gestion. Les défis sont nombreux mais les contrôleurs de gestion ont la possibilité d’être des pionniers !

Je propose que tout projet qui consomme plus de calories qu’il n’en produit soit interdit

 

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Conseils
  • Proposez un tableau au dirigeant, avec des données comptables qui décrivent la réponse de l’entreprise aux attentes de la société ;
  • Suivez consommations et rejets, cherchez les gains économiques et écologiques ;
  • Ayez l’esprit des nouvelles frontières : devenez le pionnier d’un nouveau contrôle de gestion.

 

Points à retenir
  • Partage de la valeur entre parties prenantes, écart de revenus; la comptabilité est une source de données pour répondre aux attentes de clients et d’investisseurs exigeants, qui demandent des preuves

  • Des gains économiques & écologiques sont possibles. Mais produire la même chose avec moins de ressources ne répond pas à tout

  • Il faut explorer de nouvelles frontières, comme le retour sur investissement énergétique : aucun projet qui consomme plus de calories qu’il n’en produit ne devrait être accepté

 

[1] G. Hall et K. Klitgaard, Energy and the Wealth of Nations: Understanding The Biophysical Economy, Springer, 2012.

 

Cet article a été publié dans le numéro 381 de Finance&Gestion. Il a également été publié sur Vox-Fi le 16 novembre 2020.