Dis-moi Aristote, tu y crois, toi, au « Time is Money » ?
J’entendais récemment une adepte de la décroissance heureuse expliquer que comme le Temps et l’Argent étaient deux inventions humaines, il n’y avait qu’à remettre en ordre son échelle de valeur personnelle pour accorder plus de temps au Temps et moins à l’Argent.
Je me suis alors posé deux questions :
– Le Temps et l’Argent sont-ils deux inventions humaines ? N’ont-ils pas une existence propre non liée à notre entendement ou notre vision du monde ?
– Suis-je un escroc notoire, moi qui explique depuis des années à mes clients que les applications de gestion de la performance ou de business intelligence font gagner du temps et donc de l’argent ?
Temps et Argent : des inventions humaines ?
Comment ne pas souscrire à l’idée que l’Argent est une invention humaine ? C’est évidemment une facilité, un support artificiel inventé par les hommes pour faciliter leurs échanges aux premiers temps de l’économie et du négoce.
Mais quid du Temps ? Cherchons un peu dans nos classiques.
Aristote nous explique que même si le Temps est évanescent, il existe bel et bien, ne serait-ce que parce-qu’il sert de support au mouvement. Sans mouvement pas de Temps, mais puisqu’il y a mouvement, différence de perception manifeste entre deux « Maintenant », le Temps est, selon lui, « le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur ».
Consécutivement, il me semble que le Temps existe en-dehors de toute interprétation humaine et qu’il est difficile de le rapprocher de l’Argent dans cette équation « Time is Money ».
Mais en quoi les applications de gestion de la performance sont-elles dans ce cas là utiles ?
Les applications de gestion de la performance font gagner en connaissance
En fait on oublie un terme dans l’équation. Le temps gagné via l’utilisation d’outils adaptés se transforme en connaissance, qui elle-même va se transformer, potentiellement, en argent.
On a vu, à la suite d’Aristote, que Temps et Argent ne pouvaient être si intimement liés. Par-contre, temps gagné et connaissance sont beaucoup plus interconnectés. La connaissance est l’activité humaine qui va jouer le temps contre lui-même, l’utiliser pour en faire « quelque chose ».
Alors quel résultat pour le contrôleur de gestion ou la société qui l’emploie ?
On peut se cantonner à une vision minimaliste : si je gagne du temps, cela veut dire que je peux faire autant avec moins de ressources. Le gain est immédiat et se traduit en ETP. « Time is Money » se vérifie : je peux réduire ma masse salariale tout en continuant de produire mes reporting, budgets et analyses diverses.
Mais le vrai levier économique n’est pas là. Gagner de plus en plus de temps pour pouvoir faire avec de moins en moins de ressources est un non sens-économique, une utilisation dégradée des applications de gestion de la performance.
A contrario, si je transforme le temps gagné (cette matière brute qu’il est difficile, même pour Aristote ou Augustin, de qualifier) en connaissances, c’est à ce moment là que je maximiserai mon investissement. Il n’est plus question d’ETP ou de masse salariale. Il est question de vision, d’information, d’analyse, de réflexion pour, in fine, être mieux équipé pour faire mieux fonctionner mon activité.
En conclusion, mesurer le ROI d’un projet de gestion de la performance ne saurait se résumer, philosophiquement et économiquement, au décompte des ETP impliqués dans le processus. On mettrait sur un même plan Temps et Argent, or il me semble que leur équivalence ne va pas de soi.
Il faut parier que connaissance accrue, donc richesse intellectuelle, ira de pair avec accroissement de la richesse monétaire. Le binaire Temps-Argent se sera alors transformé en ternaire Temps-Connaissance-Argent, assurant ainsi le meilleur ROI possible.
Cet article a été initialement publié par Limpida le 20 décembre 2016. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.