Dividendes et rachats d’actions au sein du CAC 40 en 2019
Pour la 17e année, nous publions les résultats de notre étude annuelle.
Avant d’en livrer les résultats, rappelons trois points au lecteur pour qui les souvenirs des chapitres 38 et 39 du Vernimmen[1] seraient trop lointains :
1/ Pas plus qu’un retrait à un distributeur automatique de billet ne vous a jamais enrichi, dividendes et rachats d’actions n’ont jamais enrichi les actionnaires dont la valeur de leurs actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende. Pour les rachats d’actions, c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant du rachat d’actions et la stabilité de la valeur de
l’action est obtenue, malgré cela, grâce à la hausse du pourcentage de détention suite à l’annulation des actions rachetées.
2/ Par construction, le CAC 40 regroupe les quarante groupes cotés français ou d’origine française aux meilleures performances. Pas plus que l’on peut juger du niveau en finance des Français en interrogeant nos quarante meilleurs étudiants, l’on ne peut juger de la bonne santé de l’économie française en se penchant uniquement sur le CAC 40, dont le périmètre évolue au demeurant chaque année pour sortir les moins performants (Valeo en 2019) et leur substituer des impétrants plus performants (Thalès).
3/ Dividendes et rachats d’actions sont de formidables outils de circulation des richesses permettant de réallouer une ressource rare, les capitaux propres, d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, vers des entreprises nouvelles qui en ont besoin à leur stade de développement actuel. Ainsi, dans nos activités d’investissement, nous côtoyons au capital de la start-up prometteuse Karos un des fonds d’investissement de la famille Arnault, alimenté grâce au 6e payeur de dividendes du CAC 40 qu’est LVMH.
Les résultats maintenant !
En 2019, d’après nos compilations, les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 60,2 Md€, dont 11,0 Md€ sous forme de rachats d’actions. Ce niveau dépasse, douze ans après, celui de 2007 (57,0 Md€), ce qui rappelle en creux la violence de cette crise financière : en douze ans les liquidités rendues par les quarante plus grands groupes cotés à Paris ont ainsi crû de seulement 0,5 % par an en moyenne. Que cette progression soit inférieure au taux d’inflation moyen de la même période (1,15%) n’est en soi pas pertinent puisque le dividende n’enrichit pas l’actionnaire.
Par rapport aux liquidités restituées en 2018, la progression est de 12 %, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des très bons résultats de ces groupes à ce point du cycle économique (à l’exception des banques qui peinent à gagner leur coût du capital).
Ce qui est frappant quand on regarde la composition de ces liquidités restituées, c’est de voir que la part due aux rachats d’actions, par essence discrétionnaires, est deux fois plus faible environ en 2018 qu’en 2007 (11,0 contre 19,2 Md€), ce qui montre une meilleure confiance dans l’avenir immédiat qu’en 2007, puisqu’un dividende se réduit moins aisément qu’un programme de rachat d’actions, et donc ne s’augmente qu’après mûres réflexions pour éviter d’avoir à le baisser l’année suivante.
Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés.
Il est probable que l’an prochain les chiffres que nous publierons seront encore meilleurs, compte tenu de la progression des résultats 2019 que l’on entrevoit, d’autant que la composante purement discrétionnaire, les rachats d’actions et les dividendes extraordinaires ne représentent que 19 % de ce montant.
Cette année, nous avons complété notre étude en analysant en parallèle l’investissement en immobilisations corporelles et incorporelles réalisés par les groupes du CAC 40, à l’exclusion des investissements financiers et de croissance interne. Non pas que nous trouvions la comparaison des investissements et des dividendes/rachats d’actions d’une pertinence absolue, mais nous entendons tellement souvent le sophisme selon lequel les groupes du CAC 40 sacrifieraient le montant de leurs investissements au versement de dividendes et aux rachats d’actions pour le plus grand profit de leurs (voraces et insatiables) actionnaires, que nous avons voulu une nouvelle fois [2] en démontrer la fausseté.
En 2018, les entreprises du CAC 40, qui ont restitué 60,2 Md€ de liquidités à leurs actionnaires, ont investi en même temps 82,0 Md€ (hors croissance externe), en progression de 9,7 % par rapport à 2017. Et pour être complet, si on se concentre sur les groupes qui ont procédé aux dix plus gros versements, leurs investissements progressent d’un taux encore plus élevé : 16,3 %. Et même si on enlevait Total, qui a fortement augmenté ses investissements avec la reprise du prix du pétrole (+ 20 %), on serait encore avec une croissance des investissements de 13,5 %, contre 9,7 % pour l’ensemble du CAC 40. Autrement dit, plus les groupes du CAC 40 ont rendu des liquidités à leurs actionnaires en 2019, plus ils ont accru leurs investissements. On est bien loin de la vulgate marxiste mal digérée et pourtant si répandue en France !
En fait, dans l’élite des groupes français, les niveaux de marges au plus haut, des activités hors de France très développées (souvent plus des deux tiers de l’activité), un niveau d’endettement bancaire et financier net somme toute modéré, dont le remboursement n’obère pas lourdement les flux de trésorerie, permettent de conjuguer dividendes et investissements dans un cercle vertueux : les investissements passés générant des liquidités permettant les dividendes d’aujourd’hui et de nouveaux investissements, qui permettront dans le futur des dividendes en progression tant que la conjoncture économique ne se dégradera pas de façon marquée.
Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés.
Enfin, malgré des rachats d’actions et des dividendes au plus haut depuis le début de notre étude en 2003, les effectifs mondiaux du CAC 40 se sont accrus de 3 % en 2018 à 5, 139 millions de personnes[3].
Comme quoi, les dividendes et les rachats d’actions ne sont que le témoin de la bonne santé de l’élite de l’économie française dont nous avons toutes les raisons de nous réjouir, même si nous n’en sommes ni salariés, ni actionnaires ou prêteurs. Au niveau collectif, leur excellente santé signifie plus d’impôts et de cotisations sociales payés par ces entreprises, dont une partie en France, et donc plus de redistribution pour le bien commun, compte tenu de l’appétence bien connue de notre pays pour la redistribution.
En 2018, les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires font 27 % du volume : Total (8,6 Md€), Sanofi (3,8 Md€) et BNP Paribas (3,7 Md€). Toutes des entreprises à maturité, ce qui est logique puisque les entreprises à maturité génèrent des capitaux propres importants, que leur faible croissance rend inutiles en leur sein. Il est plus sain de les reverser à leurs actionnaires, plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie, et de priver ainsi de capitaux propres d’autres groupes qui en auraient besoin pour se développer et vers qui les dividendes et rachats d’actions de ces mastodontes seront réinvestis.
En ajoutant cinq autres groupes (Vivendi, Axa, LVMH, L’Oréal et Engie), la barre des 50 % des fonds redistribués est franchie (52 % pour être précis). Par ailleurs, la dernière moitié du CAC 40 ne fait que 18 % du total. Même au sein du CAC 40, les inégalités sont criantes !
Contrairement à un autre poncif, aucun groupe n’a dû s’endetter au-delà du raisonnable pour verser un dividende ; et le dividende en actions est là pour ceux qui ne veulent pas prendre le risque d’être gênés aux entournures. Il est vrai aussi que les groupes du CAC 40 sont relativement peu endettés (quand ils le sont) à ce point du cycle économique.
En 2018, les entreprises du CAC 40 ont procédé à 11,0 Md€ de rachats d’actions, soit 0,7 % de leur capitalisation boursière moyenne. On ne comparera pas ce chiffre à celui des années précédentes car cela ne ferait pas sens, puisque les rachats d’actions sont discrétionnaires et n’impliquent, contrairement aux dividendes, aucun engagement implicite de récurrence.
Ce montant s’explique à hauteur de 47 % par Total et Vivendi. Une partie des rachats d’actions de Total neutralise pour la dernière année la dilution induite par ses dividendes payés en actions, pratique à laquelle il a renoncée en 2019 avec la hausse du prix du pétrole. L’autre partie est le témoin de son excellence opérationnelle qui fait de Total l’un des groupes pétroliers les plus efficace au monde. Pour Vivendi, il s’agit de rendre des liquidités suite à des cessions d’actifs (Ubisoft) et de conforter la position du minoritaire contrôlant (Bolloré). Ensuite, on trouve quatre groupes, dont trois de l’an passé, qui ont consacré de l’ordre de 500 M€ à 1,3 Md€ chacun aux rachats en 2019 : Safran, Vinci, L’Oréal et Accor.
Au total, seize groupes ont procédé à des rachats d’actions significatifs (au moins 100 M€) en 2019.
Côté dividendes, 49,2 Md€ ont été versés en 2019. Pour la seconde fois que nous compilons ces données, toutes les entreprises du CAC 40 ont versé un dividende.
Témoin de la très bonne conjoncture économique dont bénéficient ces groupes, aucun n’a réduit son dividende par action au titre de 2018.
Quelques-uns ont choisi de le payer pour partie en actions, pour des montants qui ne figurent pas dans nos chiffres cités plus haut car ne correspondant pas à des débours de trésorerie. Total y a eu recours, le dividende en actions lui ayant permis de continuer à maintenir constant son dividende malgré les variations erratiques du prix du pétrole, satisfaisant ainsi ses actionnaires, fonds de pension américains et britanniques, très attachés psychologiquement aux dividendes réguliers (le dividende de Total n’a pas été réduit depuis 1981) pour payer les pensions qu’ils doivent, mais aussi Carrefour, Publicis, Société Générale et Atos. Ce sont autant de débours de trésorerie évités pour des groupes soucieux de ne pas mettre sous tension leur structure financière ou de préserver intacte leur capacité à financer des opérations de croissance externe.
En 2019, Atos a poursuivi sa scission d’avec sa filiale Wordline, en distribuant à ses propres actionnaires, en même temps que son dividende ordinaire, 23,5 % du capital de Worldline, réduisant ainsi sa participation à 27,3 %.
Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés.
La progression annuelle des dividendes versés en 2019 est plus élevée (+ 13 %) que celle des résultats nets courants, part du groupe qui ressort à 7 %. 40 % de cette hausse est due à quatre groupes : trois en raison de l’excellence de leurs performances opérationnelles (Kering, LVMH et L’Oréal) et un, Engie, en raison d’un effet de rattrapage partiel après un dividende par action réduit de 53 % depuis 2013.
Le taux de distribution des entreprises du CAC 40 progresse d’un point, à 47 %. En tenant compte des rachats d’actions et des dividendes extraordinaires, on passe à 59 %, soit le même niveau que l’an passé. Rappelons au lecteur qui serait tenté de jeter la pierre aux gros distributeurs de dividendes, que le seul critère financièrement pertinent d’appréciation d’une politique de distribution est le taux de rentabilité marginale des fonds réinvestis, sans parler de la capacité des entreprises à en verser un, compte tenu de leur objectif de structure financière. Le dividende n’est ni une idole ni un tabou !
[1] Dont les résumés sont consultables ici et là.
[2] Voir La Lettre Vernimmen.net n° 152 d’octobre 2017.
[3] Sans que l’on puisse préciser la part due à la croissance organique et celle due aux cessions et acquisitions de filiales.
Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°175 de janvier 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.